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inflexibilité nouvelle qui annonçait, par un terrible exemple, le parti pris de régner enfin de vive force, fut immense, et réagit puissamment sur la politique des cours étrangères, l'esprit des grands et les imaginations populaires. On chante encore dans les montagnes du Limousin d'antiques refrains où le grand maréchal a sa légende, et converse, au jour de la mort, avec le roi, qui par trois fois, sur les champs de bataille, lui avait sauvé la vie.

gné par l'édit de Nantes, où les huguenots devaient rendre au roi les places de sûreté accordées en garde pour six ans. Les synodes, réunis pour l'élection des députés de l'assemblée de Châtellerault, étaient travaillés sourdement par les émissaires des fauteurs de troubles, et méditaient déjà une reconstitution, au moins défensive, de l'ancienne union calviniste. Le roi détourna ces visées tardives en envoyant Sully présider l'assemblée, et s'attacha la reconnaissance des réformés en leur accordant pour quatre années encore la conservation de leurs places de sûreté et les fonds nécessaires pour l'entretien de leurs ministres ( 4 août).

REX-15070HE

Ce fut au moins la dernière tentative sérieuse de ces grands seigneurs, qui, pour avoir aidé à faire le roi, se croyaient de force à le défaire. Henri, d'ailleurs, veillait de son mieux, et était souvent bien servi. Au milieu du mois de juin 1604, il fit mettre la main sur un Anglais nommé Thomas Morgan, agent des menées espagnoles. La prise était bonne, et livra la preuve de la complicité des d'Entragues et du comte d'Auvergne. Celui-ci, sous un prétexte, s'échappa de la cour et regagna son gouvernement, d'où, à défaut d'excuse pour défendre le passé, il essaya de le racheter en offrant au roi de continuer son jeu avec l'Espagne, à charge d'en livrer tout le secret. Au moment où il s'y attendait le moins, il fut enlevé par deux gentilshommes apostés, et jeté à la Bastille. D'Entragues, | Lui-même, avec sept mille hommes, parcourut le

qui tout d'abord s'était hâté de rendre au roi la promesse de mariage faite à sa fille, arme principale des factieux, fut arrèté aussi près d'Orléans et mené à la Conciergerie. On trouva chez lui l'engagement pris par le roi d'Espagne de faire reconnaître pour dauphin de France le fils de Henriette. Le chevalier du guet eut ordre de garder la marquise à vue, dans son logis, et dut en répondre sur sa tête. Le Aer février 4605, un arrêt condamna le comte d'Auvergne, d'Entragues et Thomas Morgan à avoir la tète tranchée, et la marquise à finir sa vie dans le couvent de Beaumont-lez-Tours. Le roi garda d'Au

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Monnaie de Henri IV, en or.

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Midi sans rencontrer nulle part de résistance armée. Il fit son entrée solennelle à Limoges et y institua une Chambre des grands jours, qui condamna à mort treize gentilshommes, dont six furent décapités; le reste s'était réfugié en Espagne : le roi leur remit leur contumace et leurs biens confisqués. Pendant ce temps, Bouillon, enfermé à Sedan, laissait ses partisans exposés aux justices royales, et envoyait ses offres de soumission ; mais le roi refusa de rien entendre avant la remise préalable de Sedan, et, à la tête d'une bonne armée et d'un matériel de siége considérable, marcha pour l'enlever de vive force. Arrivé à Donchéry, il reçut la visite du duc de Bouillon, qui venait remettre sa principauté à la discrétion du roi. Henri reçut le serment de la garnison et des bourgeois, installa un gouverneur calviniste, et s'attacha désormais le duc qui vint vivre à la cour. Ce fut la dernière émeute des gentilshommes.

