feu comte de Brézé, mort en 4534, possédait ce domaine depuis un siècle environ. Philibert Delorme dut conserver l'ancien manoir et se borner à le métamorphoser en une demeure moderne, la plus somptueuse qu'on pût créer, pour répondre aux vœux du roi. Il donna aux bâtiments la forme d'un double quadrilatère : l'un, d'une étendue immense, bornait les jardins en les entourant d'un portique à jour, sous lequel on circulait à l'abri, comme dans les anciens cloîtres; l'autre, placé sur l'un des côtés du premier, se composait des bâtiments, auxquels donnait accès une entrée monumentale. La principale façade, plus riche que les ailes, était décorée à son milieu d'un portail à trois étages où les trois ordres grecs, le dorique, l'ionique et le corinthien, étaient superposés, et décorés chacun du genre de sculptures qui lui conviennent. Le plus élevé, et le plus léger des trois, l'ordre corinthien, comprenait dans son ornementation une statue de la déesse Diane, au-dessus de laquelle se découpaient dans le ciel les armes de la maîtresse du logis. C'était Jean Goujon que l'architecte s'était associé pour les sculptures; et pour les peintures, Jean Cousin. La porte d'entrée, surmontée d'une horloge curieuse où un cerf de bronze marquait les heures en frappant du pied, formait une arcade, dans le tympan de laquelle Henri II avait fait placer un bas-relief, également de bronze, que le célèbre ciseleur florentin Benvenuto Cellini avait fait pour Fontainebleau. La somptuosité des appartements répondait à l'importance de l'extérieur; Henri II avait pris soin lui-même d'y accumuler tout ce que pouvait produire le luxe de son temps. Il avait ses appartements particuliers dans le château, et l'on y voit encore son chiffre, l'H entremêlée au C, qui n'est plus ici la première lettre du nom de Catherine, son épouse, mais le croissant, emblème de Diane. Après avoir passé successivement aux maisons de Lorraine, de Vendôme, de Condé, de Penthièvre, Anet est tombé dans le dernier délabrement. Sa chapelle seule est assez bien conservée, grâce à la science avec laquelle elle avait été bàtie; mais on ne sait ce que sont devenues les statues des douze apòtres que Goujon y avait sculptées, ni les vitraux que Cousin avait peints pour ses fenêtres. A la fin du dernier siècle, le portail à trois étages de la grande façade fut transporté à Paris et réédifié dans la cour de l'École des beaux-arts. L'entrée monumentale existe encore, mais privée de sa Nymphe de Fontainebleau, la statue de Cellini, que l'on conserve maintenant au Musée du Louvre (sculpt. no 35). Philibert Delorme exécuta encore quelques travaux à Lyon, sa ville natale; il båtit le château de Meudon, et, à Saint-Denis, la chapelle funéraire des Valois, commandée par Catherine de Médicis, deux ouvrages qui sont démolis depuis longtemps; il produisit un grand nombre d'autres œuvres importantes, notamment le château de Villers-Costerets et l'admirable tombeau de François Ier (voy. p. 39). Catherine l'avait récompensé en lui don nant (4555) les abbayes de Saint-Éloi de Laon et de Saint-Serge d'Angers. Il fut aussi, sous l'inspiration de cette Italienne dont le goût eut, pendant son long règne, une grande influence sur celui de la France, Je premier auteur du palais des Tuileries. « Madame, lui dit-il dans la dédicace de son Traité d'architecture, publié en 4567, je voy de jour en jour l'accroissement du grandissime plaisir que Votre Majesté prend à l'architecture, et comme de plus en plus votre bon esprit s'y manifeste et reluit quand vous-même prenez la peine de portraire et esquicher les bastiments qu'il vous plaist commander estre faits, sans y omettre les mesures des longueurs et largeurs, avec le département des logis, qui véritablement ne sont vulgaires et petits, mais fort excellents et plus que admirables, comme entre plusieurs est celuy du palays que vous faistes bastir de neuf en Paris, près la porte Neufve et le Louvre, lequel palays je conduis, de votre grace, suivant les dispositions, mesures et commandements qu'il vous plaist m'en faire. »> C'est en l'année 4564 que furent commencés les travaux du palais des Tuileries, bien différent aujourd'hui de ce qu'il était dans son premier état. Il se composait du pavillon central, surmonté alors d'un léger dome circulaire accosté à droite et à gauche des deux portiques qui existent encore, mais dont les arcades étaient ouvertes