Louis XII pour s'en faire un appui. Il travailla done sincèrement à procurer la paix, dont le roi de France avait besoin, et traita pour sa part avec lui (mars 4544). Celui-ci s'était montré fort blessé de ce que, dans le traité de Dijon que les Suisses avaient cru conclure, on avait stipulé qu'il renonçait à tous ses droits sur le duché de Milan; mais les événements le conduisaient forcément à ce résultat. De guerre lasse, il laissa pour quelque temps le fils de Ludovic le More paisible possesseur du Milanais, et acquit à ce prix la neutralité du pape, des Suisses et de l'empereur. Anne de Bretagne mourut le 9 janvier 4514. La fin de son influence, qui, sur le trône même de France, avait toujours été si peu française, parut au plus grand nombre un bonheur dont le premier effet fut de permettre enfin l'accomplissement du mariage de Madame Claude avec François d'Angoulême. Leur union fut célébrée le 18 mai à SaintGermain-en-Laye. La mort de la reine eut aussi pour conséquence de suggérer les bases d'une paix sérieuse entre la France et l'Angleterre. Henri VIII avait accordé Marie, sa sœur, à l'archiduc Charles d'Autriche; mais, fatigué des lenteurs qu'on apportait à réaliser ce mariage et des menées perpétuellement astucieuses de Maximilien et de Ferdinand, il préta l'oreille à des propositions toutes différentes. Des seigneurs français, prisonniers à Londres depuis l'affaire de Guinegate, principalement le duc de Longueville, qui jouait habituellement à la paume avec lui, cherchèrent à le rapprocher de leur souverain; «et ledit sieur (de Longueville), qui estoit homme sage et de bon esprit, mena tellement l'affaire, de poste en poste, que le mariage feust conclud de madame Marie d'Angleterre et du roy de France.» (Fleuranges.) Les deux époux, âgés, le mari de cinquante-trois ans, et la femme de seize, furent unis, le 9 octobre, à Abbeville, où on leur fit, au bruit de la joie populaire, «des nopces triomphantes. >> Mais Louis n'avoit pas grand besoin d'estre marié, pour beaucoup de raisons, et aussi n'en avoit-il pas grant vouloir; mais parce qu'il se voyoit en guerre de tous costez, qu'il n'eust pu soustenir sans grandement foullér son peuple, ressembla au pellican. Car après que la reine Marie eust fait son entrée à Paris, et que plusieurs joustes et tournois furent achevez, qui durèrent plus de six sepmaines, le bon roy, qui à cause de sa femme avoit changé toute manière de vivre (car, où souloit disner à huyt heures, convenoit qu'il disnast à midy, et où il souloit se coucher à six heures du soir, souvent se couchoit à minuyt), tomba malade à la fin du moys de décembre; de laquelle maladie tout remède humain ne le put garantir qu'il ne rendist son âme à Dieu, le premier jour de janvier (1515), après la minuyt.» Le loyal serviteur du chevalier Bayard, qui rapporte ainsi la mort du roi en faisant l'histoire de son maître, y ajoute ce portrait du défunt : « Ce fut en son vivant ung bon prince, saige et vertueux. Plusieurs victoires obtint sur ses ennemys; mais, sur la fin de ses jours, fortune luy tourna un peu son effrayé visaige. Il fut plainct et ploré de tous ses subjects, car il les avoit tenus en paix et en grande justice; de façon que, après sa mort, et toutes louanges dictes de luy, fut appelé Père du peuple. » — « Le dict feu roy estant au château des Tournelles de Paris, dit un second chroniqueur, feust commencé à luy faire son enterrement, comme on a de coustume faire aux autres rois; qui sont belles cérémonies et antiques. Et en portant son corps des dictes Tournelles à Nostre-Dame, avoit gens devant avecques des clochettes, lesquelles sonnoient. Et crioient : « Le bon roi Louis, » père du peuple, est mort!» (Fleuranges.) La douleur publique était sincère. Beaucoup de gens blåmaient le défunt des guerres malheureuses qu'il avait faites en Italie, «disant qu'il debvoit, ainsi que feit le roy Louys onziesme, borner son royaume et non point sortir dehors »; mais la France en avait peu souffert, et la tranquillité relative des trois derniers règnes, du dernier surtout, après les désastres précédents, l'avait portée à un degré de prospérité inouï jusqu'alors. Un contemporain, Claude de