Prise de la ville d'Arras et défaite des Espagnols, le 9 août 1640. - D'après une gravure du temps. (Collection Fontette.) et souriante, qui sût amuser sans fatigue et occuper sans conséquence les ennuis de ce malade soucieux. Henri d'Effiat de Cinq-Mars avait pris d'abord à cœur sa tâche, et, par de fidèles rapports et une surveillance active, s'était empressé de rendre service pour service à son puissant protecteur. Puis, se sentant peu à peu aimé du roi, se montrant docile à ses conseils de sagesse et de dévotion, soumis à ses caprices, il apprit bientôt à faire dominer les siens, et à laisser grandir, sans l'imposer, cette influence de l'habitude que le faible Louis XIII subissait si volontiers. Luynes avait commencé comme lui, et, comme Luynes, la faveur l'exalta et le rendit | ambitieux jusqu'à l'ingratitude. La dignité de grand ❘ écuyer ne lui suffit plus, et il ne tarda pas à se sentir gêné par la domination du cardinal, dont il était la créature. Il voulait s'asseoir au conseil. Rebuté et sermonné par le grand ministre, il se plaignit au roi et reconnut que le roi était aussi las que lui, peut-être, de cette soumission qu'il subissait depuis quinze ans. Il se lia avec tous les mécontents, la reine, le duc d'Orléans, Bouillon, exploita la misère des peuples, honte du cardinal, reproche du roi; enfin il laissait revenir souvent, dans des conversations intimes qui ne devaient pas être entendues, la mémoire de Concini et le coup d'audace qui en avait débarrassé la France. Le roi écoutait, sans protester ni répondre; pourtant le cardinal savait tout. Il savait que Cinq-Mars s'assurait d'un refuge à Sedan, traitait avec Bouillon pour des desseins inconnus, et négociait secrètement avec l'Espagne. Il s'occupa d'abord de distraire le roi par l'appareil de ces grandes expéditions de guerre qu'il aimait tant, et, sentant où était tout le danger, rappela Guébriant en Alsace, d'Harcourt en Champagne, pour porter l'effort de toute la guerre sur les Pyrénées. Collioure venait d'ètre emportée d'assaut par la Meilleraye, et Perpignan était investi. Le roi se rendit au camp, accompagné de gîte en gîte par son inséparable ami Cinq-Mars. Le cardinal, brisé par la maladie, dut rester à Narbonne, et attendre, dans les angoisses de la solitude et la crainte d'une mort moins douloureuse encore que cette disgrâce qu'il sentait prochaine, le résultat des démarches actives que ses agents n'abandonnaient pas. Le roi pourtant consolait le moribond, l'assurait de son amitié fidèle, et, de fait, sans doute était-il sincère en voyant de plus près, Richelieu absent, les misères et l'insuffisance de ces conseillers d'aventure, dont la fatuité était le seul titre à se partager l'héritage de cette fortune que le génie et le dévouement s'étaient créée. A cette heure même, le cardinal était maître de ses ennemis. Un paquet envoyé par une main qu'aucune indiscrétion n'a trahie lui apportait la propre copie du traité où Cinq-Mars, dans un égarement inexplicable, se liait envers l'Espagne, consentait à recevoir ses subsides et ses troupes pendant la lutte, à n'avoir d'autres ennemis que ceux de l'empire, et, après le triomphe de la cause désormais commune, à lui rendre toutes les pro vinces conquises. Chavigny, confident dévoué de Richelieu, reçut mission de communiquer cette pièce à Louis XIII. Le roi, qui eut au moins toujours l'âme française, n'hésita pas à sacrifier les coupables, et, du mème coup, ses affections. Le 10 juin (1642), il quitta le camp et se rendit à Narbonne; le 12, ordre était donné d'arrêter Cinq-Mars, et en même temps de Thou, son ami et son intermédiaire dans ces négociations ténébreuses; Bouillon fut saisi au milieu de son armée, et enfermé à Casal; le duc d'Orleans, à Blois. Le roi, tout souffrant et aussi épuisé que le cardinal, se fit porter auprès du vaillant ministre, à Tarascon, et, dans une suprême entrevue, lui renouvela ses témoignages d'inébranlable reconnaissance; il partit ensuite pour Paris, laissant à Richelieu des pouvoirs illimités. A son ordinaire, Gaston gagna le pardon par sa làcheté. Les preuves légales manquaient contre ses complices; on l'en avertit, il s'empressa de les fournir par écrit. Le roi consentit lui-même au rôle de témoin et d'accusateur en adressant, le 4 août, aux parlements du royaume, aux gouverneurs et officiers de ses principales villes, et à ses ambassadeurs près les puissances étrangères, une lettre qui faisait assez peu d'honneur à son caractère : « Le notable et visible changement, disait-il, qui a paru depuis un an dans la conduite du sieur de Cinq-Mars, notre