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penois Amadis Jamyn (1540-4585). Jodelle, qui s'attacha surtout à la poésie dramatique, composait avec une facilité funeste dont toutes ses œuvres se ressentent; Amadis Jamyn, élève docile de Ronsard, était protégé par l'affection du maître plus que par son propre talent; Pontus de Thiard publia seulement dans sa jeunesse un livre de sonnets qu'il intitula «Erreurs amoureuses »; il se recueillit de bonne heure dans de plus sérieuses études, et devint évêque.

J.-A. de Baïf s'est distingué surtout par ses efforts malheureux pour introduire dans la poésie française la métrique des anciens. Il prétendait donner aux vers une harmonie toute musicale en les formant de diverses combinaisons de syllabes alternativement longues et brèves, au lieu de les mesurer seulement par le nombre des pieds et de les terminer par des rimes. La première idée de cette tentative n'était pas de lui, mais plutôt de Jodelle et d'un poëte moins connu, Nicolas Denisot (45454554), qui paraissent avoir fait, le premier un distique et le second une vingtaine de vers en ce genre. Le distique de Jodelle, composé pour être mis en tête des œuvres poétiques d'Olivier de Magny (en 4553), était ainsi conçu :

Phoebus, Amour, Cypris veut sauver, nourrir et orner Ton vers, cœur et chef, d'ombre, de flamme, de fleurs.

«Voilà le premier coup d'essai qui fut fait en vers rapportés, lequel est vraiment un petit chefd'œuvre, dit Étienne Pasquier (1529-4645), qui se plut à lutter de même contre cette difficulté, et n'y réussit pas mieux. J.-A. de Baïf probablement regardait aussi comme un chef-d'œuvre les deux vers ridicules de Jodelle; car Pasquier prétend que pour recouvrer sa gloire, compromise par le peu de succès de certaines poésies amoureuses qu'il avait publiées, il jura de ne plus composer qu'en vers mesurés; mais que, loin d'exciter les imitateurs, « tout ce qu'il en fit étoit tant dépourvu de cette naïveté qui doit accompagner nos œuvres, qu'aussitôt que cette sienne poésie vit la lumière, elle mourut comme un avorton, et il découragea les autres de s'y employer. » Cependant Claude Butet, Jean Passerat, Nicolas Rapin, firent quelques pièces mesurées, et en même temps rimées, qui ne sont point désagréables; et si Baïf ne parvint pas à d'heureux résultats, du moins eut-il le mérite de persévérer longtemps dans ses efforts, et de les pousser au point d'avoir établi chez lui, à Paris, une académie de poésie et de musique dans laquelle on s'occupait d'étudier et de mesurer les sons de la langue. Cette compagnie, à laquelle Charles IX accorda, en 1570, des lettres d'institution où il se nommait lui-même le « protecteur et premier auditeur d'icelle », n'eut qu'une existence éphémère; mais elle fut la première ébauche de l'Académie française. Quant aux vers métriques, les essais dont ils ont été l'objet n'avaient rien de déraisonnable; longtemps après Pasquier, des es

prits plus éclairés que le sien (on cite Turgot) en ont été engoués de même; cependant jamais notre langue n'a été assez musicale pour soutenir une telle prosodie, ou plutôt elle est un instrument trop délicat, où les intonations sont trop ménagées, pour que la distinction entre les syllabes longues et les brèves saisisse nettement l'oreille.

Parmi les poëtes de la Pléiade, Remi Belleau, qu'on appelait «le gentil Belleau »>, traducteur d'Anacréon, a laissé quelques descriptions champêtres vraiment gracieuses. La plus souvent citée, et la meilleure en effet, est son hymne au mois d'avril, dont voici les premières strophes, composées sur un rhythme charmant :

Avril, l'honneur et des bois

Et des mois; Avril, la douce espérance Des fruits, qui sous le coton Du bouton Nourrissent leur jeune enfance;

Avril, l'honneur des prés verts,

Jaunes, pers (bleuâtres), Qui d'une humeur bigarrée Émaillent de mille fleurs

De couleurs

Leur parure diaprée;
Avril, l'honneur des soupirs

Des zéphirs,

Qui, sous le vent de leur aile, Dressent encor és forêts

De doux rets (filets) Pour ravir Flore la belle;

Avril, c'est ta douce main

Qui, du sein

De la Nature, desserre
Une moisson de senteurs
Et de fleurs
Embaumant l'air et la terre.