Seyssel, gentilhomme et bel esprit savoyard que Louis XII s'était attaché, et qu'il avait fait évêque de Marseille, nous a laissé de cette phase heureuse le tableau suivant, qui, pour avoir été tracé du vivant du roi, et d'une plume enthousiaste, n'en est pas moins conforme à la vérité : « Vray est qu'il est plus pompeux en habillemens (Louis XII) et accoutremens de sa personne que ne feut le dict roy Louys onziesme. Car sans point de faulte celuy-ci feut en celle partie trop extresme; tellement qu'il sembloit bien souvent mieulx un marchand ou homme de basse condition que un roy; qui n'est pas bien séant à un grand prince. Mais le roy qui est à présent ha en cecy gardé tellement la médiocrité que on ne luy pourroit imputer d'estre excessif en trop, ne en peu. Aussi l'ha-il gardé touchant la despense de bouche dont l'autre estoit par trop excessif et curieux. Et néantmoings ha tenu tels moyens que son royaume est beaucoup plus riche d'argent et de toutes choses qu'il ne feut jamais auparavant; quoyque veuillent maintenir plusieurs gens au contraire, disant que les guerres d'Italie ont espuisé ledict royaume d'argent. Et pour monstrer qu'ainsi soit comme je dis, l'on veoid généralement par tout le royaume bastir grands édifices tant publiques que privez, sont pleins de dorures, non pas les planchers tant seulement et les murailles qui sont par le dedans, mais les couvertes, les toits, les tours et imaiges qui sont par le dehors. Et si sout les maisons meublées de toutes choses trop plus somptueusement que jamais ne feurent. Et use-l'on de vaisselle d'argent, en tous estats, sans comparaison, plus qu'on ne souloit, tellement qu'il ha esté besoin sur cela faire ordonnance pour corriger cette superfluité. Car il n'y ha sorte de gens qui ne veuillent et des femmes trop plus grands, et le prix des héritages et de toutes autres choses plus hault. Et si trouve-l'on assez plus de vendeurs que d'acheteurs. (') Ce monument, l'un des plus beaux de la renaissance, fut exécuté, de 1517 à 1518, par ordre de François Ier. Il est tout entier en marbre d'Italie. On l'avait attribué d'abord, par erreur, à Paul Ponce Trebati; on paraît unanime aujourd'hui pour faire honneur à la fois de la composition et de l'exécution au statuaire français Jean Juste, de Tours, et à son frère Antoine. Les bas-reliefs représentent l'entrée de Louis XII à Milan, la journée où il força le passage des montagnes de Gênes, et la bataille d'Agnadel. Et, qui est chose trop apparente, le revenu des bénéfices, des terres et des seigneuries est creu partout généralement de beaucoup. Et plusieurs en y ha qui à présent sont de plus grand revenu par chascune année qu'ils ne se vendoient, du temps mesme du roy Louys onziesme, pour une fois. Et pareillement les fermes des gabelles, péages, greffes et de tous autres revenus sont augmentées bien grandement et en plusieurs lieux plus de deux tiers; en autres, de dix parts les neuf. Aussi est l'entrecours de la marchandise tant par mer que par terre fort multiplié. Car pour le bénéfice de la paix qui ha esté de ce règne, et pour l'auctorité et réputation que les François ont eu en Italie, Allemaigne, Espaigne, Angleterre et autres pays et provinces tant maritimes que terrestres, toutes gens (excepté les nobles, lesquels encore je n'excepte pas tous) se meslent de marchandise. Et pour un marchand que l'on trouvoit du temps dudict roy Louys onziesme, riche et grosser à Paris, Rouen, à Lyon et austres bonnes villes du royaume, l'on en trouve de ce règne plus de cinquante; et si en ha par les petites villes plus grand nombre qu'il n'en souloit avoir par les grosses et principales citez. Tellement qu'on ne faict guère maison sur rue qui n'ait boutique pour marchandise ou pour art mécanique. Et font à présent moins de difficulté d'aller à Rome, à Naples, à Londres et ailleurs de là la mer, qu'ils faisoient autresfois d'aller à Lyon ou à Genève. Tellement que aucuns en y ha qui, par mer, sont allez chercher et ont trouvé des terres nouvelles. Car la renommée et l'auctorité du roy à présent régnant est si grande, que ses subjects sont honnorez et supportez en tous pays, et n'y ha si grand prince qui les osast outraiger ni