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Henri devenait libre enfin de poursuivre ce grand projet qu'il concevait dès le début de sa vie guerrière, et dont il pouvait désormais espérer la réalisation: l'abaissement de la maison d'Autriche. Il voulait mieux encore, et sa pensée, en voyant tomber une à une les ruines du vieux monde féodal, s'était laissée aller à reconstruire sur un tracé nouveau les plans du monde à venir. Ce n'était pas moins qu'un remaniement complet du système politique de l'Europe, la tentative d'un équilibre nouveau, fondé non sur l'oppression des

stigation de meneurs actifs dirigés par le duc de Bouillon. D'autre part, on approchait du terme, assi

dantes unies dans un esprit commun de tolérance et de liberté fraternelle. On a nié, puis raillé ce

Vers le 15 juillet, le roi vit arriver au château de Madrid Marguerite, la reine répudiée, qui apportait inopinément de nouvelles révélations. L'Auvergne, le Querci, le Périgord, le Limousin, la Provence mème, s'agitaient de nouveau, à l'in-faibles, mais sur l'association de forces indépen« grand dessein >>> dont nous entretient Sully. Rien | traité public (23 janv. 4608), s'engageant à fournir

de plus sérieux pourtant, rien qui ressemble moins à une vaine utopie ou à des rèveries distraites de conquérant oisif. Sully, le ministre pratique et qui ne se payait point de chimères, avait pris soin de rédiger et nous a conservé les plans détaillés, les devis minutieux de cette grande conception. La « république chrétienne » de Henri IV admettait dans une confédération régie par une loi commune quinze « dominations » gouvernées par des principes indépendants: six monarchies héréditaires: la France, l'Espagne, la Grande-Bretagne, le Danemark, la Suède, la Lombardie grandie de la Savoie et de partie du Milanais; six monarchies électives: la Pologne, la Hongrie accrue de la Transylvanie et des provinces autrichiennes, la seigneurie de Venise, la Bohème, les États du pape réunis à l'Italie inférieure, l'Empire; trois républiques: les Pays-Bas, les Suisses avec l'Alsace, le Tyrol et la Franche-Comté, et la république d'Italie, comprenant Gènes, Lucques, les duchés, les petits États.

L'Empire redevenait de fait et de droit réellement électif, sous la seule condition d'échoir à un catholique; mais les communions luthérienne et calviniste restaient tolérées dans chaque État, et la persécution seule interdite partout. Un conseil

hommes et deniers, et déterminant ainsi la conclusion d'une trève de douze années garantie à risques communs par la France et par l'Angleterre. Élisabeth morte, Jacques Ier, d'abord tout entier à la France par le traité de Hampton-Court signé sous l'influence de Sully (30 juillet 1603), puis gagné à l'Espagne, était revenu décidément à la politique d'Élisabeth et pressait maintenant avec instance et résolution les grands projets contre l'Autriche; son fils surtout, le prince de Galles, avait hâte « de faire son apprentissage à la guerre sous un si bon maistre. »

Dès 1609, les rois de Suède et de Danemark s'étaient «monstrés eschauffés » à la coalition proposée, et préparaient leur contingent; et les princes protestants d'Allemagne, sous le coup des humiliations ou des menaces de l'Autriche, n'attendaient qu'un allié puissant qui leur prètât main-forte, et « avoient plus besoin de retenue que de sollicitation. >> Toute une armée de diplomates officieux ou d'ambassadeurs accrédités, telle qu'on n'en vit guère depuis, dirigeait de loin les trames secrètes et servait de son génie le génie audacieux du maître: Joyeuse, d'Ossat, Duperron, Luxembourg, Nevers, de Thou, Béthune, Fresne-Canaye, de Vic, Caumartin, Lefèvre - Laboderie, Jeannin,

supérieur, un « sénat », composé de quatre députés | Bongars, Boissize, Schomberg, et bien d'autres,

pour chaque État confédéré, représentait la république chrétienne, jugeait des griefs internationaux, et prévenait par sa médiation les rixes sanglantes. Ainsi constituée, la confédération avait son but tout tracé: Refouler les Turcs en Asie, et contenir « le puissant Knès scythien » jusqu'au jour où les Russes pourraient être acquis définitivement à la civilisation. Le roi, qui, dès la première heure, avait senti «les impossibilités » de ce grand dessein, s'étudiait au moins depuis cinq ans, presque jour par jour, à le rapprocher de la pratique, en formant, en consolidant, en étendant tout un vaste réseau d'alliances contre l'ennemie commune, l'Autriche, qu'il lui fallait avant tout démembrer. Venise, la première, s'était rattachée d'elle-même à la France; le grand-duc de Toscane avait donné sa fille au roi; la papauté, délivrée de l'influence espagnole, était gagnée par des concessions récemment obtenues des Vénitiens, grâce à l'intervention française; les rapports avec la Savoie, longtemps hostiles, étaient devenus intimes, et CharlesEmmanuel s'était engagé avec Henri dans une ligne offensive et défensive en fiançant son fils à Élisabeth de France; le roi avait pris garde cependant de ne pas abandonner Genève et de resserrer les anciennes alliances avec les cantons suisses, qui protestaient « que leurs affections et leurs armes seroient toujours françoises. » En représailles des sourdes intrigues ourdies par l'Espagne, il n'avait cessé de faire tenir sous main aux Provinces-Unies des secours d'argent; il les sauva à toute extrémité, et se fit de la Hollande une alliée dévouée en la prenant hautement sous sa protection par un