Avril, l'honneur verdissant,
Florissant

Sur les tresses blondelettes De ma dame, et de son sein

Toujours plein

De mille et mille fleurettes; Avril, la grâce et le ris

De Cypris,

Le flair et la douce haleine;
Avril, le parfum des dieux,

Qui, des cieux,

Sentent l'odeur de la plaine...

A côté de la Pléiade, ou après elle, parurent une foule de poëtes empruntant leur inspiration aux mêmes sources et tirant de leur lyre à peu près les mêmes sons. Ce sont tous des disciples de Ronsard, pleins comme lui de beaux mouvements mêlés de chutes fâcheuses, de belles strophes gâtées par des inégalités, et réussissant à peu près tous d'une manière uniforme dans l'imitation des compositions légères de l'antiquité. Il suffit de citer les noms des principaux : Gui du Faur de Pibrac (1529

1584); Jean Vauquelin de la Fresnaye (4536-4606), auteur d'un Art poétique en trois chants; Scévole de Sainte-Marthe (1536-4623); Étienne Tabourot, sieur des Accords, poëte facétieux (1547-4590); Gilles Durant (4550); Anne d'Urfé (4555-4624); le cardinal du Perron (4556-4618); Jean de Lingendes (1580-4646). Les plus remarquables furent Philippe Desportes (4546-4606) et Jean Bertaut (4552-4644), tous deux en grande faveur à la cour des rois Henri III et Henri IV. Enfin un neveu de Desportes, Mathurin Régnier (4573-4643), se distingua de tous ces poètes de bergeries par son talent vigoureux et par le genre auquel il se livra, la satire.

Il nous reste encore à citer deux noms qui méritent une place à part, du Bartas et d'Aubigné. Ce sont deux grands noms dans l'histoire de la poésie française, sinon par la beauté soutenue des œuvres, du moins par la sincérité de l'inspiration; mais la France les a dédaignés l'un et l'autre parce 'qu'ils préconisèrent une foi religieuse qu'elle haïssait et une indépendance politique qu'elle n'a pas voulue.

Guillaume de Saluste, seigneur du Bartas, près d'Auch, aimait passionnément sa patrie gasconne, son vieux manoir, la vie des champs et la croyance calviniste, dans laquelle il était né (en 1544). Il commença dès l'adolescence à faire des vers; mais, bien éloigné de la mode, c'étaient des vers de piété. « Il fut le premier, disait-on de lui plus tard, qui, délivrant les Muses d'habitudes profanes et lascives, les rendit à leurs saintes montagnes, les replongea en leurs saintes fontaines, et n'entonna que de saintes chansons avec elles. »>

Sa préférence pour les travaux paisibles ne l'empêcha pas de prendre une part active et honorable dans la lutte soutenue par Henri IV. Il était l'un des gentilshommes attachés à sa personne, fut employé par lui dans diverses négociations diplomatiques avec les États du Nord, combattit pendant quinze ans sous ses ordres, et mourut, en 1590, des blessures qu'il avait reçues à la bataille d'Ivry. Son principal, son grand ouvrage, intitulé la Semaine, ou Création du monde, parut en 4579. Lorsque les poëtes, qu'ils fussent de l'école de Marot ou de celle de Ronsard, qu'ils fussent mêlés à la vie du siècle ou revêtus, comme il y en avait beaucoup, d'un titre ecclésiastique, ne chantaient que la galanterie chevaleresque ou les grâces légères de la Muse antique, ce soldat inspiré par la Bible prétendit raconter les œuvres de la nature et la grandeur de l'Éternel. Son enthousiasme se refléta dans ses vers, et les critiques modernes du goût le plus délicat lui ont accordé que, tout en déroulant l'appareil scientifique de ses descriptions, il reste constamment beau par la gravité, le sentiment moral et la teinte biblique. Les catholiques firent peu d'accueil à ce poëme, bien qu'il ne s'y trouvât aucune affectation de calvinisme et qu'il eût passé sous la censure de la Faculté de théologie; mais les protestants comprirent