permettre qu'ils le feussent en sa terre et seigneurie. L'on veoid aussi par tout le royaume faire jeux et esbattemens à grands frais et cousts, qui sont choses qui jamais ne se feirent, ne se peuvent faire en pays pauvre. Et si, suis informé par ceulx qui ont principale charge des finances du royaume, gens de bien et d'auctorité, que les tailles se recouvrent à présent beaucoup plus aisément et à moins de contraincte et de frais, sans comparaison, qu'elles ne faisoient du temps les rois passez. » François, comte d'Angoulème et duc de Valois, était cousin du roi défunt. Il descendait comme lui du frère de Charles VI, Louis d'Orléans, et de la belle Valentine de Milan; Jean, comte d'Angoulème, son grand-père, était le frère cadet du poëte Charles d'Orléans, père de Louis XII. Ce nouveau roi de France était alors un jeune homme de vingt ans, grand, brun, adroit et fort, « le plus bel homme de son royaume, de bone grace, bien parlant, dextre de sa personne fust à pied ou à cheval, hardy en guerre plus que sage, amateur de touttes sciences et artz, et en icelles moyennement instruit luy mesme; il estoit libéral, magnanime, humain, et bref, de touttes vertus accompli, horsmis qu'il estoit subject à volupté. (Chron. de Bonivard.) Son air chevaleresque, ses qualités brillantes, son goût des lettres et des arts, les craintes qu'avaient longtemps inspirées les desseins ténébreux d'Anne de Bretagne, toutes les circonstances de sa vie, conspiraient pour que ce jeune homme fùt idolatré. « Jamais roi n'avoit été vu en France de qui la noblesse s'éjouit tant. »> (Loyal servit. de Bayard.) Les fètes de l'avénement remplirent magnifiquement les premiers mois du règne. Louis XII, par compassion pour le peuple, qui portait tout le poids des impôts, s'était montré d'une extrême parcimonie; l'un de ses mots les plus heureux fut qu'il aimait mieux faire rire les courtisans par son avarice que faire pleurer le peuple par ses prodigalités. Son successeur se gouverna par d'autres maximes. Il ne se borna pas à vouloir être magnifique. Marié depuis quelques mois à peine avec une jeune fille de seize ans, François commença néanmoins à étaler ces mœurs légères qui ne l'abandonnèrent pas jusqu'aux derniers jours de sa vie, et qui ont attaché plus particulièrement à son règne un renom de galanterie dissolue. Ses amours adultères étaient déjà publiques à ce point qu'on les jouait, à Paris, sur le théâtre en plein vent de la place Maubert. Louis XII avait laissé une grande liberté aux « Enfants sans souci » et aux autres confréries qui, mêlant au rire « les choses morales et bonnes remonstrations », jetaient alors, dans leurs jeux grossiers, les fondements du théâtre moderne. François ayant appris les allusions que s'était permises à la place Maubert un prètre nommé messire. Cruche, grand fatiste, d'ailleurs, c'est-à-dire grand versificateur, « tost après envoya huict ou dix des principaux de ses gentilhommes qui allèrent soupper à la taverne du Chasteau, rue de la Juifverie; et là fut mandé à faulces enseignes le dict messire Cruche, faignantz luy fayre jouer la dicte farce. Dont luy venu au soir à torches, il fut contrainct par les dictz gentilzhommes jouer la dicte farce; par quoy incontinent et du commencement, iceluy fut despouillé en chemise, battu de sangles merveilleusement et mis en grande misère. A la fin, il y avoit un sac tout prest pour le mettre dedans et le getter par les fenestres, et, finalement, pour le porter à la rivière; et eust ce esté faict, n'eust été que le pauvre homme cryoit très-fort, leur monstrant sa couronne de prestre qu'il avoit en la teste. Et furent ces choses faictes comme advouez de ce faire du roy. » (Journ. d'un bourg. de Paris.) Après les plaisirs, la première pensée du roi fut de convoiter à son tour cette Italie qui avait si fatalement séduit ses deux prédécesseurs. Il avait d'ailleurs à les venger, et lui-même était avide de combats. « Il se voyoit paisible de tous côtés, jeune, riche et puissant homme et de gentil cœur, et gens autour de lui qui ne lui desconseilloient pas la guerre, qui est le plus noble exercice que peult avoir ung prince ou ung gentilhomme, quand c'est bonne