sous l'impulsion directe de Villeroy, secrétaire d'État aux affaires étrangères, et la direction suprème de Sully, qui, au besoin, passait la mer pour aller porter ou recueillir la pensée intime du souverain. Henri portait en ligne de compte trois années de guerre tout au plus pour réduire l'Autriche au seul continent des Espagnes, et, sans se faire illusion sur le reste de la tâche, s'y pensait si bien comporter qu'en six ou sept ans encore il en pût voir, sinon la fin, au moins la disposition certaine et l'acheminement désiré. « Il est à noter, dit d'Aubigné, qu'il ne venoit au roi aucune augmentation en apparence que l'étendue de son règne au mont Senis et aux rivières anciènes, qui en fai-. soient le partage vers la haute et basse Allemagne... mais il attachoit à soy inséparablement tous ceux qui auroient eu des plumes de ceste dépouille, et se rendoit arbitre et chef sur eux. >>

Un événement prévu vint se prêter de son mieux à la réalisation de ces projets. Jean Guillaume, duc de Clèves, de Juliers et de Berg, mourut sans postérité le 25 mars 1609. L'électeur de Brandebourg et le comte palatin de Neubourg revendiquèrent l'héritage, que réclamait de son côté l'électeur de Saxe, soutenu par l'empereur Rodolphe, en vertu du droit impérial sur les fiefs déchus par défaut d'hoirie. Les princes de Neubourg et de Brandebourg, comptant sur l'appui de la France, n'attendirent pas pour se mettre en possession de Berg et de Clèves, tandis que Juliers ouvrait ses portes à l'archiduc Léopold, délégué de l'empereur. L'occasion, qu'on eût fait naître, s'offrait d'elle-même. Une folie de jeunesse vint ajouter ses

ardeurs à l'impatience de Henri, que ses cinquante- | >> dit qu'il m'arrivera quelque malheur. » Puis, s'ascinq ans ne pouvaient rendre sage. Il était tombé depuis quelque temps éperdument amoureux de la plus jeune fille du connétable, Charlotte de Montmorency, et, pour s'en rapprocher, l'avait mariée à son cousin le prince de Condé, qui, pour se mieux défendre, après maintes scènes scandaleuses, avait pris le parti, enlevant sa femme, de s'enfuir en Picardie, puis à Bruxelles. Henri le somma en vain de revenir à la cour, puis menaça les archiducs qui donnaient asile au fugitif, et semblait, en somme, quand ses grands desseins restaient un secret pour la foule, subordonner à de frivoles ou honteux prétextes la politique nationale. Cependant les événements se précipitaient. Tout était prêt pour y faire face. Lesdiguières avec 44000 Français allait rallier le triple contingent de Venise, du pape et de la Savoie, et envahir bientôt le Milanais avec près de 40 000 hommes. La Force, nommé maréchal de France, devait opérer sur les Pyrénées et lancer tout à la fois deux corps de 25000 hommes par Saint-Sébastien et par Perpignan. Le roi gardait sous la main 35 000 soldats, qu'il se faisait fète de conduire lui-même à Juliers par la Belgique pour se rabattre, au gré des événements, sur la