grand écuyer, nous fit répondre, aussitôt que nous nous en aperçûmes, de prendre soigneusement garde à ses actions et à ses paroles pour pénétrer et découvrir quelle en pourroit être la cause. Pour cet effet, nous nous résolûmes de le laisser agir et parler avec nous avec plus de liberté qu'auparavant. Par ce moyen nous découvrimes qu'agissant selon son goût, il prenoit un extrême plaisir à ravaler tous les bons succès qui nous arrivoient, relever les mauvais, et publier les nouvelles qui nous étoient désavantageuses; nous découvrîmes qu'une de ses principales fins étoit de blåmer les actions de notre très-cher cousin le cardinal de Richelieu, quoique ses conseils et ses services aient toujours été accompagnés de bénédictions et de succès, et de louer hardiment celles du comte duc d'Olivarès, bien que sa conduite ait toujours été malheureuse; nous découvrîmes qu'il étoit favorable à tous ceux qui étoient en notre disgrace et contraire à ceux qui nous servoient le mieux. Il improuvoit continuellement ce que nous faisions de plus utile pour notre État, dont il nous rendit un notable témoignage en la promotion des sieurs de Guébriant et de la Motte à la maréchaussée de France, laquelle lui fut insupportable; il entretenoit une intelligence très-particulière avec quelques-uns de la religion prétendue réformée mal affectionnés, par le moyen de Chavagnac, mauvais esprit, nourri dans les factions, et de quelques autres; il parloit d'ordinaire des choses les plus saintes avec une si grande impiété, qu'il étoit aisé à voir que Dieu n'étoit pas dans son cœur. Son imprudence, la légèreté de sa langue, les divers courriers qu'il envoyoit de toute part et les pratiques ouvertes qu'il faisoit en notre armée, nous ayant donné juste sujet d'entrer en soupçon de lui, l'intérêt de notre État (qui a toujours été plus cher que notre vie) nous obligea à nous assurer de sa personne et de celles de quelques-uns de ses complices. » Richelieu s'embarqua sur le Rhône, le 17 août, pour Lyon, remorquant après lui, dans une barque, de Thou, victime ornant son lugubre cortége. Le procès, ouvert à Lyon, devant une commission prise en partie dans le Parlement de Grenoble, empruntait un éclat sinistre au nom de Laubardemont, agent connu des justices du cardinal, et aussi à la jeunesse des accusés. Cinq-Mars était condamné par les aveux des grands complices et par ses propres aveux, confessant avoir failli et n'avoir espérance qu'en la clémence du roi et en celle du cardinal. » De Thou, coupable surtout de discrétion, intéressait encore par le nom de son père, qui faisait soupçonner à la malignité publique quelque rancune héréditaire. L'arrèt qui les condamnait tous deux à mort fut prononcé le 12 septembre et exécuté le jour même « sur un échafaud dressé en la place des Terreaux. » « Le grand écuyer eut la foiblesse, à la vue des tourments, de confesser que M. de Thou avoit su le traité, dont il fut blåmé de tout le monde; mais, à cela près, il alla à la mort sans qu'on s'aperçût d'aucune émotion. M. de Thou mourut aussi avec beaucoup de fermeté; mais il ajouta la dévotion à la constance, ce qui augmenta beaucoup l'estime qu'on avoit pour luy. » (Mme de Motteville.) «Le roi étoit à Saint Germain lors de cette exécution, et, sachant le jour et l'heure qu'on les devoit faire mourir, il regardoit sa montre et disoit : « Dans un tel temps, » M. le grand écuyer passera mal son temps. » (Montglat.) C'était là ce que duraient les amitiés de Louis XIII. Richelieu revint à Paris, malade et souffrant autant que jamais; « mais, voulant se rapprocher du roi de quelque façon que ce fût, on trouva une invention d'une machine dans laquelle il étoit couché tout de son long, et il y étoit porté par douze hommes. Il y avoit aussi un pont sur des charriots qu'on appliquoit si adroitement aux lieux où il logeoit qu'on le montoit dans sa chambre sans passer par aucun degré. » (Montglat.) Il se fit ainsi transporter à Rueil, où le roi, alors à Saint-Germain, le vint visiter. Mais ses jours maintenant étaient comptés. Le 28 novembre au soir, une fièvre ardente s'empara de l'illustre malade, mais ne l'abattit pas. « Il conserva jusqu'au dernier soupir cette grandeur de courage et cette âme haute qu'il avoit ene toute sa vie. » Le roi vint le voir « dans son extrémité, où il lui parla d'aussi grand sang-froid que s'il n'eût pas été malade », et lui recommanda Mazarin, son agent de confiance depuis la mort du père Joseph; puis, le roi parti, le cardinal appela son médecin, et le pria de lui parler à cœur ouvert, en ami : « Monseigneur, dans vingt-quatre