querelle. » ( Fleuranges. ) On fit promptement de vastes préparatifs. Le roi donna à Louise de Savoie, sa mère, l'administration et la régence (45 juillet); à Antoine Duprat, premier président au Parlement de Paris, la principale place dans les conseils du royaume, avec le titre de chancelier; au duc Charles de Bourbon, l'épée de connétable, que personne n'avait portée depuis la mort de son cousin Jean de Bourbon (en 1488), et une aimée formidable se rassembla autour de Lyon. Au rapport d'un des chefs qui la commandaient, Robert de la Marck, plus connu, surtout dans l'histoire littéraire, sous son nom de seigneur de Fleuranges, elle se composait : premierement, de 2 500 hommes d'armes d'ordonnance et de 4 500 chevau-légers, sans compter les gentilshommes et gardes ordinaires du roi, ce qui formait environ 30 000 hommes de cavalerie; secondement, de 20 000 fantassins engagés volontairement dans toutes les parties de la France; troisièmement, de 26 000 lansquenets commandés par le duc de Gueldre; enfin, de 72 grosses pièces d'artillerie et de 2 500 pionniers. La France n'avait pas encore envoyé d'armée aussi puissante contre cette malheu reuse famille des Sforza qui, de l'autre côté des Alpes, attendait l'orage, n'ayant pour soutien que l'appui moral du pape, de l'empereur, du roi d'Espagne, et le bras des Suisses. Une armée romaine et espagnole commandée par don Ramondo de Cardona, vice-roi de Naples, se tenait du côté de Plaisance, mais surveillée par celle de Venise, qui agissait de concert avec les Français. Quant aux Suisses, ils étaient vingt mille gardant solidement les passages des Alpes, au mont Cenis et au mont Genèvre. Vouloir passer de force était trop hasardeux; l'expédition se trouvait aux prises, dès son début, avec une difficulté qui paraissait insurmontable. La nécessité inspira aux conseillers du jeune roi la résolution de tourner les positions des Suisses, et d'escalader les Alpes par des routes nouvelles. Les bergers de ces contrées et les chasseurs de chamois indiquèrent quelques sentiers à peine frayés par eux-mêmes; toute l'infanterie française, merveilleusement propre aux hardies entreprises et dirigée par un très-habile ingénieur, don Pedro de Navarre, que François Ier avait enlevé au roi d'Espagne, s'y risqua, frayant son chemin avec le pic, faisant sauter les rocs avec la poudre, traînant les lourds canons de bronze à force de bras, et, à sa suite, la cavalerie, pesamment bardée de fer, franchit et les sommets et les précipices. Ce mémorable passage s'effectua simultanément en trois endroits: le centre partit de Queyras (HautesAlpes) et traversa le mont Viso, l'aile droite de Barcelonette, et l'aile gauche de Briançon. Après cinq jours de travaux inouïs, l'armée tout entière descendait les rampes du versant italien. On était si loin de soupçonner seulement cette entreprise, que le plus renommé des généraux ennemis, Prosper Colonna, averti de l'arrivée des Français en vue de la petite ville de Villafranca où il était, et ne voulant rien en croire, demandait en raillant s'ils étaient vollez par-dessus les montaignes. » Une heure après, Bayard, d'Aubigny, la Palisse et d'Imbercourt, qui conduisaient l'avant-garde de l'aile gauche, pénétraient dans la ville, passaient ses gens au fil de l'épée, et l'enlevaient lui-mème au milieu de son dîner (45 août ). Apprenant qu'on l'avait tournée, l'armée helvétique se replia sur Milan, pendant que les Français prenaient la même direction. Ceux-ci arrivérent à quatorze kilomètres de la capitale des États lombards, à Marignan (1), et s'y campèrent. Cependant le roi, armé d'une louable prudence, cherchait à négocier avec les Suisses, et à les faire retourner chez eux de leur bon gré. Il leur fit offrir de ratifier le traité de Dijon en ce qui concernait l'allocation de 400 000 écus qui, par ce traité, leur avait été promise, de leur racheter les bailliages italiens dont ils s'étaient emparés, et de donner à Maximilien Sforza, en échange de son duché, un apanage en France avec la main d'une princesse française. Les Suisses acceptaient, ou avaient accepté, lorsqu'on vit une seconde armée de ces batailleurs aussi forte que la première accourir par Bellinzona. Les