qu'ils tenoient, mesme le duc de Feria, Ibarra et Taxis, auxquels il dit : « Recommandez-moi à vostre maistre, mais n'y revenez plus. » Quelques Wallons restèrent avec leur capitaine; on en forma une compagnie au service de la France. Le soir même. le roi jouait, au Louvre, sa partie avec Mme de Montpensier, non sans scandale de nombre de gens de bien. Le lendemain, M. d'O fut réintégré dans le gouvernement de l'Ile-de-France, et reçut le serment des officiers municipaux. Le 27, la Bastille et Vincennes se rendirent. Le 28, des lettres patentes, sans mème attendre le retour du Parlement fidèle de Tours, réinstallèrent le Parlement de Paris, qui s'empressa à son tour de révoquer « tous actes et serments donnés, faits et prêtés depuis le 29 décembre 13588 » au préjudice de l'autorité des rois et des lois du royaume, et chargea Pierre Pithou et Antoine Loisel d'en purger ses registres. La Sorbonne, enfin, qui hésita presque tout un mois, se soumit le 22 avril; les Jésuites seuls et les Franciscains tinrent bon et attendirent l'absolution du pape. pagne et la garnison étrangère. Ces négociations pourtant n'avaient pu rester entièrement secrètes. Le duc de Feria redoublait de vigilance; la nuit du 24 au 22 mars, il manda Brissac qui joua l'étonnement, et le fit accompagner dans sa ronde sur les remparts de plusieurs officiers espagnols, «avec charge, au premier bruit qu'ils entendroient au dehors, de le tuer. » Tout était prèt: les échevins, les capitaines des milices bien avertis, les troupes des ligueurs cantonnées sur la rive gauche, mais les bourgeois en force sur le pont Saint-Michel pour barrer le passage. Brissac et Langlois attendaient aux portes le roi, qui tardait bien à venir. A quatre heures passées, enfin, Vitri se présenta à la porte Saint-Denis, Saint-Luc devant la porte Neuve; avec ce dernier étaient Henri et ses principaux capitaines. Quatre corps de troupes s'acheminérent aussitôt le long des remparts, des quais, de la rue Saint-Honoré, ralliant les milices bourgeoises, et occupant avec leur aide les carrefours et les rues. Un seul poste de lansquenets, près l'école SaintGermain, aujourd'hui le quai de l'École, fit résistance et fut massacré. Avant le jour, le Louvre, le Palais, le grand Châtelet, les principaux centres de la ville, étaient au pouvoir des royaux, les corps de garde espagnols cernés dans leurs quartiers et sans communication entre eux. « Le roy estoit dans Nostre-Dame auparavant que l'on sceust assurément en l'Université qu'il fust dans Paris. » Dans le quartier Saint-Jacques, quelques-uns des Seize | lui écrit le roi dans une lettre qu'on voudrait rap se voulurent mettre en armes, le curé Hamilton, le capitaine Crucé; ils se trouvèrent isolés et réduits à l'impuissance. Brissac, Langlois, les principaux meneurs de l'entreprise, couraient les rues, commandant de prendre l'écharpe blanche, et semant à pleines mains «des billets qui avoient esté imprimés le jour d'auparavant à Sainct-Denis », suivis partout « de nombre de petits enfants criant : «Vive le roi!» ces enfants de Paris qu'on retrouve dans les émotions populaires de tous les temps. « Le roy, estant sorty de Nostre-Dame, monta à cheval, et s'en alla au Louvre au mesme ordre qu'il estoit venu. Sur son chemin, les rues, les maisons, les boutiques et les fenestres, estoient remplies de personnes de tout sexe, de tout âge et de toutes qualités, et n'oyoit-on partout que le mesme cri de: « Vive le roy! » Pour conclusion, en moins de deux heures après, toute la ville fut paisible, excepté la Bastille, et chacun reprit son exercice ordinaire; les boutiques furent ouvertes comme si changement quelconque n'y fust advenu, et le peuple se mesla sans crainte et avec toute privauté parmy les gens de guerre, sans recevoir d'eux, en leurs personnes, biens et familles, aucune perte, dommage ni desplaisir.» (V. Cayet.) Suivant sa promesse, le roi fit offrir un saufconduit aux Espagnols. Sur les deux heures, il alla les voir sortir de Paris, quatre à quatre, tambours battants, les drapeaux