heures, vous serez mort ou guéri. C'est parler, cela, dit Richelieu. » Et il fit appeler le curé de Saint-Eustache, sa paroisse, qui lui apporta le viatique. « Voilà mon juge », dit-il en montrant l'hostie; «et le curé lui demandant s'il ne pardonnoit pas à ses ennemis, il répondit qu'il n'en avoit point, que ceux de l'État. Il fit son testament, par lequel il disposoit de tous ses bénéfices, charges et gouvernements, comme s'ils eussent été à sa disposition, mettant seulement à la fin : « Le tout sous le bon plaisir du roi... » et, le 4 décembre, rendit l'esprit sans aucun trouble. Il fut extrêmement regretté de ses parents, amis et domestiques, qui étoient en grand nombre; car il étoit le meilleur maître, parent ou ami qui eût jamais été, et pourvu qu'il fût persuadé qu'un homme l'aimât, sa fortune étoit faite. >>> (Montglat.) Il laissait, suivant sa promesse et l'espoir constant de sa vie, le roi maître suprême dans son royaume et vainqueur des factions; l'Autriche partout abattue et humiliée; l'Espagne réduite à l'impuissance; quatre provinces, l'Artois, l'Alsace, la Lorraine et le Roussillon, presque acquises à la couronne; et la France, qu'il eût voulue aussi grande que la Gaule antique, resplendissante d'un éclat incomparable, et qui rappelait à l'esprit des peuples les jours triomphants de Charlemagne. Mais, à l'intérieur, la voix des misères publiques protestait contre l'illusion de ces grandeurs; et le ministre mourant semble lui-même avoir entendu ce reproche, quand il recommandait au roi de décharger à l'avenir le peuple des trois quarts du faix qui l'accable maintenant. » (Testament politique.) Dans ce combat de vingt ans contre les ambitions lointaines ou les factions de la cour, il avait eu pourtant le tort de sacrifier à cet idéal d'une royauté sereine et respectée les lois protectrices Juillet 1642. Mort de Marie de Médicis, à Cologne. - D'après une estampe du temps. (Collection Fontette.) 1 des dernières libertés, d'ériger la terreur et l'inquiétude en instrument de domination, d'étouffer enfin, sous un régime de délation et de police ténébreuse, la dignité des caractères et la loyauté des consciences. Il dégrada la noblesse plus encore qu'il ne la mutila. Forcé de vivre sans cesse aux côtés d'un maître capricieux par ennui, jaloux par impuissance, égoïste et souvent méchant en haine | dôme, Beaufort, Bassompierre, Bellegarde, Gaston, de ses souffrances, il s'abaissa à flatter ses vanités et ses défaillances, et à humilier les desseins altiers de sa politique à des pratiques de rouerie et de duplicité. Le nom de Richelieu, tont grand qu'il soit, n'est point sympathique et ne deviendra pas populaire. La raison, règle suprême du glorieux ministre, lui rendra à jamais l'hommage que le cœur lui refuse; mais quand la patrie a payé sa dette de reconnaissance à ce génie si vaillamment national, l'humanité proteste encore contre le mépris qu'il a fait d'elle. « Voilà mort un grand politique. » Ce fut toute l'oraison funèbre dont le roi honora l'homme à qui il devait l'honneur de sa couronne. Il approuva pourtant son testament et pourvut les proches du cardinal des charges et des gouvernements qu'il leur avait destinés. Le conseil resta tel qu'il était composé; seulement, peu à peu, les exilés revinrent, les portes de la Bastille s'ouvrirent; Ven temps pour limiter le pouvoir de la reine, qui allait être régente, par la nomination d'un conseil, « par les avis duquel les grandes et importantes affaires de l'État seroient résolues à la pluralité des voix » ; puis il s'éteignit, le 44 mai 4643, à l'âge de quarante-trois ans. « Il fut peu regretté, et il tardoit à tout le monde qu'il ne fût mort, même à ceux | descendances et les premières hésitations de la ré Les anciens ennemis du cardinal, ayant à leur tête le duc de Beaufort, petit-fils légitimé de Henri IV et de Gabrielle d'Estrées, se crurent les maîtres, et affectèrent d'interpréter en faveur de leurs desseins, dont le principal était de rendre aux grands leur antique influence, les premières con qui lui avoient le plus d'obligation. On étoit si las de son gouvernement, qui avoit toujours dépendu d'autrui plutôt que de lui-même, et on avoit si grande espérance de la conduite de la reine, que chacun désiroit du changement. Quand il fut mort, tout le monde croyoit avoir sa fortune faite; mais cette opinion dura peu. » (Montglat.) ANNE D'AUTRICHE RÉGENTE. gente. Avant d'être les dispensateurs de l'autorité, ils en affectaient déjà la hauteur. On les appelait les importants, et l'on raillait finement cette première période de la régence