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Dieu sait comme les vers chez vous s'en vont couler,
Dit d'abord un ami, qui veut me cajoler,

Et dans ce temps guerrier, et fécond en Achilles
Croit que l'on fait les vers comme l'on prend les villes.
Mais moi, dont le génie est mort en ce moment,
Je ne sais que répondre à ce vain compliment;
Et justement confus de mon peu d'abondance,
Je me fais un chagrin du bonheur de la France.

Qu'heureux est le mortel qui, du monde ignoré,
Vit content de soi-même en un coin retiré !
Que l'amour de ce rien qu'on nomme renommée,
N'a jamais enivré d'une vaine fumée,

Qui de sa liberté forme tout son plaisir,

Et ne rend qu'à lui seul compte de son loisir!
Il n'a point à souffrir d'affronts ni d'injustices,
Et du peuple inconstant il brave les caprices.
Mais nous autres faiseurs de livres et d'écrits,
Sur les bords du Permesse aux louanges nourris,
Nous ne saurions briser nos fers et nos entraves.
Du lecteur dédaigneux honorables esclaves,

Du
rang où notre esprit une fois s'est fait voir,
Sans un fâcheux éclat, nous ne saurions déchoir.
Le public, enrichi du tribut de nos veilles,
Croit qu'on doit ajouter merveilles sur merveilles.
Au comble parvenus, il veut que nous croissions.
Il veut en vieillissant que nous rajeunissions.

Cependant tout décroît, et moi-même à qui l'âge, D'aucune ride encor n'a flétri le visage,

Déjà moins plein de feu, pour animer ma voix,
J'ai besoin du silence et de l'ombre des bois.

Ma muse qui se plaît dans leurs routes perdues,
Ne saurait plus marcher sur le pavé des rues.
Ce n'est que dans ces bois propres à m'exciter,
Qu'Apollon quelquefois daigne encor m'écouter.
Ne demande donc plus par quelle humeur sauvage,
Tout l'été, loin de toi, demeurant au village,
J'y passe obstinément les ardeurs du lion,
Et montre pour Paris si peu de passion.

C'est à toi, Lamoignon, que le rang, la naissance,
Le mérite éclatant, et la haute éloquence,
Appellent dans Paris aux sublimes emplois,
Qu'il sied bien d'y veiller pour le maintien des lois.
Tu dois là tous tes soins au bien de ta patrie;
Tu ne t'en peux bannir, que l'orphelin ne crie;
Que l'oppresseur ne montre un front audacieux;
Et Thémis pour voir clair a besoin de tes yeux.
Mais pour moi, de Paris, citoyen inhabile,
Qui ne lui puis fournir qu'un rêveur inutile,
Il me faut du repos, des prés et des forêts.
Laisse-moi donc ici, sous leurs ombrages frais,
Attendre que septembre ait ramené l'automne,
Et que Cérès contente ait fait place à Pomone.

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Quand Bacchus comblera de ses nouveaux bienfaits
Le vendangeur ravi de ployer sous le faix,
Aussitôt ton ami, redoutant moins la ville,
T'ira joindre à Paris, pour s'enfuir à Bâville.
Là, dans le seul loisir que Thémis t'a laissé,
Tu me verras souvent à te suivre empressé,
Pour monter à cheval rappellant mon audace,
Apprentif cavalier galopper sur ta trace.
Tantôt sur l'herbe assis au pied de ces côteaux,
Où Polycrène épand ses libérales eaux,
Lamoignon, nous irons, libres d'inquiétude,
Discourir des vertus dont tu fais ton étude;
Chercher quels sont les biens véritables ou faux;

Si l'honnête homme en soi doit souffrir des défauts;
Quel chemin le plus droit à la gloire nous guide,
Ou la vaste science, ou la vertu solide.
C'est ainsi que chez toi tu sauras m'attacher.
Heureux! si les fácheux prompts à nous y chercher,
N'y viennent point semer l'ennuyeuse tristesse.
Car dans ce grand concours d'hommes de toute espèce,
Que sans cesse à Bàville attire le devoir,
Au lieu de quatre amis qu'on attendait le soir,
Quelquefois de fàcheux arrivent trois volées,
Qui du parc à l'instant assiègent les allées,
Alors sauve qui peut, et quatre fois heureux
Qui sait pour s'échapper quelque antre ignoré d'eux, (71)

LE REPAS,

SATIRE.

A. QUEL sujet inconnu vous trouble et vous altère?

D'où vous vient aujourd'hui cet air sombre et sévère,
Et ce visage enfin plus pâle qu'un rentier,

A l'aspect d'un arrêt qui retranche un quartier?
Qu'est devenu ce teint, dont la couleur fleurie
Semblait d'ortolans seuls et de bisques nourrie?
Où la joie en søn lustre attirait les regards,
Et le vin en rubis brillait de toutes parts.
Qui vous a pu plonger dans cette humeur chagrine?
A-t-on par quelque édit réformé la cuisine?

Ou quelque longue pluie, inondant vos vallons,
A-t-elle fait couler vos vins et vos melons ?
Répondez donc du moins, ou bien je me retire.

P. Ah! de grâce, un moment, souffrez que je respire.
Je sors de chez un fat, qui pour m'empoisonner,
Je pense exprès chez lui m'a forcé de dîner.
Je l'avais bien prévu. Depuis près d'une année
J'éludais tous les jours sa poursuite obstinée.
Mais hier il m'aborde, et me serrant la main,
Ah! Monsieur, m'a-t-il dit, je vous attends demain ;
N'y manquez pas au moins. J'ai quatorze bouteilles
D'un vin vieux... Boucingo n'en a point de pareilles;

Et je gagerais bien que chez le commandeur,
Villandri priserait sa sève et sa verdeur.
Molière avec Tartuffe y doit jouer son rôle ;
Et Lambert, qui plus est, m'a donné sa parole.
C'est tout dire, en un mot, et vous le connaissez
Quoi Lambert? Oui, Lambert. A demain. C'est assez.
Ce matin donc, séduit par sa vaine
promesse,
J'y cours, midi sonnant, au sortir de la messe.
A peine étais-je entré que ravi de me voir,
Mon homme en m'embrassant m'est venu recevoir;
Et montrant à mes yeux une allégresse entière,
Nous n'avons, m'a-t-il dit, ni Lambert ni Molière;
Mais puisque je vous vois, je me tiens trop content;
Vous êtes un brave homme : Entrez. On vous attend.
A ces mots, mais trop tard, reconnaissant ma faute,
Je le suis en tremblant dans une chambre haute,
Où, malgré les volets, le soleil irrité

Formait un poële ardent au milieu de l'été.
Le couvert était mis dans ce lieu de plaisance,
Où j'ai trouvé d'abord, pour toute connaissance,
Deux nobles campagnards, grands lecteurs de romans
Qui m'ont dit tout Cyrus dans leurs longs complimens.
J'enrageais. Cependant on apporte un potage;
Un coq y paraissait en pompeux équipage,
Qui changeant sur ce plat et d'état et de nom,
Par tous les conviés s'est appelé chapon.

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