nouveaux venus s'indignèrent en s'entendant proposer de rendre les bailliages, et surtout en entendant parler de paix et de retour quand tout le butin était pour leurs camarades; ils voulurent la bataille, et se disposèrent immédiatement à la donner. Le cardinal de Sion, l'orateur du saintsiége, « ce bon prophète, qui toute sa vie a esté ennemy mortel des François », les animait par ses discours et leur fit, le lendemain de leur arrivée, le matin, sur la grande place de Milan, un sermon qu'il termina en les adjurant de courir aux armes à l'instant même et de ne pas épargner le sang. Quatorze mille Bernois ou autres qui avaient consenti le traité partirent plutôt que de violer leur parole (Fleuranges); le reste, au nombre de vingtquatre mille, avec quelques Milanais du parti de Sforza, se mirent en mouvement aussitôt. Ils avaient pour toute cavalerie cinq cents chevaux environ, et pour artillerie quatre coulevrines tirées du château de Milan. (Fleuranges.) L'armée française comptait à peu près cinquante mille hommes appuyés par une magnifique artillerie. Mais elle ne s'attendait pas à cette irruption soudaine, et la marche des bataillons helvétiques était favorisée par la disposition du terrain sur lequel ils s'avançaient: c'était une longue chaussée flanquée, sur chaque côté, de fossés marécageux, et où la cavalerie n'avait pas de place pour se déployer. Il était trois heures de l'après-midi (13 septembre) quand on signala au camp français l'approche rapide et silencieuse des Suisses. La lourde gendarmerie bardée de fer se mit en devoir d'assaillir la tête de leurs colonnes, pendant que l'artillerie, dirigée à merveille par le grand maître, Galliot de Ginouilhac, les prenait en flanc. Les Suisses pressaient le pas pour combler les vides faits par le canon et s'avançaient toujours, piques baissées. Fleuranges courut avertir le roi, qui s'arma joyeusement, « et pria monsieur de Bayard, qui estoit gentil chevalier, qu'il le fist chevalier de sa main, qui feust un grand honneur au dict sieur de Bayard de faire ung roi chevalier devant tant de chevaliers et de gens de bien qui estoient là. » (') Melegnano. La bataille de Marignan est appelée par divers chroniqueurs bataille de Sainte-Brigitte ; par d'autres, bataille de Sainte-Croix. Cependant le connestable, duc de Bourbon, qui menoit l'avant-garde, se mit en ordre incontinent et advertit (aussi) le roy..... qui s'en vint droit vers ses ennemis, lesquels estoient déjà meslez à l'escarmouche, qui dura longuement devant qu'ilz feussent au grant jeu. Le roy de France avoit gros nombre de lansquenetz, et voulurent faire une hardiesse de passer ung fossé pour aller trouver les Suysses, qui en laissèrent passer sept ou huyt rengs, puis les vous poussèrent, de sorte que tout ce qui estoit passé fut gecté dedans le fossé. Et furent fort effrayez les dits lansquenetz. Et n'eust esté le seigneur de Guyse ( qui résista à merveilles et enfin fut laissé pour mort), le duc de Bourbon connestable, le gentil comte de Saint-Pol, le bon chevalier (Bayard) et plusieurs autres qui donnèrent au travers de cette bende de Suysses, ilz eussent fait grosse fascherie, car il estoit ja nuyt, et la nuyt n'a point de honte. Par la gendarmerie de l'avant-garde (qui fit successivement plus de trente charges) fust, le soir, rompue ceste bende de Suysses où une partie d'environ deux mille vint passer viz à viz du roy, qui gaillardement les chargea. Et y eut lourt combat, de sorte qu'il fut en gros dangier de sa personne; car sa grant buffe y fut perciée à jour d'un coup de picque. Il estoit déjà si tard que l'on ne voyoit pas l'ung l'autre. Et furent contrainctz, pour ce soir, les Suysses se retirer d'ung costé, et les François d'ung autre, et se logèrent comme ilz peurent, mais je croy bien que chascun ne reposa pas à son ayse; et y prist aussi bien en gré la fortune le roy de France, que le moindre de ses soudars. » (Loyal serv.) ས « Et vous jure ma foy que fut ung des plus gentils capitaines de toute son armée; et fist une charge avecques environ vingt-cinq hommes d'armes (deux cents chevaux) qui le servirent merveilleusement, et y cuida le roy estre affolé. Et furent les Suysses bien