sur le jardin, et l'édifice se terminait par les deux corps de båtiments qui suivent, majestueux pavillons carrés percés seulement de trois fenêtres de face, et qui furent construits par Jean Bullant, en 4574. Philibert Delorme attachait beaucoup de prix à une innovation qu'il introduisit dans l'architecture française. « Je ne l'avois encore vue, dit-il, ni aux édifices antiques, ni aux modernes, ni encore moins dans nos livres d'architecture. » Il s'agit des colliers ou tambours dont il chargeait les colonnes, dans le but d'annuler le mauvais effet des joints; car la colonne, destinée à soutenir le faix de l'édifice, devrait, suivant la logique de l'art, être d'un seul morceau. Son idée eut assez de succès pour que sa colonne à tambours, qu'il appelait «< colonne françoise », soit demeurée un des caractères de l'architecture de notre pays jusqu'à la fin du règne de Louis XIII; mais elle nous semble aujourd'hui beaucoup plus difficile à justifier que le défaut qu'on prétendait cacher par cette invention lourde et bizarre. Delorme mourut en 4577, Bullant en 4578. Pierre Lescot les avait précédés, et la cour du Louvre, dont nous lui sommes redevables, date de l'année 1540; mais nous avons préféré garder pour la fin de cette esquisse le chef-d'œuvre de l'architecture française du seizième siècle. Pierre Lescot était un enfant de Paris; il y naquit en 4540, et y termina sa carrière en 4574. On ne sait rien des événements de sa vie; on ne le connaît que par ses deux principaux ouvrages, le Louvre et la fontaine des Innocents. Le Louvre, vieille forteresse de la monarchie capétienne, et dont le massif donjon dressé sur le bord de la Seine, la tour maîtresse du royaume, comme on l'appelait, était le fief suzerain d'où relevaient en dernier ressort tous les manoirs féodaux de France, le Louvre, comme château fort, n'avait plus de sens à l'époque de François Ier. Ce prince entreprit d'en faire un palais digne de la royauté absolue. D'ailleurs les vieux bâtiments de Philippe-Auguste, malgré les rajustements qu'y avaient faits ses successeurs, principalement le roi Charles V, tombaient en ruines. Quelques répara tions qu'on y exécuta pour recevoir l'empereur Charles-Quint, lorsqu'il traversa la France en 4539, et qui nécessitérent diverses démolitions, furent l'occasion de cette grande entreprise. Pierre Lescot, qui avait alors trente ans à peine, fut l'architecte à qui le roi confia l'exécution de ses projets, de l'avis mème de l'architecte italien Séb. Serlio, surintendant de ses båtiments et auteur d'une partic de ceux de Fontainebleau. On rasa l'édifice ancien; mais il fallait reconstruire le nouveau sur les mèmes fondements. Or le Louvre de Philippe-Auguste formait un carré dont la surface était le quart de la cour actuelle du Louvre. Il s'étendait depuis ce qu'on appelle aujourd'hui le guichet du pont des Arts, en suivant la Seine dans la direction des Tuileries, jusqu'à l'angle sud-est du carré, puis de là, parallèlement aux Tuileries, jusqu'au pavillon de l'Horloge. Ces deux côtés marquent exactement la position du carré primitif, qui devait être porté plus tard au quadruple (en 4624); leurs murs ne s'élevaient guère hors de terre à la mort de François Ier, et ils étaient les seuls achevés quand Lescot lui même mourut. Lors donc qu'aujourd'hui l'on parcourt du regard cette cour splendide, qui n'a été agrandie qu'en suivant le plus scrupuleusement possible l'ordonnance primitive, on doit cependant tenir compte à l'architecte de cette circonstance, que son plan n'embrassait pas une aussi vaste étendue. Le pavillon de l'Horloge et les trois autres qui lui correspondent ont été ajoutés postérieurement, et, dans l'œuvre de Pierre Lescot, les façades principales du monument étaient les petits avantcorps surmontés de frontons en ligne courbe, qui divers: le Florentin Paul Ponzio, dit Trebati, homme au ciseau plein d'énergie, et Jean Goujon, le sculpteur français qui a le mieux su donner à la pierre la suavité des contours. Au premier il confia l'or nementation des étages supérieurs, qui ne se voit qu'à distance, et au second celle des parties où l'oeil atteint plus facilement. Par cette entente délicate de toutes les parties qui devaient concourir à l'ensemble, Pierre Lescot était parvenu à composer un monument sans rival par son admirable harmonie. Nous ne saurions mieux exprimer l'opinion inspirée aux