au vent, les armes sur l'épaule, avec tout leur bagage. « Il salua courtoisement tous les chefs des compagnies, selon le rang Henri, comme le dit Lestoile, avait trouvé cau Louvre, dans un coffre, les clefs des villes de son royaume. » Il n'était pas encore entré à Paris qu'il y pratiquait Rouen et marchandait sa soumission, en dépit des agents de Mayenne et de l'Espagne. Mais les exigences étaient telles que le prudent Rosny, chargé de l'affaire, hésitait. « Mon amy, porter tout entière comme l'exposé net et sincère d'une situation et d'une politique, vous êtes une beste d'user de tant de remises et apporter tant de difficultés et de mesnage en une affaire de laquelle la conclusion m'est de si grande importance pour l'establissement de mon autorité et le soulagement de mes peuples. Ne vous souvient-il plus des conseils que vous m'avez tant donnés, m'alléguant pour exemple celuy d'un certain duc de Milan au roi Louis XI, au temps de la guerre nommée du Bien public, qui étoit de séparer par intérêts particuliers tous ceux qui étoient liguez contre luy sous des prétextes généraux, quí est ce que je veux essayer de faire maintenant, aimant beaucoup mieux qu'il m'en couste deux fois autant, en travaillant avec chaque particulier, que de parvenir à mesmes effects par le moyen d'un traité général faict avec un seul chef... qui pust par ce moyen entretenir toujours ung party formé dans mon Estat. Partant, ne vous amusez plus à faire le respectueux pour ceux dont il est question, lesquels nous contenterons d'ailleurs, ni le bon mesnager, ne vous arrestant à de l'argent; car nous payerons tout des mesmes choses que l'on nous livrera, lesquelles, s'il nous falloit prendre par la force, nous cousteroient dix fois autant. Concluez au plus tôt avec M. de Villars; puis, lorsque je seray roy paisible, nous userons de bons mesnages, dont vous m'avez tant parlé, et pouvez vous assurer que je n'espargneray travail ni ne craindray péril pour eslever ma gloire et mon Estat en leur plus grande splendeur. Adieu, mon amy.» (8 mars 1594.) Villars livra Rouen, le Havre, Harfleur, Pont-Audemer, Montivilliers, Verneuil; il reçut en échange, outre le gouvernement en chef des bailliages de Rouen et de Caux, la charge d'amiral de France, qu'on ôta pour lui à Charles de Biron, en le dédommageant par le bâton de maréchal, qu'avait si glorieusement tenu son père; il reçut de plus 3477 800 livres (près de 43 millions, valeur de nos jours). Le 6 avril, le prince de Joinville est chassé de Troyes par les habitants, qui appellent Biron; Sens, Abbeville, Montreuil-sur-Mer en Picardie, se donnent de mème au roi par le vœu libre des bourgeois. Au midi, Riom, la capitale de la ligue d'Auvergne, Périgueux, Agen, Marmande, ouvrent leurs portes avant la fin d'avril. temps des Jacques ne revinssent, quand par le Poitou, la Marche, le Limousin, l'Angoumois, le Périgord, le Querci, l'Agénois, des milliers de croquants se soulevèrent contre ces percepteurs et ces gens de guerre qui de toutes parts « croquaient >>> le peuple. La soumission des bonnes villes à la royauté fit cesser peu à peu le principal prétexte de ces désordres; le roi acheva en remettant les arrérages des tailles et des subsides, ou en faisant disperser par la force ces rassemblements mal armés; ailleurs, bon nombre d'insurgés volèrent au service du roi contre les ligueurs et l'Espagnol (1593-95). Peu s'en fallut que la tentative désespérée d'un fanatique ne mit fin à la fois aux projets et aux embarras de la situation nouvelle. Déjà, en 1593, Pierre Barrière, convaincu d'avoir voulu tuer le roi, avait été rompu vif. Le 27 décembre, comme Henri, arrivant d'Amiens, entrait chez Gabrielle d'Estrées, au milieu d'un groupe de courtisans, un jeune garçon de dix-huit ans, nommé Jean Châtel, fils d'un marchand de Paris et élève des Jésuites, le frappa d'un coup de couteau. Le roi se baissait à ce moment pour embrasser les chevaliers de Ragny et de Montigny, inclinés devant lui, et au lieu d'atteindre la gorge, « le coup porta dans la face, sur