́que c'était un enfant de leurs pensées : ils l'adoptèrent, le répandirent, l'augmentèrent de commentaires scientifiques, et en quatre ou cinq années en firent plus de vingt éditions; on le traduisit en prose latine et en vers latins (1584), en vers italiens (1592), en vers anglais (1621); il fut imité en danois, en suédois, et un Allemand illustre qui appartient presque à notre temps, Goethe, en a parlé en ces termes : « Les Français ont eu, au seizième siècle, un poëte nommé du Bartas, qui fut alors l'objet de leur admiration. C'était un homme d'une naissance illustre, de bonne société, distingué par son courage, plus instruit qu'il n'appartenait alors à un guerrier. Toutes ces qualités n'ont pu le garantir de l'instabilité du goût et des outrages du temps. Il y a bien des années qu'on ne le lit plus en France, et si quelquefois on prononce encore son nom, ce n'est guère que pour s'en moquer. Eh bien! ce même auteur, maintenant proscrit et dédaigné parmi les siens, et tombé du mépris dans l'oubli, conserve en Allemagne son antique renommée; nous lui continuons notre estime, nous lui gardons une admiration fidèle, et plusieurs de nos critiques lui ont décerné le titre de roi des poëtes français. Nous trouvons ses sujets vastes, ses descriptions riches, ses pensées majestueuses. Son principal ouvrage est un poëme en sept chants sur les sept jours de la création. Il y étale successivement les merveilles de la nature, il décrit tous les ètres et tous les objets de l'univers à mesure qu'ils sortent des mains de leur céleste auteur. Nous sommes frappés de la grandeur et de la variété des images que ses vers font passer sous nos yeux; nous rendons justice à la force et à la vivacité de ses peintures, à l'étendue de ses connaissances en physique, en histoire naturelle. En un mot, notre opinion est que les Français sont injustes de méconnaître son mérite, que ses vers sont dignes de figurer à côté de ceux qui font le plus d'honneur aux muses françaises, et supérieurs à des productions plus récentes el bien autrement vantées. »>

Et Goethe, à l'appui de son sentiment, citait le début du septième jour de la Semaine, dans le quel du Bartas a représenté Dieu se plaisant dans la contemplation de son œuvre, comme un peintre dans celle de son tableau. Nous nous bornerons aux premières stances:

Le peintre qui, tirant un divers paysage,
A mis en œuvre l'art, la nature et l'usage,
Et qui d'un las pinceau sur son docte portrait
A, pour s'éterniser, donné le dernier trait,
Oublie ses travaux, rit d'aise en son courage,
Et tient toujours les yeux collés sur son ouvrage.

Il regarde tantôt par un pré sauteler
Un agneau qui, toujours muet, semble bêler;
Il contemple tantôt les arbres d'un bocage,
Ore (tantôt) le ventre creux d'une roche sauvage,
Ore un petit sentier, ore un chemin battu,
Ore un pin baise-nue, ore un chêne abattu.

Ici, par le pendant d'une roche couverte
D'un tapis damassé, moitié de mousse verte,
Moitié de vert lierre, un argenté ruisseau
A flots entrecoupés précipite son eau;

Et qui courant après, or' sus, or' sous la terre
Humecte, divisé, les carreaux d'un parterre.

་་

Cependant le discrédit dans lequel du Bartas est tombé ne tient pas seulement à ce qu'il était le champion d'une cause religieuse qui fut vaincue en France; il résulte aussi de ce qu'il péchait par le sentiment délicat des nuances, par le goût. On lui reproche, plus encore qu'à Ronsard, les formes violemment arrachées du grec et du latin, les hardiesses outrées, les combinaisons de mots qui plaisent à la langue allemande, mais qui ne sont pas conformes au génie de la nôtre. On cite ses inventions bizarres : « Apollon porte-jour; Hermès guide-navire; Mercure échelle-ciel, invente-art, aime-lyre; la guerre casse-lois, rase-forts, versesang, aime-pleurs. » Ce néologisme pourtant, employé avec discrétion, n'était pas aussi ridicule qu'il le paraît lorsqu'on en recueille les singularités pour les mettre, un peu perfidement, ensemble; du moins le pin baise-nue des vers cités tout à l'heure ne nous semble pas choquant, et s'il est permis de sourire quand du Bartas appelle ailleurs le soleil duc des chandelles, du Bartas pourrait répondre que ce titre est exactement le même que celui de chef des lumières, que nous emploierions sans scrupule aujourd'hui, et qu'il n'est pas plus risible en soi. Mais où du Bartas ne peut plus être défendu, c'est quand il décrit l'impression des divers objets de la nature sur les yeux de Dieu, sur ses oreilles, sur son nez, et quand il s'applaudit d'avoir augmenté la force de la langue en créant, à l'imitation du grec, des mots comme ba-battre et pé-pétiller. Le bon goût français est seul juge de tels écarts, et la sentence prononcée contre l'œuvre de du Bartas, ainsi déparée par des détails malheureux, est sans appel.