connaisseurs par la contemplation de la cour du Louvre qu'en empruntant les paroles d'un des nombreux architectes modernes qui l'ont admirée : « La division des façades de cette cour est des plus heureuses. Le rez-de-chaussée est divisé en arcades qui, par leur saillie, ont un grand caractère de fermeté, et dont chaque pile est un véritable contre-fort qu'on a su embellir avec art, sans en dissimuler la fonction. Au-dessus s'élève l'étage principal, l'étage noble, comme disent les Italiens. Tout indique, en effet, que là doivent se trouver les grands appartements; les avant-corps s'y dessinent plus franchement qu'au rez-de-chaussée, et motivent dans l'attique (le dernier étage) une suite de frontons à lignes courbes qui rompent agréablement la ligne droite de la corniche supérieure. C'est surtout dans la composition et les proportions de cet étage d'attique que Pierre Lescot s'est montré artiste consommé. Il était impossible de mieux couronner son édifice; ét de mème qu'une femme réserve tout le luxe de sa toilette pour sa coiffure, de même notre architecte a compris que le luxe de sa décoration devait aller en croissant, à mesure qu'il approchait du faite de l'édifice aussi n'a-t-il rien négligé pour que cet attique fût à la fois élégant, noble et pompeux. Destiné aux logements des personnes de la suite du roi, cet étage devait être éclairé par des fenêtres de petite dimension, qu'il devenait difficile d'harmoniser avec celles des étages inférieurs. Mais Lescot ne recula pas devant cette donnée, et il sut si bien attirer les yeux ailleurs qu'à peine les aperçoit-on. Il ne s'arrêta pas là, et, acceptant franchement la nécessité des combles élevés et des écoulements d'eaux, il mit tant d'art et de goût dans la composition des chéneaux et dans celle des cheminées, il apporta une telle recherche dans l'ornementation des faîtages en plomb doré dont il couronna l'extrémité des toits, que la partie supérieure de l'édifice pouvait presque passer pour la plus belle. Si dans la composition et dans la décoration de ces façades du Louvre on est tenté de reprocher à Pierre Lescot une trop grande profusion d'ornements, il ne faut pas cependant perdre de vue quelles étaient alors la splendeur et la magnificence de la cour pour laquelle il élevait un tel palais. Ces pierres incrustées de marbres précieux, sculptées et découpées avec tant de recherche, n'avaient assurément rien de trop riche comparées au luxe de ces hommes qui, rivalisant avec les femmes, prodiguaient dans leurs vêtements le velours, le satin, les plumes, l'or et les broderies. En somme, les belles façons et la galante courtoisie de la cour de Henri II ne pouvaient avoir un asile plus digne d'elles. L'architecture du Louvre est la dernière et la plus haute expression de l'art sous les règnes de François Ier et de Henri II. C'est un édifice tout français, élevé par un génie français pour des princes français, et dont on chercherait vainement non-seulement le modèle, mais l'égal en Italie. » (L. Vaudoyer, Etud. d'archit.) L'architecture du seizième siècle n'était pas magnifique pour les rois seulement et pour les habitations seigneuriales; elle répandait ses grâces sur de plus humbles demeures. Et quoique le temps les fasse disparaître chaque jour, beaucoup de nos villes, souvent des plus petites, en conservent encore. On peut citer comme les plus belles la maison dite de Diane de Poitiers, à Orléans; celles dites d'Agnès Sorel et de François Ier, dans la même ville; la maison également dite de François Ier qui provient de Moret, près Fontainebleau, et qui fut transportée pierre par pierre, en 1825, à Paris, aux Champs-Élysées; enfin la jolie maison qui subsista rue Saint-Paul, à Paris, jusqu'en 1835, année où on la démolit. Il en existe une foule d'autres qui approchent de celles-là par l'élégance. N'oublions pas, en terminant ces lignes trop rapides sur l'architecture française du seizième siècle, de mentionner le beau corps de bâtiments construit sous Charles IX, par l'architecte Pierre Chambige, pour joindre l'angle sud-est du Louvre à la longue galerie parallèle à la Seine, et surtout l'hôtel de ville de Paris, fondé, en 1533, sur les plans d'un artiste italien, Dominique Boccadoro de Cortone; charmant édifice, mais qui, comme les Tuileries et comme le Louvre, devait devenir un jour trop petit pour la grandeur de Paris et de la France. Nous avons cité