séant dans une chaise basse, resvant et battant des
doigts sur l'estuy de ses lunettes, il se relevoit tout
à coup, et, frappant des deux mains sur ses deux
cuisses, disoit : « Par Dieu! je mourray en cette ville
>> et n'en sortiray jamais! Ils me tueront, car je voy
>> bien qu'ils n'ont d'autre remède en leurs dangers
>> que ma mort! Ah! maudit sacre, tu seras cause
>> de ma mort! » (Sully.) Comme aux époques
de retour sinistre, à côté des fanfares guerrières,
de vagues bruits d'assassinat surgissaient coup sur.
coup comme des provocations lointaines. On voyait
reparaître et se concerter les esprits aigris des
vieux partis, fanatiques irréconciliables, qui avaient
tout à craindre d'un bouleversement nouveau et
qui l'eussent volontiers tenté; en même temps,
signes précurseurs des tourmentes prochaines, les
chaires avaient repris, comme dans une ardeur de
beau zėle, leurs invectives sanglantes. La reine fut
sacrée, le 13 mai, à Saint-Denis; son entrée so-
lennelle fut fixée au 16. Le vendredi 14, au matin,
le roi disait au duc de Guise et à Bassompierre :
« Vous ne me connoissez pas encore, vous autres;
mais je mourrai un de ces jours, et, quand vous
m'aurez perdu, vous connoîtrez lors ce que je va-

Franche-Comté, l'Italie ou la Bohême. Plus de ❘ lois et la différence qu'il y a de moy aux autres

400 000 Français devaient successivement entrer en ligne; plus de 120 millions étaient promis, dont le roi tenait déjà dans ses coffres une bonne part; les approvisionnements de vivres et de munitions préparés de longue main; les ordres donnés pour la réunion des troupes aux camps de Grenoble et de Châlons, fin d'avril; le départ enfin du roi fixé aux premiers jours de mai. Un ébranlement général courait le monde, dont toutes les têtes et tous les cœurs se sentaient agités, et les vagues rumeurs répandues dans les foules et jusque dans l'armée ne faisaient qu'ajouter à l'inconnu du présent pour le plus grand nombre, de l'avenir pour les politiques. - «Or, cependant que les affaires de la guerre s'acheminoient de toutes parts, la reine n'obmettoit rien de ses sollicitations ordinaires pour résoudre son sacre et préparer toutes choses nécessaires pour les cérémonies et magnificences d'iceluy.» (Sully.) Elle s'y entėtait d'autant mieux qu'elle espérait conjurer ainsi de prétendues idées d'un nouveau divorce que les folies récentes du roi pour Charlotte de Montmorency, habilement exploitées par l'entourage italien de la reine, lui ❘ fois baisé la reine, luy dit adieu, et, entre autres

donnaient soupçon de redouter. Le roi, pour assurer le repos de son royaume pendant son absence,

hommes. >>> Le même jour, «jour triste et fatal pour la France, après le disné, le roy s'est mis sur son lit pour dormir; mais, ne pouvant recevoir de sommeil, il s'est levé, triste, inquiet et rêveur, et a promené dans sa chambre quelque temps, et s'est jeté derechef sur le lit. Mais, ne pouvant dormir encore, il s'est levé, et a demandé à l'exempt des gardes quelle heure estoit. L'exempt lui a répondu qu'il estoit quatre heures, et a dit : « Sire, je vois >> Vostre Majesté triste et toute pensive; il vau>> droit mieux prendre un peu l'air, cela la réjoui>>> roit. - C'est bien dit; eh bien, faites apprèter >> mon carrosse; j'irai à l'Arsenal voir le duc de >> Sully, qui est indisposé et qui se baigne aujour>>>d'hui. » (Lestoile.) - <<< Le roy sortit peu après pour s'en aller à l'Arsenal; il délibéra longtemps s'il sortiroit, et plusieurs fois dit à la reine : <<< Ma >> mie, irai-je? n'irai-je pas ? » Il sortit même deux ou trois fois, et puis tout d'un coup retourna et disoit à la reine : « Ma mie, irai-je encore? >> et faisoit de nouveau doute d'aller ou de demeurer. Enfin il se résolut d'y aller, et, ayant plusieurs choses qu'on a remarquées, il lui dit : « Je ne ferai >> qu'aller et venir, et serai ici à cette heure mesme.>>>

nomma Marie de Médicis régente, en lui adjoignant | Comme il fut en bas de la montée où son carrosse