D'Aubigné était aussi enthousiaste que du Bartas, mais plus passionné, plus mordant, plus colère. Nous avons raconté (p. 58) l'une des premières scènes de sa vie, qui promettait un ardent calviniste; il fut plus encore: il fut non-seulement un brave écuyer de Henri de Navarre, chef des protestants, mais un conseiller qui demeura fidèle à ses principes après que son maitre en eut changé, et qui, sur le déclin d'une longue carrière, préféra la disgrâce et l'exil aux capitulations de conscience. D'Aubigné ressemble à tous ceux qui aiment à parler d'eux-mêmes, et notamment à tous les auteurs de Mémoires; sa propre personne tient trop de place dans ses pensées pour qu'il mérite d'ètre eru sans bonnes preuves. Ainsi, à l'entendre, il lisait le latin, le grec et l'hébreu à six ans; à sept ans et demi, il avait traduit le traité de Platon sur les devoirs du citoyen; fait prisonnier avec une famille huguenote qui s'enfuyait de Paris, il montra plus de courage que tous les autres, bien qu'il n'eût que onze ans, et se fit tellement admirer des

soldats, qu'on les sauva tous pour l'amour de lui; mis, deux ans après, à la discipline sévère du college de Genève, là encore il se faisait admirer, « même de M. de Bèze », par ses mutineries, et, durant toute sa vie, l'admiration suit ainsi tous ses pas.

Mais, à côté de ces vaines fanfaronnades, on peut l'en croire lorsqu'il parle de son courage à la guerre, de sa sagesse dans les conseils et de sa fidélité à sa cause, attestés également par le dire de ses contemporains. Son histoire semble un roman de chevalerie. Il avait coûté la vie à sa mère en naissant, et il perdit fort jeune son père, qui mourut, en 1563, des suites d'un coup de lance asséné par un soldat catholique. Il s'enfuit du collège de Genève à Lyon; mais, vaincu par la misère, il retourna au château où il était né, Saint-Maury, près Pons, en Saintonge, décidé à se jeter, à seize ans, dans les hasards de la guerre. Il trouva là un de ses parents, qui était son tuteur, et qui, loin de se préter à ses projets, voulut le contraindre à poursuivre ses études. Il était tenu si étroitement, que, de peur qu'il n'échappåt durant la nuit, on emportait ses vêtements chaque soir, et on les lui rapportait le matin. Il s'enfuit donc en chemise, pieds nus, et, une belle nuit, un petit parti de huguenots qui passaient près de là furent bien étonnés de voir un homme tout blanc courir et crier après eux, « pleurant de quoy les pieds lui saignoient. » Le capitaine le menaça d'abord pour le faire retourner; mais n'en pouvant venir à bout, il le prit en croupe, et la bande étant arrivée à Jonzac, lieu de son rendez-vous, on se cotisa pour habiller le fugitif. « Au moins, dit-il, je ne me plaindrai pas que la guerre m'ait dépouillé. » Dès les premières affaires, il se fit remarquer par sa valeur téméraire et un orgueil de fer qu'il appelle sa « rustique liberté. » Bientôt il prit part à tous les mouvements militaires des protestants, notamment aux batailles de Jarnac et de la Roche-Abeille (p. 72 et 73), lorsqu'il devint épris d'une fille du seigneur de Talcy (en Blèsois), Diane Salviati. Cet amour lui mit en tête la poésie française, et «lors il composa, dit-il, son Printemps, où il y a plusieurs choses moins polies, mais quelque fureur. » Le sieur de Talcy, le voyant aux prises avec la pauvreté, lui conseilla de faire usage des papiers originaux de la conjuration d'Amboise que d'Aubigné le père avait eus en garde, et qui étaient passés entre les mains de son fils; on pouvait, disait-il, avec l'une de ces pieces où le chancelier de Lhospital était compromis, tirer de lui dix mille écus. «Sur ses parolles, Aubigné va quérir un sac de veloux fané, fit voir ces pièces, et, après y avoir pensé, les mit au feu; ce que voyant, le seigneur de Talcy le tança. La response fut : « Je les ay bruslées de peur qu'elles » ne me bruslassent, car j'avois pensé à la tenta» tion. » Le lendemain, ce bon homme prit l'amoureux par la main, avec tel propos : « Encore que » vous ne m'ayez point ouvert vos pensées, j'ay de » trop bons yeux pour n'avoir point descouvert