la lèvre haute, du costé droict, et coupa une dent.» (Corresp. de Henri IV.) L'instruction démontra que le criminel n'avait été excité que par la dépravation de ses idées religieuses. Se tenant pour condamné par ses vices à la damnation éternelle, il avait cru se racheter en assassinant un roi «qui n'étoit pas approuvé du pape», et qu'il avait entendu tant de fois maudire autour de lui. Le 29, il fut tenaillé et tiré à quatre chevaux en la place de Grève, ses membres jetés au feu, ses cendres au vent. Cependant, le 22, le comte de Mansfeld s'empare de la Capelle. Le roi, accouru trop tard au secours de la place, se rejette sur Laon, qu'il bloque et assiége avec douze mille fantassins et deux mille chevaux. Une lettre du duc de Feria à Philippe II, où le général espagnol accuse de lâcheté et de trahison Mayenne, «qui ne fait rien qui vaille », interceptée par le roi et renvoyée à Mayenne, exaspère celui-ci, mais ne le décourage pas de tenter avec Mansfeld de ravitailler la ville. Ses attaques échouent devant les bonnes dispositions et l'énergie de Biron. Laon, défendue par le baron du Bourg et le président Jeannin, capitule le 22 juillet, et le 2 août est rendue au roi. Amiens, Château-Thierry, Beauvais, Noyon, ne résistent plus. C'est à peine si, dans toute la Picardie, Soissons, Ham, la Fère, tiennent encore. Le duc de Guise lui-même, par les conseils de sa mère et de sa grand'mère, fait son accommodement au mois de novembre. Il remet au roi Reims, Saint-Dizier, Rocroy, Guise, Fismes, Joinville, et reçoit, avec le gouvernement de la Provence, repris à d'Épernon, près de quatre millions. Vitry, Mézières, viennent d'elles-mêmes, | suites, autour desquels s'accumulaient, avec les Cet attentat fournit au Parlement l'occasion depuis longtemps cherchée de sévir contre les Jé et le reste de la Champagne. Le 16 novembre, enfin, le chef de la maison de Lorraine, le duc de Lorraine, fait la paix avec Henri et abandonne la coalition contre la France, compensant à peu près la perte de ses espérances par une allocation, qu'il se fait verser, de 2 766 826 livres. Il faut citer ces haines populaires, les accusations envieuses des ordres rivaux et les soupçons trop bien fondés des politiques. Dans ce moment même, ils soutenaient contre l'Université et contre les curés de Paris un fameux procès, suspendu pendant trente ans, repris encore, de nouveau «appointé », où leurs chiffres, cyniquement exacts, pour apprécier l'es- | sombres constitutions, pour la première fois dé prit de ces temps et la conscience de ces grands seigneurs qui avaient tant combattu pour la gloire du catholicisme. En détail comme en somme, le roi en sut bien le prix, et ce ne furent pas 30 millions qui suffirent à racheter pièce à pièce les lambeaux sacrés de la mère patrie. « Ventre-saintgris! disait-il, mon royaume, on ne me l'a pas rendu, à moi, on me l'a vendu! >>> LES CROQUANTS. LES JÉSUITES. Ce que les puissants arrachaient d'un seul coup au roi, les gentillåtres des campagnes l'extorquaient jour par jour aux paysans. Peu s'en fallut que les voilées, leur esprit d'intrigue et, d'envahissement servi par l'abnégation la plus absolue de moralité personnelle et de patriotisme, leurs ambitions et leurs priviléges également exorbitants, soulevaient la frayeur et l'indignation. Le jour même du supplice de Châtel, le Parlement, pressé par les ordres du roi, rendit un arrêt qui déclarait les religieux de la compagnie de Jésus corrupteurs de la jeunesse, ennemis du roi et de l'État, leur enjoignant de sortir sous trois jours de Paris. et dans la quinzaine du royaume. Le père Guéret, qui avait enseigné la philosophie à Jean Chatel, et le père Alexandre Haym, Écossais, furent mis à la question et bannis: le père Guignard, chez Les deux partis se rencontrèrent, sans s'y attendre, entre Fontaine-Française et le petit village de Saint-Seine (5 juin 4595). Dans une reconnais qui l'on trouva des manuscrits où l'on prêchait l'assassinat du roi, mais antérieurs à l'amnistie, fut pendu en Grève (7 janvier 