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Serre ces noeuds tissus par la nature,

Que l'amour forme et que l'honneur épure.
Dieu! quel plaisir d'aimer publiquement,
Et de porter le nom de son amant!
Votre maison, vos gens votre livrée,
Tous vous retrace une image adorée;
Et vos enfans, ces gages précieux,

Nés de l'amour, en sont de nouveaux nœuds.
Un tel hymen, une union si chère,

Si l'on en voit, c'est le ciel sur la terre.
Mais tristement vendre, par un contrat,

Sa liberté, son nom et son état
Aux volontés d'un maître despotique,
Dont on devient le premier domestique,
Se quereller ou s'éviter le jour,
Sans joie à table et la nuit sans amour,
Trembler toujours d'avoir une faiblesse,
Y succomber ou combattre sans cesse,
Tromper son maître ou vivre sans espoir
Dans les langueurs d'un importun devoir,
Gémir, sécher dans sa douleur profonde,
Un tel hymen est l'enfer de ce monde. (27)

LETTRE DE FREDERIC II

A VOLTAIRE.

Du 7 Avril 1744.

ENFIN, malgré que j'en aie, voilà des vers que votre Apollon m'arrache. Encore s'il m'inspirait!

Votre Mérope m'a été rendue, et j'ai fait la commission de l'auteur en distribuant son livre. Je ne m'étonne point du succès de cette pièce. Les corrections que vous y avez faites, la rendent, par la sagesse, la conduite, la vraisemblance et l'intérêt, supérieure à toutes vos autres pièces de théâtre, quoique Mahomet ait plus de force, et Brutus de plus beaux vers.

Ma soeur Ulrique voit votre rêve (28) accompli en partie; un roi la demande pour épouse; les vœux de toute la nation Suédoise sont pour elle. C'est un enthousiasme et un fanatisme auquel ma tendre amitié pour elle a

été obligée de céder. Elle va dans un pays où ses talens lui feront jouer un grand et beau rôle.

Dites, s'il vous plaît, à Rothembourg, si vous le voyez, que ce n'est pas bien à lui de ne me point écrire depuis qu'il est à Paris. Je n'entends non plus parler de lui que s'il était à Pékin. Votre air de Paris est comme la fontaine de Jouvence, et vos voluptés comme les charmes de Circé; mais j'espère que Rothembourg échappera à la métamorphose.

Adieu, admirable historien, grand poëte, charmant auteur de cette Pucelle, invisible et triste prisonnière de Circé; adieu à l'amant de la cuisinière de Valori, de madame du Châtelet et de ma sœur. Je me recommande à la protection de tous vos talens, et sur-tout de votre goût pour l'étude, dont j'attends mes plus doux et plus agréables amusemens. (29)

FREDERIC.

LE MONDAIN.

REGRETTERA qui veut le bon vieux temps, Et l'âge d'or, et le règne d'Astrée,

Et les beaux jours de Saturne et de Rhée,
Et le jardin de nos premiers parens ;

Moi, je rends grâce à la nature sage,
Qui, pour mon bien, m'a fait naître en cet âge
Tant décrié par nos tristes frondeurs:

Ce temps profàne est tout fait pour mes mœurs.
J'aime le luxe, et même la mollesse,

Tous les plaisirs, les arts de toute espèce, La propreté, le goût, les ornemens: Tout honnête homme a de tels sentimens. Il est bien doux pour mon coeur très-immonde De voir ici l'abondance à la ronde, Mère des arts et des heureux travaux Nous apporter de sa source féconde Et des besoins et des plaisirs nouveaux. L'or de la terre, et les trésors de l'onde, Leurs hab.ans, et les peuples de l'air, Tout sert au luxe, aux plaisirs de ce monde. O le bon temps que ce siècle de fer! Le superflu, chose très-nécessaire, A réuni l'un et l'autre hémisphère.

Voyez-vous pas ces agiles vaisseaux
Qui du Texel, de Londres, de Bordeaux,
S'en vont chercher, par un heureux échange,
De nouveaux biens nés aux sources du Gange;
Tandis qu'au loin, vainqueurs des musulmans,
Nos vins de France enivrent les sultans ?
Quand la nature était dans son enfance,
Nos bons aïeux vivaient dans l'ignorance,
Ne connaissant ni le tien ni le mien.
Qu'auraient-ils pu connaître ? ils n'avaient rien;
Ils étaient nus; et c'est chose très-claire
Que qui n'a rien n'a nul partage à faire.

Sobres étaient ah! je le crois encor;

:

Martialo n'est point du siècle d'or:

D'un bon vin frais ou la mousse ou la sève
Ne gratta point le triste gosier d'Eve.
La soie et l'or ne brillaient point chez eux :
Admirez-vous pour cela nos aïeux?
Il leur manquaient l'industrie et l'aisance :
Est-ce vertu? c'était pure ignorance.
Quel idiot, s'il avait eu pour lors
Quelque bon lit, aurait couché dehors?
Mon cher Adam, mongourmand, mon bon père,
Que faisais-tu dans les jardins d'Eden?
Travaillais-tu pour ce sot genre humain?
Caressais-tu madame Ève

ma mère?

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