» vostre amour envers ma fille; vous la voyez re» cherchée de plusieurs qui vous surpassent en >> biens; les papiers que vous avez bruslés, de peur

qu'ils ne vous bruslassent, m'ont eschauffé à vous » dire que je vous désire pour mon fils. » Aubigné respond: « Monsieur, pour avoir mesprisé un thré»sor médiocre et mal acquis, vous m'en donnez » un que je ne puis mesurer. » Cependant, les Salviati étant bons catholiques, le mariage ne se fit pas.

L'année d'après, d'Aubigné, se trouvant à Paris, toujours prêt à tirer l'épée, blessa un sergent qui voulait l'empêcher de se battre en duel, et prudemment prit la fuite. Ce fut son salut, car trois jours ensuite éclata la Saint-Barthélemy. Henri IV voulut se l'attacher et en fit un de ses amis les plus dévoués, mais du même coup il se donna un conseiller acariàtre. L'écuyer n'était pas homme à se courber paisiblement sous les volontés absolues d'un autre; il blàmait les folies amoureuses de son maître, et ne comprit jamais la sagesse qui portait Henri IV à traiter ses favoris tout autrement que ne faisaient les Valois, c'est-à-dire à être économe avec eux comme avec tout le monde, au lieu de jeter l'or à pleines mains. Le roi riait de la mauvaise humeur de son écuyer, et lui donna un jour son portrait, au bas duquel il avait écrit:

Ce prince est d'étrange nature:
Je ne sais qui diable l'a fait;
Car il récompense en peinture
Ceux qui le servent en effet.

Une autre fois, « le compagnon se trouvant couché dans la garde-robe de son maître avec le sieur de la Force, il lui dit à plusieurs reprises : « La Force! >> notre maître est un ladre vert, et le plus ingrat » mortel qu'il y ait sur la face de la terre. » A quoi l'autre, qui sommeillait, répondant: « Que dis-tu, » d'Aubigné? » le roi, qui avoit entendu, lui cria: Il dit que je suis un ladre vert, et le plus ingrat » mortel qui soit sur la terre. » L'écuyer resta un peu confus, mais son maître ne lui en fit pas plus mauvais visage le lendemain; aussi ne lui en donnat-il pas un quart d'écu davantage. » D'Aubigné, qui raconte ces anecdotes et une foule d'autres dans ses Mémoires, rapporte encore que la première fois qu'il revit Henri après son abjuration, celui-ci lui ayant montré la cicatrice marquée sur sa lèvre par le couteau de Jean Châtel, il osa lui dire « Sire, vous n'avez encore renié Dieu que des lèvres, et il s'est contenté de les percer; si vous le renoncez un jour de cœur, alors il vous percera le cœur. Cependant il resta toujours dévoué à ce prince; il pleura amèrement sa mort, et, retiré dans le château de Maillezais, dont il avait le gouvernement depuis le temps des guerres civiles, il repoussa toutes les avances que put faire le nouveau gouvernement. Maillezais était une sorte de boulevard de la Rochelle; il mit tous ses soins à le rendre formidable, le remit aux mains du duc de Rohan, chef des protestants, et alla demander à la

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république de Genève « le chevet de sa vieillesse et de sa mort », c'est-à-dire le repos que son âge avancé lui faisait désirer (sept. 1620). Il y vécut jusqu'à soixante-dix-huit ans (mai 1630), sans trouver la tranquillité qu'il cherchait, et qu'éloignèrent de lui des chagrins domestiques, l'inflexibilité de son caractère et la publication de ses fougueux écrits.