1595). Varade, l'ancien recteur du collège de Clermont, chef-sance, Biron, « qui avoit la première troupe», fut lieu de l'enseignement jésuitique à Paris, et le curé Aubry, furent exécutés en effigie. A la faveur de cette réaction momentanée fut enregistré le rétablissement de l'édit de 4577 en faveur des protestants, non sans opposition à l'article 19, qui les déclarait aptes à tous les emplois. On demandait qu'il fût interprété ainsi que les édits de Nérac et de Fleix, dont il n'était que la confirmation, et qu'ainsi les réformés ne pussent être revêtus de charges dans les cours souveraines, ni de gouver⚫nements de province. Mais l'influence du doyen des conseillers, Étienne de Fleury, rallia une majorité qui accepta l'édit sans modification. GUERRE CONTRE L'ESPAGNE. - FIN DE LA LIGUE. Pour en finir avec la cause permanente des dissensions intestines et couper court aux sourdes menées dont s'aidaient tant d'ambitions désespérées, Henri, dans un manifeste habile où il s'étudiait à intéresser l'Europe à sa cause en l'excitant contre la monarchie universelle rêvée par Philippe II, dénonça solennellement la guerre à l'Espagne. Il s'assurait par là cet avantage « qu'aiant guerre ouverte avec l'Espagnol, les liguez de France ne pourroient plus refuser le titre d'Espagnols, chose qui les rendoit odieux en leur ville contraint de charger pour se dégager, et le roi, et donnoit un grand bransle à faire eschaper leur ❘ davantage, tant nous fusmes surpris et pressez. parti. » (D'Aubigné.) La guerre allait être rude, car il fallait s'attendre, comme le représenta Sully, que du rôle d'auxiliaire passant à celui de partie active, Philippe II redoublerait encore d'opiniàtreté. Il le montra bien tout d'abord en donnant ordre à ses lieutenants, le comte de Fuentès et le connétable de Castille, « que quand ce seroit mesme à la perte et au préjudice de ses États de Flandre et de Milan, ils eussent à entrer en France.» Toutes fois mon dict cousin ne laissa pas, après sa blessure, de retourner à la charge encore par deux ou trois fois, comme je fis de mon costé... dont le dict connestable a pris tel effroy qu'il a aussitôt repassé la Saône. » (Corresp., t. IV.) Ce succès, dû à l'audace du roi, qui plus d'une fois y joua sa vic, rejeta l'ennemi hors de cette frontière. Il ne resta plus à la Ligue, en Bourgogne, que Chalon, où Mayenne, de plus en plus irrité Sans attendre davantage, Biron avait envahi la contre les Espagnols, dont les défiances l'entraBourgogne, où les populations s'agitaient déjà. A vaient sans cesse, commença dès lors à traiter séson approche, la révolte éclata partout. Beaune, rieusement de sa soumission. Le roi soumit encore à la voix de son maire, se soulève, massacre une quelques villes en Franche-Comté, puis se rendit partie de sa garnison et aide Biron à réduire le à Lyon, centre de négociations nouvelles qui lui château. Auxonne capitule à la fin d'avril; Autun rapportaient plus encore que des batailles. Il y à son tour fait sa révolution. Dijon, un instant donna audience aux députés des protestants, au vacomprimé par Mayenne, qui fait décapiter le maire leureux Lesdiguières, qui lui venait rendre compte Jacques Verne, s'insurge, Mayenne parti, et appelle de ses conquètes en Piémont, et à différents gouBıron. Cependant le connétable de Castille, Veverneurs de villes ou de provinces qui ne cherlasco, luttait en Franche-Comté contre MM. de chaient qu'à faire chèrement acheter leur adhésion. Tremblecourt et d'Haussonville, seigneurs lorrains, Enfin, Mayenne lui-même (le 25 septemb.) se déavoués par le roi, et avait repris sur eux Vesoul. clare prèt à fixer des conditions définitives de paRéuni à Mayenne, il se retourna vers la Bourcification dans un délai de trois mois. Depuis huit gogue. Henri se hata d'accourır. Il arrive à Dijon, jours déjà le pape avait solennellement prononcé et, apprenant que Velasco avait déjà jeté deux l'absolution de Henri IV. Ses ambassadeurs à Rome, ponts sur la Saône, il charge Odet de Matignon les cardınaux d'Ossat et du Perron, s'agenouillède