un conseil de quinze personnages: Joyeuse, Duperron, Mayenne, Brissac, de Harlay et autres, qui devait avoir l'autorité effective (20 mars). La reinen'en insista qu'avec plus d'opiniâtreté à faire consacrer religieusement son autorité. Le roi céda, mais à contre-cœur: c'était un retard de quinze jours, et les jours étaient comptés. « Et souvent s'en venoit voir Sully, luy disant : « Mon amy, que ce sacre me > desplaist! Je ne sçay que c'est, mais le cœur me

l'attendoit, M. de Praslin, son capitaine des gardes, le voulut suivre. Il luy dit : « Allez-vous>> en, je ne veux personne; allez faire vos affaires.» Ainsi, n'ayant autour de luy que quelques gentilshommes et des valets de pied, il monta en carrosse, se mit au fond, à sa main gauche, et fit mettre M. d'Espernon à sa main droite; auprès de luy, à la portière, estoient M. de Montbazon, M. de la Force; à la portière du costé de M. d'Es

pernon, estoient M. le maréchal de Lavardin, M. de Créqui; au-devant, M. le marquis de Mirebeau et M. le premier écuyer. Comme il fut à la Croix du Tiroir, on luy demanda où il vouloit aller; il commanda qu'on allast vers Saint-Innocent. Estant arrivé à la rue de la Ferronnerie, qui est à la fin de celle Saint-Honoré, pour aller à celle de Saint-Denys, devant la Salamandre, il se rencontra une charrette qui obligea le carrosse du roy à s'approcher plus près des boutiques de quincailliers qui sont du costé de Saint-Innocent, et mesme

d'aller un peu plus bellement, sans s'arrester toutesfois, combien qu'un qui s'est hasté d'en faire imprimer le discours l'ait écrit de cette façon. Ce fut là qu'un abominable assassin, qui s'estoit rangé contre la prochaine boutique, qui est celle du Cœur couronné percé d'une flèche, se jeta sur le roy et luy donna coup sur coup deux coups de couteau dans le costé gauche: l'un, prenant entre l'aisselle et le tétin, va en montant sans faire autre chose que glisser; l'autre prend contre la cinquiesme et sixiesme coste, et, en descendant

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Assassinat de Henri IV par Ravaillac (14 mai 1610). - D'après une gravure du temps. (Collection Hennin.)

en bas, coupe une grosse artère, de celles qu'ils appellent veineuses. Le roy, par malheur, et comme pour tenter davantage ce monstre, avoit la main gauche sur l'épaule de M. de Montbazon, et de l'autre s'appuyoit sur M. d'Espernon auquel il parloit. Il jeta quelques petits cris et fit quelques mouvements. M. de Montbazon luy ayant demandé : « Qu'est-ce, Sire?» Il luy répondit : « Ce n'est rien, » ce n'est rien», par deux fois; mais la dernière, il le dit si bas qu'on ne le put entendre. Voilà les dernières paroles qu'il dit depuis qu'il fut blessé.

Tout aussitôt le carrosse tourna vers le Louvre. Comme il fut au pied de la montée où il estoit monté en carrosse, qui est celle de la chambre de la reine, on luy donna du vin. Pensez que quelqu'un estoit déjà couru devant porter cette nou

velle. Le sieur de Cérisy, lieutenant de la compagnie de M. de Praslin, luy ayant soulevé la teste, il fit quelques mouvements des yeux, puis les referma aussitôt sans les plus rouvrir. Il fut porté en haut par M. de Montbazon, le comte de Curson en Quercy, et mis sur le lit de son cabinet, et, sur les deux heures, porté sur le lit de sa chambre, où il fut tout le lendemain et le dimanche. Un chacun alloit luy donner de l'eau bénite. Je ne vous dis rien des pleurs de la reine, cela se doit imaginer. Pour le peuple de Paris, je crois qu'il ne pleura jamais tant qu'à cette occasion. » (Malherbe, Lettre du 19 mai 1640.) «Bien des choses, dit aussi Lestoile, se sont passées en ce jour, que le trouble, l'embarras et la douleur ont fait passer de ma mémoire; mais ce que je n'oublierai jamais,