prés de l'artillerie, mais ils ne la voyoient point; et feist éteindre le dict roi ung feu qui estoit auprès de la dicte artillerie pour ce que les Suysses estoient si près et afin qu'ils ne la vissent point si mal accompaignée... Et se mist sur une charrette d'artillerie pour soy ung peu reposer et pour soulager son cheval qui estoit fort blessé. Et demanda le dict seigneur à boire, car il estoit fort altéré; et y eust ung piéton qui lui alla quérir de l'eaue, qui estoit toute pleine de sang, qui fist tant de mal au dict seigneur avecques le grand chaud, qu'il ne lui demeura rien dans le corps. Et avoit avecques lui ung trompette italien qui le servit merveilleusement bien, car il demeura tousjours auprès du roy; et entendoit-on la dicte trompette par-dessus toutes celles du camp; et pour cela on sçavoit où estoit le roy, et se retiroit-on vers lui. » (Fleuranges.) Les Suisses, de leur côté, se ralliaient, pendant cette nuit sinistre, au bruit sourd des deux grands cornets d'Unterwald et d'Uri. La bataille avait duré jusqu'à ce que la lune retirât sa lumière, entre onze heures et minuit. « Quand le jour fut ་་ venu, il se trouva, là où estoit le roy, bien vingt mille lansquenetz et toute la gendarmerie, et tout assez bien en ordre auprès de leur artillerie. Et si les Suysses avoient assailli le jour bien asprement, encore fisrent-ils plus le matin; mais sans point de faute ils trouvèrent le roy avecques les lansquenetz qui les receurent. Et leur fist l'artillerie et la harquebutterie des François ung grand mal, et ne purent supporter le faix, et commençoient à aller autour du camp d'ung costé et d'aultre pour veoir s'ils pouvoient assaillir; mais ils ne venoient pas au point. » (Fleuranges,) Leur constance cherchait encore les endroits où frapper, quand, sur les dix heures du matin, on entendit pousser derrière eux les cris: « Marco! Marco! Saint-Marc! » C'était l'armée vénitienne arrivant à marches forcées de Lodi, Barthélemi d'Alviane en tète. A la vue de ces ennemis nouveaux, les Suisses renoncèrent à prolonger la lutte. « Ils furent obligés d'abandonner le champ de bataille, mais ils n'y laissèrent point l'honneur.» (Zschokke, d'Arau.) Le roi, content de sa victoire chèrement achetée, et vraiment généreux, fut d'avis de ne pas les poursuivre. « Un bon nombre d'iceux (huit cents) se retira dedans un logis où, ne se voulans mettre à la mercy du roy, le feu fut mis et furent tous bruslez, et de nos gens parmy, qui estoient entrez pêle-mêle avec eux pour les deffaire; autres se retirèrent au chasteau de Milan, autres droit en Suisse. Et y mourut des Suisses de quatorze à quinze mille, et des meilleurs capitaines et hommes qu'ils eussent, et des plus aguerris.» (Mart. du Bellay.) C'était, au dire des vieux soldats, « une bataille de géants. » Pour son coup d'essai, François Ier venait de se couvrir de gloire; mais l'ivresse, qui devait remplir son jeune cœur de vingt et un ans, ne troubla point sa tête. Il usa de la fortune avec modération, et, au lieu de faire servir sa victoire à écraser les alliés de Sforza, au lieu de la compromettre en courant à Naples, comme on l'y poussait, il préféra s'enraciner solidement dans le Milanais et s'y faire des amis par la clémence. Il préférait aussi aux plus beaux rêves de l'ambition la paix avec les fêtes magnifiques et les amours faciles. L'armée s'avança vers Milan, où Maximilien Sforza tenait encore la citadelle avec quatre mille Suisses et Italiens. Au bout de quinze jours, l'habile Pedro de Navarre avait si bien fait jouer la mine que Maximilien, désespérant de lui-même, fit demander une entrevue au roi, « à sûreté. » Ce que le roy luy octroia; dont incontinent vint devers le roy, accompagné de dix ou douze personnes, et salua révéremment le roy. Et eurent ensemble paroles gracieuses d'appointement. » Plus heureux que n'avait été son père, le fils du More obtint, moyennant l'abandon de tous ses droits au duché de Milan, la faculté de vivre en France, « au lieu qui luy seroit le plus agréable, en demeurant paisible et fidèle au roy », plus 80 000 écus comptant et une pension annuelle de 36 000 ducats. Ce pauvre duc se montra fort satisfait d'être délivré d'un |