tenir en respect la citadelle, qui ne s'était pas rent devant le saint-père sur la place du Vatican; encore rendue, puis, avec mille cavaliers et cinq on récita sur leur téte le psaume Miserere, et le cents arquebusiers à cheval, il marche à l'ennemi. | grand pémtencier, à chaque verset, les toucha de Cette nouvelle, répandue partout, ôtait aux ligueurs leur dernier prétexte de résistance, et venait opérer une heureuse diversion aux difficultés de la guerre que les Espagnols continuaient toujours. Ils avaient renoncé à s'emparer de la couronne de France, mais non pas à s'approprier deux de ses provinces, la Bourgogne et la Picardie. Ils dirigérent toutes leurs forces de ce côté, et parvinrent à y maintenir Henri IV en échec. Le duc d'Aumale leur livra le château de Ham, trahison pour laquelle il fut condamné à mort, en contumace, par le Parlement de Paris. Ils prirent de vive force le Catelet (juin 1595), Doullens (juill.), ❘ rage peut-etre à lutter contre un tel désordre, s'il sa baguette blanche, à l'imitation, dit de Thou, des anciens Romains affranchissant leurs esclaves; puis le pape déclara recevoir Henri « roi de France et fils de l'Église. >>> livraient les financiers, du camp devant la Fère écrivait à Rosny: « Je suis proche des ennemis, et n'ai quasi pas un cheval sur lequel je puisse combattre, ni un harnois complet que je puisse endosser; mes chemises sont toutes déchirées, mes pourpoints troués au coude; ma marmite est souvent renversée, et depuis deux jours je dine et soupe chez les uns et chez les autres, mes pourvoyeurs disant n'avoir plus moyen de rien fournir pour ma table.. Jugez si je mérite d'etre ainsi traité, et si je dois plus longtemps souffrir que les financiers et trésoriers me fassent mourir de faim, et qu'eux tiennent des tables friandes et bien servies. » L'infidélité des collecteurs de deniers publics le réduisait à jouer chaque jour sa vie, et, faute d'argent, à payer d'exemple. Il se fût décou Cambrai (octob.); perdirent ensuite Marseille (fevrier 4596), qui s'était montrée obstinément attachée à la Ligue, et, trois mois aprés, la Fére, que Henri IV assiégea en personne deux années de suite; mais les généraux de Philippe se vengèrent par un coup qui retentit douloureusement dans toute la France: ils emportèrent Calais d'assaut (21 mai 1596). Cependant l'année 4596 vit la fin solennelle de la Ligue et la soumission publique de son chef. Par l'édit de Folembray (34 janv.), le roi, en louant le zèle de Mayenne pour la religion, « l'affection qu'il a montrée à conserver le royaume en son entier, duquel il n'a fait ni souffert le démembrement lorsque la prospérité de ses affaires sembloit lui en donner quelques moyens », lui accordait, ainsi qu'à ses partisans, et nominativement aux princes lorrains, amnistie pleine et entière pour le passé, spécialement pour l'assassinat du feu roi, dont ils étaient déclarés innocents; il lui donnait trois places de sûreté pendant six ans, Chalon-surSaône, Seurre et Soissons, payait toutes ses dettes de guerre, et lui allouait une somme de 3 580 000 livres, valant aujourd'hui environ treize millions de francs. Par deux autres édits rendus le même mois à Folėmbray, le roi traita avec le duc de Nemours, qui mourut sans avoir eu le temps d'en profiter, et avec Joyeuse, qui se contenta de la charge de maréchal de France, de la lieutenance générale de la moitié du Languedoc et de 1470000 livres, en échange de Toulouse et du pays où jusqu'alors il s'était maintenu en rébellion. Ce fut sur ces entrefaites qu'on apporta au roi la nouvelle de la reddition de Marseille, suivie bientôt de la soumission du duc d'Épernon, qui, pendant de longues années, s'était presque fait de la Provence une souveraineté indépendante. EDIT DE NANTES ET PAIX DE VERVINS. Cette guerre, lorsqu'il y avait à l'intérieur tant de plaies à fermer, épuisait le royaume. Henri, à bout d'expédients contre les misères du peuple, et sans armes contre les déprédations auxquelles se n'eût senti à ses côtés le dévouement de Rosny, esprit