quelques sculpteurs (4). Dans le mérite de tant de beaux édifices, la part de la sculpture est très-importante. La décoration intérieure du Louvre, par exemple, ne le cède pas à sa structure extérieure, et l'on ne saurait guère citer une salle plus noble et plus belle que celle des Cariatides, dont le principal ornement est une tribune en marbre blanc soutenue par quatre admirables colosses féminins dus au ciseau de Jean Goujon. On n'est pas mieux renseigné, sur la vie de Jean Goujon, que sur celle de Pierre Lescot, quoique une tradition (qu'aucun document certain n'est venu justifier) le fasse mourir victime de la Saint-Barthélemy, atteint par les assassins sur l'échafaudage même où il travaillait aux façades du Louvre. Outre ceux de ses ouvrages que nous avons cités, on conserve de lui au Musée du Louvre une Descente de croix, groupe de huit personnages; quatre figures des Évangélistes; trois groupes de naïades et de tritons, bas-reliefs en pierre qu'il avait sculptés, les cinq premiers pour l'église de Saint-Germain l'Auxerrois, les trois derniers pour le soubassement de la fontaine des Innocents; enfin une grande statue de Diane, en marbre, couchée, s'appuyant sur le cou d'un cerf, et tenant un arc dans la main gauche. Cette statue, qui formait le couronnement d'une des fontaines du château d'Anet, a passé, mais c'est encore une fausse tradition, pour être un portrait de Diane de (') Dans ce chapitre, et aux pages 16 et 39 (notes). Poitiers. On a aussi de Goujon deux figures en basrelief placées au-dessus de la porte d'une maison de Paris, l'hôtel Carnavalet, et l'on sait qu'il travailla, en 4544 et 1542, à l'église de Saint-Maclou de Rouen et à la cathédrale de cette ville. Sa gracieuse fontaine des Innocents date de l'an 4550, et le temps de sa plus grande activité au Louvre est l'intervalle des années 1555 à 4562. Germain Pilon fut son émule et son contemporain; il était originaire de Loué, près du Mans, travailla surtout à Paris, et y mourut en 1590. Ce fut un grand artiste qui s'inspira beaucoup de la grâce des peintres italiens, et dont la main féconde produisit une foule de sculptures de marbre, de pierre, de bronze, de bois, de terre cuite, et même de carton-pâte, car il est question, dans l'historien de Paris, Sauval, d'un « crucifix de carte » que Germain Pilon fit pour les pénitents du collége Saint-Michel. Nous avons mentionné (p. 39 et 54) la part qu'il prit aux tombeaux de François Ier et de Henri II. On conserve de lui, au Musée du Louvre, de très-beaux bustes en albâtre de Heuri II, Charles IX (p. 74) et Henri III; un charmant buste d'enfant qu'on croit être aussi Henri III; quatre figures de Vertus provenant de la chaire de l'église des Grands-Augustins de Paris; une Prédication de saint Paul, bas-relief en pierre, et une Déposition du Christ, bas-relief en bronze; une cheminée monumentale en marbre de diverses couleurs; les quatre Vertus cardinales, grandes statues en bois qui soutenaient au-dessus de leurs têtes la chasse de sainte Geneviève; les tombeaux du chancelier de Birague et de Valentine Balbiani sa femme; enfin, les trois Grâces, sur la tête desquelles reposait l'urne contenant le cœur de Henri II, admirable groupe taillé, vers l'année 1560, dans un seul bloc de marbre, et le plus célèbre ouvrage de Germain Pilon. Il faut citer encore, au nombre des grands sculpteurs du seizième siècle, le Lorrain G. Richier, auteur d'une Déposition du Christ, beau groupe de treize figures de grandeur naturelle, en pieric, ornant l'église de Saint-Mihiel (on conserve de lui, au Louvre, une statuette de l'Enfant Jésus et un bas-relief du Jugement de Suzanne); Fremyn Roussel, dont on a (au Louvre) une statue de Génie lisant, et un groupe de la Charité qui avaient été destinés au tombeau de François II; Barthélemy Prieur, auteur du tombeau monumental du connétable Anne de Montmorency, mort en 4567, et de Madeleine de Savoie sa femme, morte en 4586. L'une des plus sérieuses et des plus belles œuvres de la même époque est la statue de marbre représentant Philippe de Chabot, amiral de France (mort en 1543), à demi couché sur son tombeau. Un ancien auteur (G. Brice, 4685) en fait honneur à Jean Cousin, et cette attribution a suffi pour faire longtemps regarder cet habile peintre comme étant aussi l'un de nos plus habiles sculpteurs; mais l'exacti tude de ce renseignement est aujourd'hui contestée. |