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A MADAME DENIS.

LA VIE DE PARIS ET DE VERSAILLES.

VLVONS
IVONS pour nous, ma chère Rosalie;
Que l'amitié, que le sang qui nous lie
Nous tienne lieu du reste des humains :
Ils sont si sots, si dangereux, si vains!
Ce tourbillon qu'on appelle le monde
Est si frivole, en tant d'erreurs abonde,
Qu'il n'est permis d'en aimer le fracas
Qu'à l'étourdi qui ne le connaît pas.
Après dîné, l'indolente Glycère
Sort pour sortir, sans avoir rien à faire :
On a conduit son insipidité

Au fond d'un char, où, montant de côté,

Son corps pressé gémit sous les barrières
D'un lourd panier qui flotte aux deux portières;
Chez son amie au grand trot elle va,

Monte avec joie, et sans repent déjà,
L'embrasse, et bâille, et puis lui dit: Madame,
J'apporte ici tout l'ennui de mon ame;
Joignez un peu votre inutilité

A ce fardeau de mon oisiveté.

Si ce ne sont ses paroles expresses
C'en est le sens. Quelques feintes caresses,
Quelques propos sur le jeu, sur le temps,
Sur un sermon, sur le prix des rubans,
Ont épuisé leurs ames excédées;

Elles chantaient déjà, faute d'idées;
Dans le néant leur coeur est absorbé,

Quand dans la chambre entre, monsieur l'abbé,
Fade plaisant, galant escroc, et prêtre,
Et du logis pour quelques mois le maître.

Vient à la piste un fat en manteau noir
Qui se rengorge et se lorgne au miroir.
Nos deux pédants sont tous deux sûrs de plaire:
Un officier arrive et les fait taire,
Prend la parole, et corfte longuement
Ce qu'à Plaisance eût fait son régiment
Si par malheur on n'eût pas fait retraite;
Il vous le mène au col de la Boquette;
A Nice, au Var, à Digne il le conduit :
Nul ne l'écoute, et le cruel poursuit.
Arrive Isis, dévote au maintien triste,
A l'air sournois; un petit janséniste,
Tout plein d'orgueil et de saint Augustin,
Entre avec elle en lui serrant la main.
D'autres oiseaux de différent plumage;
Divers de goût, d'instinct et de ramage,

En sautillant font entendre à la fois

Le gazouillis de leurs confuses voix ;
Et dans les cris de la folle cohue
La médisance est à peine entendue.
Ce chamaillis de cent propos croisés
Ressemble aux vents l'un à l'autre opposés.
Un profond calme, un stupide silence
Succède au bruit de leur impertirence :
Chacun redoute un honnête entretien;
On veut penser, et l'on ne pense à rien.
O roi David! ô ressource assurée!
Viens ranimer leur langueur désœuvrée;
Grand roi David, c'est toi dont les sixains
Fixent l'esprit et le goût des humains!
Sur un tapis dès qu'on te voit paraître,
Noble, bourgeois, clerc, prélat, petit-maître;
Femme sur-tout, chacun met son espoir
Dans tes cartons peints de rouge et de noir;
Leur ame vide est du moins amusée

Far l'avarice en plaisir déguisée.

De ces exploits le beau monde occupé Quitte à la fin le jeu pour le soupé, Chaque, convive en liberté déploie

A son voisin son insipide joie.

L'homme machine, esprit qui tient du corps, En bien mangeant remonte ses ressorts;

Avec le sang l'ame se renouvelle,
Et l'estomac gouverne la cervelle.
Ciel, quels propos! ce pédant du palais
Blâme la guerre, et se plaint de la paix;
Ce vieux Crésus, en sablant du Champagne
Gémit des maux que souffre la campagne;
Et cousu d'or, dans le luxe plongé,
Plaint le pays de tailles surchargé.

Monsieur l'abbé vous entame une histoire
Qu'il ne croit point et qu'il veut faire croire:
On l'interrompt par un propos du jour

Qu'un autre conte interrompt à son tour:
Des froids bons mots, des équivoques fades,
Des quolibets et des turlupinades,
Un rire faux, que l'on prend pour gaîté,
Font le brillant de la société,

C'est donc ainsi, troupe absurde et frivole,
Que nous usons de ce temps qui s'envole;
C'est donc ainsi que nous perdons des jours,
Longs pour les sots, pour qui pense si courts!
Mais que ferai-je? où fuir loin de moi-même ?
Il faut du monde : on le condamne, on l'aime,
On ne peut vivre avec lui ni sans lui:
Notre ennemi le plus grand c'est l'ennui.
Tel qui chez soi se plaint d'un sort tranquille
Vole à la cour, dégoûté de la ville:

Si dans Paris chacun parle au hasard,
Dans cette cour on se tait avec art,
Et de la joie ou fausse ou passagère
On n'a pas même une image légère.
Heureux qui peut de son maître approcher!
Il n'a plus rien désormais à chercher ;
Mais Jupiter au fond de l'empyrée
Cache aux humains sa présence adorée:
Il n'est permis qu'à quelques demi-dieux
D'entrer le soir aux cabinets des cieux.
Faut-il aller, confonda dans la presse,
Prier les dieux de la seconde espèce
Qui des mortels font le mal ou le bien?
Comment aimer des gens qui n'aiment rien,
Et qui portés sur ces rapides sphères
Que la fortune agite en sens contraires,
L'esprit troublé de ce grand mouvement,
le temps d'avoir un sentiment?

N'ont pas
A leur lever pressez-vous pour attendre,
Pour leur parler sans vous en faire entendre,
Pour obtenir, après trois ans d'oubli,

Dans l'antichambre un refus très-poli.

Non, dites-vous, la cour ni le beau monde
Ne sont point faits pour celui qui les fronde :
Fuis pour jamais ces puissans dangereux;
Fuis les plaisirs qui sont trompeurs comme eux.

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