rude et sans grace, mais régle et habile au ménage, brusque en parole, apre au conseil comme au combat, intéressé autant qu'il fallait pour sa maison, mais qui, sa foi donnée, était tout entier au roi. Henri fit appel à son honneur, lui promit ample part à sa reconnaissance, et lui assigna sa tâche. En 1595, il avait essayé déjà de l'introduire, mais sans titre ofticiel, dans le conseil des finances, dont les intrigues et la malveillance l'avaient bientôt réduit à sortir. Il l'y réinstalla bon gré mal gré, et le chargea, pour se préparer à la grande œuvre qu'ils méditaient, d'étudier en détail le fonctionnement des recettes provinciales, lui signalant surtout la multitude de non-valeurs portées en compte chaque année, et dont se couvraient les fraudes. Dès les premiers mois, Rosny arracha 50000 écus aux pillards. Henri était à Rouen, où il avait convoqué une assemblée de notables qu'il ouvrit, le 4 novembre 1596, dans l'abbaye de Saint-Ouen, par cet excellent discours : « Si je voulois acquérir le titre d'orateur, j'aurois appris quelque belle et longue harangue, et vous la prononcerois avec assez de gravité. Mais, Messieurs, mon désir me pousse à deux plus glorieux titres, qui sont de m'appeler libérateur et restaurateur de cet Estat. Pour à quoy parvenir je vous ay assemblez. Vous savez, à vos dépens, comme moi aux miens, que lorsque Dieu m'a appelé à cette couronne, j'ay trouvé la France non-seulement quasi ruinée, mais presque toute perdue pour les François. Par la grâce de Dieu, par les prières et bons conseils de mes serviteurs qui ne font profession des armes, par l'épée de ma brave et généreuse noblesse, par mes peines et labeurs, je l'ai sauvée de la perte; sauvons-la à cette heure de la ruine. Participez, mes chers sujets, à cette seconde gloire, comme vous avez fait à la première. Je ne vous ay point appelez, comme faisoient mes prédécesseurs, pour vous faire approuver mes volontés; je vous ay assemblez pour recevoir vos conseils, pour les croire, pour les suivre, bref pour me mettre en tutelle entre vos mains, envie qui ne prend guère aux rois, aux barbes grises et aux victorieux. Mais la violente amour que je porte à mes sujets me fait trouver tout aisé et honorable. Mon chancelier vous fera entendre plus amplement ma volonté. » Elle était assez évidente pour tous. C'étaient de nouvelles ressources qu'il demandait, quoiqu'on pût se tromper à cette familiarité spirituelle qui cachait tant de finesse. Les notables fixérent les revenus d'État, on dirait aujourd'hui le budget des recettes, à 9 800 000 écus, dont ils firent deux parts à peu près égales, l'une destinée aux dépenses du roi et de la guerre, l'autre affectée au payement de la dette, des fonctionnaires civils et des travaux publics. Laissant au roi la libre disposition de sa part, ils demandèrent qu'une commission d'entre eux, sous le titre de Conseil de raison, réglat la distribution de la seconde part des revenus du royaume. Le roi approuva tout; il approuva aussi l'impôt du sou pour livre que les notables établirent, et qui les rendit impopulaires; mais, comme il l'avait bien prévu, les entraves et les hostilités que rencontra le Conseil de raison furent telles que ses membres donnèrent leur démission au bout de trois mois. Sur ces entrefaites, arriva tout à coup à Paris la nouvelle de la prise d'Amiens. Un matin (11 mars 1597), le peuple étant au sermon, quinze ou seize officiers et soldats espagnols vêtus en paysans, quelques-uns en femmes, s'étaient présentés à l'une des portes, chargés de sacs et menant des charrettes; par hasard, un des sacs s'entr'ouvre et laisse échapper des noix, sur lesquelles se précipitent, en gaussant, les gens de garde. En un instant ils sont massacrés, la porte prise, le signal donné à une embuscade apprêtée dans le voisinage. Quatre cents cavaliers armés de toutes pièces donnent jusqu'à la grande place, au grand étonnement des habitants, qui ne songent pas même à se défendre, « chacun ne pensant qu'à fermer sa porte. » Le comte de Saint-Paul, qui y