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Mais la faveur du ciel vous donne en récompense
Du repos, du loisir, de l'ombre et du silence,
Un tranquille sommeil, d'innocens entretiens,
Et jamais à la cour on ne trouve ces biens.
Mais quittons ces pensers. Oronte nous appelle:
Vous, dont il a rendu la demeure si belle,
Nymphes, qui lui devez vos plus charmans appas,
Si le long de vos bords Louis porte ses pas,
Tachez de l'adoucir, fléchissez son courage.

Il aime ses sujets, il est juste,

il est sage.

Du titre de clément rendez-le ambitieux :

C'est par-là que les rois sont semblables aux dieux.
Du magnanime Henri qu'il contemple la vie :
Dès qu'il put se venger, il en perdit l'envie.
Inspirez à Louis cette même douceur.

La plus belle victoire et de vaincre son cœur.
Oronte est à présent un objet de clémence.
S'il a cru les conseils d'une aveugle puissance,
Il est assez puni par son sort rigoureux,
Et c'est être innocent que d'être malheureux. (19)

A MADAME DE GRIGNAN.

Paris, le 30 Novembre 1672.

L'ARCHEVÊQUE de Rheims revenait hier fort vîte de Saint-Germain; c'était comme un tourbilion. Il croit bien être grand seigneur, mais ses gens le croient encore plus que lui; ils passaient au travers de Nanterre ; tra, tra, tra; ils rencontrent un homme à cheval; gare, gare ; ce pauvre homme veut se ranger; son cheval ne veut pas; et enfin le carosse et les six chevaux renversent cul par-dessus tête le pauvre homme et le cheval, et passent par-dessus, et tellement par-dessus, que le carosse en fut versé, et renversé. En même-temps l'homme et le cheval au lieu de s'amuser à être roués et estropiés, se relèvent miraculeusement, remontent l'un sur l'autre, et s'enfuient et courent encore, pendant que les laquais de l'Archevêque, et le cocher, et l'Archevêque lui-même se mettent à crier Arrête, arrête, ce coquin, qu'on lui donne cent coups. L'Archevêque en racontant ceci disait si j'avais tenu ce maraud-là, je lui aurais rompu les bras, et coupé les oreilles. (20)

:

DESCRIPTION DE LA CHASSE DU CERF.

Du cor bruyant j'entends déjà les sons;
L'ardent coursier déjà sent tressaillir ses veines,
Bat du pied, mord le frein, sollicite les rênes.
A ces apprêts de guerre, au bruit des combattans,
Le cerf frémit, s'étonne et balance long-temps.
Doit-il loin des chasseurs prendre son vol rapide?
Doit-il leur opposer son audace intrépide?
De son front menaçant ou de ses pieds légers
A qui se fiera-t-il dans ses pressans dangers?
Il hésite long-temps: la peur enfin l'emporte ;
Il part, il court,
il vole: un moment le transporte

Bien loin de la forêt et des chiens et du cor.
Le coursier libre enfin, s'élance et prend l'essor;
Sur lui l'ardent chasseur part comme la tempête,
Se penche sur ses crins, se suspend sur sa tête.
Il perce les taillis, il rase les sillons,

Et la terre sous lui roule en noirs tourbillons.

Cependant le cerf vole, et les chiens sur sa voie Suivent les corps légers que le vent leur envoie, Par tout où sont ses pas sur le sable imprimés, Ils attachent sur eux leurs naseaux enflammés; Alors le cerf tremblant, de son pied qui les guide,

Maudit l'odeur traîtresse et l'empreinte perfide.
Poursuivi, fugitif, entouré d'ennemis,
Enfin, dans son malheur, il songe à ses amis.
Jadis de la forêt, dominateur superbe,

S'il rencontre des cerfs errant en paix sur l'herbe,
Il vient au milieu d'eux, humiliant son front,
Leur confier sa vie, et cacher son affront.
Mais, hélas! chacun fuit sa présence importune
Et la contagion de sa triste fortune:

Tel un flatteur délaisse un prince infortuné.
Banni par eux il fuit, il erre abandonné :
Il revoit ces grands bois, si chers à sa mémoire
Où cent fois il goûta les plaisirs et la gloire,
Quand les bois, les rochers, les antres d'alentour
Répondaient à ses cris et de guerre et d'amour,
Et qu'en sultan superbe à ses jeunes maîtresses
Sa noble volupté partageait ses caresses.
Honneur, empire, amour, tout est perdu pour lui.
C'est en vain qu'à ses maux prêtant un noble appui,
D'un cerf tout jeune encor la confiante audace
Succède à ses dangers et s'élancé à sa place;
Par les chiens vétérans le piége est éventé.
Du son lointain des cors bientôt épouvanté,
Il part, rase la terre; ou, vieilli dans la feinte,
De ses pas en sautant il interrompt l'empreinte ;
Ou tremblant et tapi loin des chemins frayés,

Veille et promène au loin ses regards effrayés,
S'éloigne, redescend, croise et confond sa route.
Quelquefois il s'arrête, il regarde, il écoute;
Et des chiens, des chasseurs, de l'écho des forêts
Déjà l'affreux concert le frappe de plus près.
Il part encor, s'épuise encore en ruses vaines :
Mais déjà la terreur court dans toutes ses veines,
Chaque bruit est pour lui l'annonce de son sort
Chaque arbre un ennemi, chaque ennemi la mort.
Alors, las de traîner sa course vagabonde,
De la terre infidèle il s'élance dans l'onde,
Et change d'élément sans changer de destin.
Avide et réclamant son barbare festin,
Bientôt vole après lui, de sueur dégoûtante,
Brûlante de fureur et de soif haletante,

La meute aux cris aigus, aux

yeux

étincelans.

L'onde à peine suffit à leurs gosiers brûlans:

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Mais à leur fier instinct d'autres besoins commandent

C'est du sang qu'ils ont soif, c'est du sang qu'ils demandent.
Alors désespéré, sans amis, sans secours ,

A la fureur enfin sa faiblesse a recours,
Hélas! pourquoi faut-il qu'en ruses impuissantes
Le frayeur ait usé ses forces languissantes!
Et que n'a-t-il plutôt, écoutant sa valeur,
Par un noble combat illustré son malheur!
Mais enfin, las de perdre une inutile adresse,

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