C'est en 4577 que, retenu dans son lit par une des blessures dont il avait eu le corps criblé dans les combats, il dicta les premières stances d'un poëme qu'il voulait, disait-il, laisser pour testament. Il échappa à la mort et put achever son œuvre. « Les plus gentilles pièces sortoient de sa main, ou à cheval ou dans les tranchées. » Il avait presque achevé avant la mort de Henri III, car il prétend avoir lu le poëme tout entier à ce prince; mais il n'osa le publier que très-tard, en 1646, quand la fièvre religieuse était tombée. Les Tragiques (tel est le nom qu'il lui donna) sont une satire amère des violences et des forfaits commis en France contre les protestants. D'Aubigné y a tracé l'épopée du calvinisme et la plus prodigieuse invective qu'ait imaginée un moraliste indigné. Les Tragiques se composent de neuf mille vers et sout divisés en sept livres. Au premier livre, intitulé Misères, l'auteur dépeint les calamités qui ont désolé la patrie pendant la seconde moitié du seizième siècle, et qu'il attribue aux vices des rois et des grands aussi le second livre est-il consacré à les flageller les uns et les autres; il est intitulé les Princes. Le troisième livre, la Chambre dorée, retrace la corruption et la bassesse des gens de justice. Dans le quatrième, les Feux, on assiste aux persécutions exercées contre les réformés; dans le cinquième, les Fers, à leurs combats et leurs victoires. Le sixième livre, Vengeances, est la vengeance de Dieu, qui frappe les persécuteurs et les impies en attendant le châtiment suprême, le dernier Jugement, que l'auteur décrit dans son livre septième et dernier.

D'Aubigné, dans ses vers comme dans sa prose, est inégal, rugueux, souvent obscur; mais il n'y a peut-être pas eu dans notre histoire littéraire un second esprit aussi fièrement inspiré, et qui puisât autant de måles beautés dans son cœur grand et farouche. Son style étincelle de traits comme ceuxci, qu'on pourrait croire écrits d'hier:

Les pitoyables mères
Pressent à l'estomac leurs enfans éperdus
Quand les tambours françois sont de loin entendus...

Nos pères étaient Francs; nous, qui sommes si braves,
Nous lairrons des enfans qui seront nés esclaves...
– J'en ai rougi pour vous, quand l'acier de mes vers
Burinoit votre histoire aux yeux de l'univers.

Les images magnifiques se pressent sous sa plume et se soutiennent jusqu'à la fin. Ses deux premiers livres sont incontestablement les plus beaux. Cependant, c'est dans le dernier surtout qu'il ose

aborder les tableaux les plus élevés, et y faire descendre l'Etre suprème.

Mais quoy! c'est trop chanté. Il faut tourner les yeux,
Esblouis de rayons, dans le chemin des cieux.
C'est fait Dieu veut régner; de toute prophétie

Se void la période à ce poinct accomplie...
Un grand ange s'escrie à toutes nations:
« Venez respondre icy de toutes actions;
L'Éternel veut juger. » Toutes âmes venues

Font leurs siéges en rond en la voûte des nues,
Et là, les chérubins ont au milieu planté
Un throsne rayonnant de saincte majesté:
Il n'en sort que merveille et qu'ardente lumière.
Le soleil n'est pas faict d'une estoffe si claire;
L'amas de tous vivans en attend justement
La désolation ou le contentement.

Les bons, du Sainct-Esprit sentent le tesmoignage,
L'aise leur saute au cœur et s'espand au visage;
Car s'ils doivent beaucoup, Dieu leur en a fait don :
Ils sont vestus de blanc et lavez de pardon...
Qui se cache? Qui fuit devant les yeux de Dieu?
Vous, Caïns fugitifs, où trouverez-vous lieu?
Quand vous auriez les vents collez sous vos aisselles,
Ou quand l'aube du jour vous presteroit ses ailes,
Les monts vous ouvriroient le plus profond rocher,
Quand la nuict tascheroit en sa nuict vous cacher,
Vous enceindre la mer, vous enlever la nue,
Vous ne fuirez de Dieu ny le doigt, ni la vue.

