Bon citoyen, travaille pour la France, Et du public attends ta récompense. Qui? le public, ce fantôme inconstant, Monstre à cent voix, Cerbère dévorant, Qui flatte et mord; qui dresse par sottise Une statue, et par dégoût la brise! Tyran jaloux de quiconque le sert, Il profana la cendre de Colbert, Et, prodiguant l'insolence et l'injure, Il a flétri la candeur la plus pure; I juge, il loue, il condamne au hasard Toute vertu, tout mérite, et tout art; C'est lui qu'on vit, de critiques avide, Déshonorer le chef-d'oeuvre d'Armide, Et pour Judith, Pirame, et Régulus, Abandonner Phèdre et Britannicus; Lui qui dix ans proscrivit Athalie; Qui, protecteur d'une scène avilie, Frappant des mains, bat à tort à travers Au mauvais sens qui hurle en mauvais vers. Mais il revient, il répare sa honte; Le temps l'éclaire: oui, mais la mort plus prompte Ferme mes yeux dans ce siècle pervers En attendant que les siens soient ouverts: Chez nos neveux on me rendra justice; Mais, moi vivant, il faut que je jouisse.
Quand dans la tombe un pauvre homme est inclus Qu'importe un bruit, un nom qu'on n'entend plus? L'ombre de Pope avec les Rois
repose, Un peuple entier fait son apothéose, Et son nom vole à l'immortalité;
Quand il vivait il fut persécuté.
Ah! cachons-nous; passons avec les sages Le soir serein d'un jour mêlé d'orages, Et dérobons à l'oeil de l'envieux
Le peu de temps que me laissent les dieux. Tendre amitié, don du ciel, beauté pure, Porte un jour doux dans ma retraite obscure; Puissé-je vivre et mourir dans tes bras, Lein du méchant qui ne te connaît pas, Loin du bigot dont la peur dangereuse
Corrompt la vie, et rend la mort affreuse! (34)
LE DOMESTIQUE DE MAROT. (35)
On dit bien vrai : la mauvaise fortune
Ne vient jamais qu'elle n'en amène une, Ou deux ou trois avec elle vous, sire, Votre cœur noble en saurait bien que Tome II.
Et moi chétif qui ne suis Roi ni rien, L'ai éprouvé, et vous conterai bien, Si vous voulez, comment vint la besogne. J'avais un jour un valet de Gascogne, Gourmand, ivrogne et assuré menteur, Pipeur, larron, jureur, blasphémateur, Sentant la hart de cent pas à la ronde, Au demeurant le meilleur fils du monde. Ce vénérable ilot fut averti
De quelque argent que m'aviez départi, Et que ma bourse avait grosse apostume. Il se leva plus tôt que de coutume, Et me va prendre en tapinois icelle, Puis vous la met très-bien sous son aisselle, Argent et tout, cela se doit entendre,
Et ne crois pas que ce fut pour la rendre ; Car onc depuis n'en ai ouï parler.
Bref, le vilain ne s'en voulut aller
Pour si petit, mais encore il me happe
Saye et bonnets, chausses, pourpoint et cape. De mes habits en effet il pilla
Tous les plus beaux, et puis s'en habilla
Si justement, qu'à le voir ainsi être,
Vous l'eussiez pris en plein jour pour son maître. Finalement de ma chambre s'en va
Droit à l'étable, où deux chevaux trouva,
Laisse le pire, et sur le meilleur monte, Pique et s'en va; pour abréger mon conte, Soyez certain qu'au sortir de ce lieu, N'oublia rien, fors de me dire adieu. Ainsi s'en va, chatouilleux de la gorge, Ledit valet monté comme un Saint-George, Et vous laissa monsieur dormir son saoul, Qui au réveil n'eût su finer d'un sou. Ce monsieur-là; sire, c'était moi-même, Qui, sans mentir fus au matin bien blême Quand je me vis sans honnête vêture, Et fort faché de perdre ma monture Mais pour l'argent que vous m'aviez donné, Je ne fus point de le perdre étonné; Car votre argent, très-débonnaire Prince, S'il faut le dire, est sujet à la pince. Bientôt après cette fortune-là Une autre pire encore se mêla
De m'assaillir, et chaque jour m'assaut, Me menaçant de me donner le saut, Et de ce saut m'envoyer à l'envers Rimer sous terre et faire des vers.
C'est un longue et lourde maladie
De trois bons mois, qui m'a tout étourdie
La pauvre tête, et ne veut terminer, Ains me contraint d'apprendre à chỉ miner,
Tant faible suis bref, à ce triste corps Dont je vous parle, il n'est demeuré, fors Le pauvre esprit qui lamente et soupire, Et en pleurant tâche à vous faire rire. Voilà comment depuis neuf mois en çà Je suis traité or ce que me laissa Mon larroneau, long-temps ce, l'ai vendu, Et en sirops et juleps dépendu.
Ce néanmoins ce que je vous en mande N'est pour vous faire ou requête ou demande. Je ne veux point tant de gens ressembler, Qui n'ont souci autre que d'assembler. Tant qu'ils vivront, il demanderont eux; Moi je commence a devenir honteux, Et ne veux plus à vos dons m'arrêter. Je ne dis pas, si voulez rien prêter, Que ne le prenne il n'est point de prêteur, Quand il le veut, qui ne fasse un debteur. Et savez Vous sire, comment je paie?
Nul ne le sait si premier ne l'essaie. Vous me devrez, si je puis, du retour, Et je vous veux faire encore un bon tour. A celle fin qu'il n'y ait une faute nulle, Je vous ferai une belle cédule,
A vous payer, sans usure s'entend, Quand on verra tout le monde content;
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