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STYLE FRANÇAIS.

LE CHÊNE ET LE ROSEAU.

FABLE.

LE
LE Chêne un jour dit au Roseau :
Vous avez bien sujet d'accuser la nature;
Un roitelet pour vous est un pesant fardeau;
Le moindre vent qui d'aventure
Fait rider la face de l'eau

Vous oblige à baisser la tête; Cependant que mon front au Caucase pareil, Non content d'arrêter les rayons du soleil Brave l'effort de la tempête.

Tout vous est aquilon, tout me semble zéphyr. Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage

Dont je couvre le voisinage,

Vous n'auriez pas tant à souffrir;

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Mais vous naissez le plus souvent
Sur les humides bords des royaumes du vent.
La nature envers vous me semble bien injuste.
Votre compassion, lui répondit l'arbuste,
Part d'un bon naturel: mais quittez ce souci;

Les vents me sont moins qu'à vous redoutables :

Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici
Contre leurs coups épouvantables
Résisté sans courber le dos:

Mais attendons la fin. Comme il disait ces mots,
Du bout de l'horizon accourt avec furie

Le plus terrible des enfans (1)

Que le Nord eût porté jusque-là dans ses flancs.
L'Arbre tient bon; le Roseau plie.
Le vent redouble ses efforts,

Et fait si bien qu'il déracine

Celui de qui la tête au ciel était voisine,
Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts. (2)

LA COURTISANNE AMOUREUSE.

CONTE.

Le jeune Amour, bien qu'il ait la façon
D'un Dieu qui n'est encor qu'à sa leçon,

Fut de tout temps grand faiseur de miracles :

En gens coquets il change les Catons;

Par lui les sots deviennent des oracles;

Par lui les loups deviennent des moutons:
Il fait si bien que l'on n'est plus le même.
Témoin Hercule, et témoin Polyphême,
Mangeurs de gens: l'un, sur son roc assis,
Chantait aux vents ses amoureux soucis;
Et, pour charmer sa nyn phe joliette,
Taillait sa barbe, et se mirait dans l'eau;
L'autre changea sa massue en fuseau
Pour le plaisir d'une jeune fillette.
J'en dirais cent: Boccace en rapporte un,
Dont j'ai trouvé l'exemple peu commun.
C'est de Chimon, jeune homme tout sauvage,
Bien fait de corps, mais ours quant à l'esprit.
Amour le lêche, et tant, qu'il le polit.
Chimon devint un galant personnage.
Qui fit cela? Deux beaux yeux seulement.
Pour les avoir aperçus un moment,
Encore à peine, et voilés par le somme,
Chimon aima; puis devint honnête homme:
Ce n'est le point dont il s'agit ici.

Je veux conter comme une de ces femmes
Qui font plaisir aux enfans sans souci

:

Put en son cœur loger d'honnêtes flammes.
Elle était fière, et bizarre sur-tout;
On ne savait comme en venir à bout.

Rome, c'était le lieu de son négoce;
Mettre à ses pieds la mître avec la crosse,
C'était trop peu: les simples monseigneurs
N'étaient d'un rang digne de ses faveurs.

Il lui fallait un homme du conclave, Et des premiers, et qui fût son esclave; Et même encor il y profitait peu, A moins que d'être un cardinal neveu. Le pape enfin, s'il se fût piqué d'elle, N'aurait été trop bon pour la donzelle. De son orgueil ses habits se sentaient;: Force brillans sur sa robe éclataient, La chamarrure avec la broderie. Lui voyant faire ainsi la renchérie, Amour se mit en tête d'abaisser Ce cœur si haut; et, pour un gentilhomme Jeune, bienfait, et des mieux mis de Rome, Jusques au vif il voulut la blesser. L'adolescent avait pour nom Camille, Elle, Constance. Et bien qu'il fût d'humeur Douce, traitable, à se prendre facile, Constance n'eut sitôt l'amour au cœur, Que la voilà craintive devenue.

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