C'est quand il exhale sa passion contre les ennemis de sa cause; quand il stigmatise les mauvais princes, les courtisans serviles, les faux juges, tous ceux qui mésusent du pouvoir; quand il dépeint Catherine de Médicis, le cardinal de Guise, Charles IX, Henri III, François d'Alençon, que la colère du poëte trouve des accents qui font trembler la voix du lecteur. Contentons-nous de citer, comme exemple de son énergie, la peinture qu'il fait de la France déchirée par la querelle de ses enfants :

Je veux peindre la France, une mère affligée
Qui est, entre ses bras, de deux enfants chargée :
Le plus fort, orgueilleux, empoigne les deux bouts
Des tétins nourriciers; puis, à force de coups
D'ongles, de poings, de pieds, il brise le partage
Dont nature donna à son besson (') l'usage;
Ce volleur acharné, cet Ésau malheureux,
Faict dégast du doux laict qui doit nourrir les deux;
Si que pour arracher à son frère la vie,

Il mesprise la sienne et n'en a plus d'envie.
Mais son Jacob, pressé d'avoir jeûné meshui (*),
Estouffant quelque temps en son cœur son ennui,
A la fin se défend, et sa juste colère

Rend à l'autre un combat dont le champ est la mère.
Ni les soupirs ardents, les pitoyables cris,
Ni les pleurs reschauffez, ne calment les esprits;
Mais leur rage les guide et leur poison les trouble,
Si bien que leur courroux par les coups se redouble;
Leur conflict se r'allume et faict si furieux
Que d'un gauche malheur ils se crèvent les yeux.
Cette femme esplorée, en sa douleur plus forte,
Succombe à la douleur, mi-vivante, mi-morte

(') Jumeau.

() Aujourd'hui, tantôt.

Elle void les mutins tout déchirez, sanglans,

Qui ainsi que du cœur se vont des mains cherchans.
Quand pressant à son sein, d'une amour maternelle,
Celui qui a le droit et la juste querelle,
Elle veut le sauver; l'autre, qui n'est pas las,
Viole, en poursuivant, l'asile de ses bras.
Adonc se perd le laict, le suc de sa poitrine;
Puis, aux derniers abois de sa prochaine ruine,
Elle dit : « Vous avez, félons, ensanglanté
Le sein qui vous nourrit et qui vous a porté;
Or, vivez de venin, sanglante géniture;

Je n'ai plus que du sang pour vostre nourriture!»

Il faut rendre hommage à ce mâle talent, à cette verve brûlante, à cette vie héroïque; mais il ne faut pas faire asseoir la satire au rang des Muses. Ronsard, avec une délicatesse exquise, disait à ses disciples:

« Pour ce que les Muses ne veulent loger en une âme, si elle n'est bonne, sainte et vertueuse, tu seras de bonne nature, non meschant, renfrongé ni chagrin, mais animé d'un gentil esprit ; ne laisseras rien entrer en ton entendement qui ne soit surhumain et divin. Tu auras les conceptions hautes, grandes, belles; tu te montreras religieux et craignant Dieu; tu converseras doucement avec les poètes de ton temps; tu honoreras les plus vieux comme les pères, tes pareils comme tes frères, les moindres comme tes enfants. Sur toutes choses tu auras les Muses en révérence, voire en singulière vénération, et ne les feras jamais servir à choses deshonestes, à risées, ni à libelles injurieux, mais les tiendras chères et sacrées, comme les filles de Jupiter, c'est-à-dire de Dieu, qui de sa sainte grâce a premièrement par elles fait connoistre aux peuples ignorants l'excellence de sa majesté. »

C'est aux fronts où repose une pensée si haute, si sereine et si pure, que sied le plus noblement la couronne du poěte.

PROSATEURS.

SAVANTS, LITTÉRATEURS, PHILOSOPHES.

Un chroniqueur du temps de Louis XII raconte que dans les premières années du seizième siècle un scandale inouï troubla les fidèles paroissiens qui s'étaient assemblés, suivant l'usage, dans une église de Paris, un jour de grande fète, pour entendre la messe. Au moment où toutes les têtes se courbaient devant l'hostie que le prêtre élevait dans ses mains, un jeune homme, un étudiant, s'élança, arracha le symbole sacré, le foula aux pieds, et, saisi d'une sorte de fureur, s'écria qu'il était temps de faire justice des fables chrétiennes, et d'adorer enfin Jupiter et les dieux de l'Olympe, les seuls dieux véritables. Les assistants, indignés, s'emparèrent du sacrilége, qui fut conduit au supplice et sommairement exécuté.

Ce pauvre fou qui paya si cher un moment de fièvre n'avait fait que prendre au sérieux et traduire en action les discours des poètes et des let

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