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me mémoire exploitée par les partis, ont fait de Henri IV une manière de soldat farouche et de gascon hypocrite, craint de ses amis, détesté du peuple. Henri IV, il faut le redire, eut cette joie, vivant, d'être aimé de ses compagnons d'armes, qui le trouvaient toujours le premier au champ, des petites gens aussi, des bourgeois, des artisans, des laboureurs, auxquels il n'aimait pas à faire peur. & Quand il alloit par pays, il s'arrestoit pour parler au peuple, s'informoit des passants, d'où ils venoient, où ils alloient, quelles denrées ils portoient, quel estoit le prix de chaque chose; et, remarquant qu'il sembloit à plusieurs que cette facilité populaire offensoit la gravité royale, il disoit: « Les rois tenoient à déshonneur de savoir > combien valoit un écu, et moi je voudrois savoir 3 ce que vaut un liard, combien de peine ont ces pauvres gens pour l'acquérir, afin qu'ils ne fussent chargés que selon leur portée. >>> (Mathieu.) Ses franches façons faisaient merveilles; ses bons mots couraient le monde; ses lettres, d'allures si alertes et d'inspiration toujours si française, s'égarant d'adresse, allaient droit à tous les bons

cœurs. Après tant d'années de misères honteuses, on avait là mieux qu'un roi, - un homme dont les défauts mêmes ne sentaient rien de la corruption des cours, et dont la fermeté hautaine et l'humeur railleuse se retrempaient sans cesse dans une source inépuisable de tendresse émue et de sympathique bonté. On aborde avec prévention l'étude d'une époque qu'a ridiculisée l'enthousiasme banal des chevaliers du Diable à quatre ou du Vert galant; puis, à retrouver, chemin faisant, dans les pages mortes des vieux livres, tant de raison, tant de cœur et tant de généreuses pensées vivantes encore de cette vie que promet l'avenir, on s'en éprend à plaisir; et quand le présent semble si vide et si inanimé, on aime deux fois à écouter ce travail des années glorieuses et à admirer le grand roi de l'ancienne France,

Le seul roi dont le peuple ait gardé la mémoire.

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RÉGENCE DE MARIE DE MÉDICIS. - PREMIÈRE RÉVOLTE DES SEIGNEURS.

Au premier bruit de l'attentat, Sully, croyant le roi seulement blessé, courut au Louvre. Chemin faisant, la troupe de ses gens se grossissait de tous les serviteurs du roi qu'il rencontrait par les rues, cherchant, comme lui, nouvelles, et, comme lui, tout éperdus. A la hauteur de la rue de la Pourpointerie, un homme à cheval lui jeta un billet : « Où allez-vous? aussi bien c'en est fait; je l'ai vu mort. Si vous entrez, vous n'en réchapperez, non plus que lui. » Vers Saint-Sauveur, un autre l'aborde et lui dit : « Notre mal est sans remède; pensez à vous, car ce coup si étrange aura de terribles suites. » A l'entrée de la rue Saint-Honoré, vers la Croix du Trahoir, un second billet lui est remis. Il avait alors autour de lui plus de trois cents chevaux et s'avançait toujours vers le Louvre, quand M. de Vitry, capitaine des gardes, l'embrassant avec des exclamations pitoyables: «Ah! Monsieur, c'est fait de la France! il faut mourir; et pour moi, je ne la ferai pas longue. Mais où allez-vous avec tant de gens? L'on ne vous laissera pas approcher du Louvre ni entrer dedans qu'avec deux ou trois; et comme cela, je ne vous le conseille pas. Je suis d'avis qu'il vous en faut retourner. Il y a assez d'affaires où vous aurez à pourvoir sans aller au Louvre.» (Mém. de Sully.) Sully céda. Il rentra à l'Arsenal, et fit avertir la reine qu'il se tenait à ses ordres et allait aviser à tout ce qui dépendait de ses charges. En même temps, par un exprès, il fit avertir M. de Rohan, son gendre, d'arriver en hâte avec ses mille Suisses.

Déjà la reine mère, poussée par Sillery, Villeroy, Jeannin, Bassompierre, Bellegarde, par Guise et par d'Épernon surtout, avait pris le titre et les fonctions de régente. D'Épernon, dès la première heure, en sa qualité de colonel de l'infanterie, charge que Henri méditait, la veille, de lui ôter,

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