commandait, après de vains efforts, n'a que le temps à peine de s'échapper, « lui sixiesme seulement. » C'était plus que la perte d'une ville jugée jusqu'alors imprenable; c'était la ruine des projets de Henri, qui avait accumulé là d'immenses approvisionnements et quarante pièces de canon. « Le roi pensa rêver quand il oït raconter cette prise, tant il la trouva estrange; puis, songeant un peu, dit : « C'est assez >> faire le roy de France, il est temps de faire le roy » de Navarre. » (Lestoile.) Le jour même il écrivit à ses lieutenants, à ses gentilshommes, et partit. Ce fut une bien autre affaire, l'armée réunie, de ramasser vivres et argent. Il y parvint cependant, grâce à Rosny, qui eut dès lors la principale autorité dans le conseil des finances. Par ses soins, et pendant les six mois que dura le siége, le roi put disposer sans mécompte d'une formidable artillerie, d'un matériel inépuisable, et d'allocations régulières pour la solde des Suisses et des gens d'armes, en somme plus de six millions de livres, que, pour déjouer les fraudes, M. de Villeroy prit à charge de répartir lui-même. Des marchés con 1 1 clus avec des fournisseurs y assuraient le pain et les vivres, et, pour la première fois, on y vit un centre organisé d'ambulances pour recueillir les malades et les blessés. Une armée de secours, amenée aux Espagnols par le cardinal d'Autriche. fut bravement repoussée par le duc de Mayenne, qui ce jour-là peut-être sauva le roi. La ville, enfermée dans une circonvallation de dix-huit lieues, enceinte de sept forts, se rendit le 25 septembre 1597. Pillée par les Espagnols, elle fut encore dépouillée de ses plus beaux priviléges, et munie de bonne garnison avec un château royal, << pour que les bourgeois ne pussent plus dire : <<< Nostre ville. » (D'Aubigné.) Ce succès, qui fut applaudi par les Parisiens avec enthousiasme, anéantit toutes les factions qui déjà se soulevaient, n'attendant qu'un désastre pour éclater. Ce fut d'ailleurs le dernier fait de guerre. Deux jours après la reddition d'Amiens, des cinq mille gentilshommes que comptait le roi, il ne lui en restait pas cinq cents. « Tant la légèreté des François est grande! Le conseil avoit esté bien tenu, les résolutions bien prinses, les subjects de bien faire très-beaux, les soldats ennemys estonnez, leurs villes effroyées; mais qui, ainsi que Dieu, peult faire quelque chose de rien?» (Lettre du 22 septembre.) C'est ainsi qu'après chaque victoire il s'était trouvé réduit à l'impuissance. Les négociations pour la paix, depuis longtemps préparées, reprirent d'elles-mêmes. Le 7 février 4598, MM. de Bellièvre et de Sillery pour la France, le président Richardot, le commandeur de Taxis et Louis Verreiken pour l'Espagne, les représentants du pape et du duc de Savoie, se réunirent à Vervins pour préparer un traité solide également souhaité de toutes parts. Le surlendemain, le roi partit de Paris pour terminer enfin la pacification de la Bretagne, la dernière province où la rébellion se maintint encore. « C'est de ce côté, écrivait-il à Duplessis-Mornay, qu'il nous faut tourner tous nos vœux, nos forces et tous nos moyens, avec nos personnes et nostre sang. Il n'y fallut pas tant de peine; les Bretons avaient hâte de se rallier. Henri reçut de tous côtés leurs soumissions sur son passage, et, arrivé à Angers, la duchesse de Mercœur, au nom de son mari, lui vint demander les conditions de la paix. Le roi, en échange des villes qu'il tenait encore, lui accorda 4 200 000 livres, et voulut signer à Angers même le contrat de mariage de la fille aînée du duc, âgée de six ans, avec le premier fils qu'il avait eu de Gabriel d'Estrées, enfant àgé de quatre ans, qu'il avait créé pair de France et doté du duché de Vendôme. Parvenu à Nantes, voyant la France pacifiée à l'intérieur, des négociations pour la paix avec l'étranger heureusement conduites et près d'aboutir, Henri IV songea à calmer en roi les haines et l'intolérance des partis. Au milieu de ses plus éclatants succès, il lui avait fallu compter plus d'une |