en disant « qu'il n'y avoit plus que quatre petits mots dans la langue françoise: La reine est si bonne!» (Mém. du card. de Retz.) Mais la reine sentait bien, maintenant qu'elle tenait dans ses mains le pouvoir, l'impossibilité de l'immoler à toutes les ambitions privées. Elle commençait de rendre justice à la mémoire de Richelieu. L'homme que les importants lui avaient donné pour premier ministre était Potier de Blancmesnil, évèque de Beauvais, prélat plein de droiture et de piété, mais esprit simple et incapable; il inaugura son ministère en envoyant aux Hollandais une sommation d'avoir à rentrer dans l'obéissance du pape et de l'Église catholique s'ils voulaient conserver l'alliance de la France. Le cardinal de Retz, Anne d'Autriche avait été l'une des beautés du siècle: elle touchait à sa quarante-deuxième année; mais elle était grande, majestueuse, et douée d'un aimable et doux regard qui prévenait les cœurs. On ne l'avait vue que persécutée par le feu roi, et on l'aimait pour ses disgrâces, pour sa patience. Lorsqu'elle quitta le château de Saint-Germain pour se rendre à Paris, « toute la campagne, depuis Nanterre jusqu'aux portes de cette grande ville, étoit remplie de carrosses, et ce n'étoit partout | qui n'était encore alors que coadjuteur de l'arche vêque de Paris, l'appelait une bête mitrée et le plus idiot des idiots. Sa faiblesse n'échappant à personne, Anne d'Autriche, dont la nature indolente s'effrayait du travail et des fonctions contihuelles de la régence, chercha de suite un homme habile et dévoué à qui elle pût en remettre le fardeau. qu'applaudissements et bénédictions. » On respirait en se croyant enfin débarrassé du système de Richelieu, par lequel la France avait conquis un ascendant qui touchait beaucoup moins que les sacrifices par lesquels il avait fallu l'acheter. La noblesse comptait sur un gouvernement débonnaire et facile à exploiter; le peuple, sur un allégement des lourds impôts qu'il supportait; le Parlement vit poindre une de ces belles occasions qu'il ambitionnait de prendre part au maniement des affaires politiques. Le 18 mai, la reine se rendit au sein du Parlement assemblé, vêtue d'habits de deuil et accompagnée du jeune roi en robe et en bavette, porté par le duc de Chevreuse, son grand chambellan. « Messieurs, dit-elle, je serai toujours aise de me servir des conseils d'une si auguste compagnie; ne les épargnez donc, je vous prie, ni à mon fils ni à moi-même. » Le Parlement rendit grâces au ciel, par la bouche du chancelier Séguier, d'avoir donné à la France une régente de qui on devoit espérer la paix générale et le repos de l'État. Il demanda ensuite les voix sur l'article de la régence. Monsieur, oncle du roi, tout d'un coup et sans hésiter, donna la sienne en déclarant, de sa propre volonté, qu'il remettoit à la reine tout le pouvoir que, comme frère unique du feu roi, il pouvoit prétendre dans le royaume, pour rendre la régence plus absolue et ses volontés sans bornes. Le prince de Condé dit à son tour que, puisque Monsieur le désiroit de cette manière, il y consentoit aussi. (Mme de Motteville.) Dès lors le conseil de régence tout entier ne pouvait que renoncer à ses droits, et les précautions du feu roi tomberent d'elles-mêmes. Celui que sès antipathies devaient le plus repousser était Mazarin. Giulio Mazarini, né dans le royaume de Naples, en 4602, était une créature de Richelieu, qui l'avait appelé en France (1639), lui avait confié de grandes affaires, avait apprécié en lui de grands talents, lui avait fait donner le chapeau de cardinal (1641), et l'avait enfin recommandé à son maître comme l'homme le plus capable de continuer leur politique. Louis XIII l'аvait en effet nommé président de ce conseil qu'il destinait à tenir sa veuve en tutelle. Cependant Anne d'Autriche, à qui l'on vanta son rare mérite, voulut le consulter, spécialement sur les affaires étrangères, dont il possédait tous les secrets, et fut gagnée dès l'abord par cet esprit vif, aimable, pénétrant, persévérant, dont les défauts étaient voilés et presque rachetés par des mœurs douces et un caractère ennemi de toute violence. La séduction était son arme favorite. En cela il était bien, comme on l'avait dit à la reine, tout l'opposé de Richelieu: aussi fut-elle, en peu de temps, entièrement subjuguée. Elle justifiait sa préférence en disant qu'étranger, Mazarin était purement dévoué aux seuls intérêts de l'État, indifférent entre tous les partis, et que, d'ailleurs, le choisir pour son premier ministre était obéir au feu roi. Mazarin, reconnaissant et plus ambitieux que jamais, |