tôme.) Sous le patronage de Marguerite, trois prédicateurs qui partageaient notoirement les opinions anticatholiques avaient préché le carème dans diverses églises de Paris, en 1533. C'étaient le savant docteur Gérard Roussel, et deux religieux augustins. Leur prédication souleva contre eux la Sorbonne, qui, ayant pu saisir Courault, l'un des augustins, et Gérard Roussel, les fit emprisonner. C'étaient les membres les plus modérés de la petite Église réformée qui s'était peu à peu constituée secrètement à Paris; le reste du « troupeau », excité par cette nouvelle rigueur, envoya un affidé en Suisse, pays où la réforme suivait une marche triomphante, pour demander l'assistance et les conseils fraternels. Son messager rapporta, sous forme de placards et de petits livrets, un écrit contre la messe, qu'il fit imprimer à Neuchâtel, et que l'on devait afficher ou distribuer dans la capitale et les principales villes du royaume. En effet, au mois d'octobre 4534, Paris et d'autres lieux furent tout d'un coup inondés du manifeste intitulé « Articles véritables sur les horribles, grands » et importables abus de la messe papale. » On y disait en substance que Jésus-Christ ayant baillé à Dieu son corps, son âme, sa vie et son sang pour racheter les hommes pécheurs, ce sacrifice parfait ne pouvait pas être renouvelé, et que la prétention des « misérables sacrificateurs » qui s'imaginaient le renouveler chaque jour par la messe célébrée sur les autels catholiques était « un horrible et exécrable blaspheme. » La phraséologie biblique n'y masquait pas la violence du langage: «O terre! comment ne t'ouvres-tu pour engloutir ces horribles blasphémateurs! O misérables! quand il n'y auroit autre mal en toute vostre théologie infernale sinon ce que vous parlez tant irrévéremment du précieux corps de Jésus, combien méritez-vous de fagots et de feu, blasphémateurs et hérétiques, voire les plus grands et énormes qui jamais aient esté au monde? Allumez donc vos fagots pour vous brusler et rostir vous-mesmes, non pas nous, parce que nous ne voulons croire à vos idoles, à vos dieux nouveaux et nouveaux Christs qui se laissent manger aux bestes (4), et à vous pareillement qui estes pires que bestes en vos badinages, lesquels vous vous faites à l'entour de vostre dieu de paste!... » L'indignation fut unanime parmi les gens restés fidèles aux anciennes doctrines, et le courroux de François Ier éclata bruyamment. En revenant de son château de Blois, il avait trouvé un de ces placards téméraires affiché au Louvre, sur la porte même de sa chambre à coucher. Il ordonna un redoublement de rigueurs, et des cérémonies religieuses par lesquelles il prétendait donner hautement des preuves de sa dévotion. Les jeudis et dimanches suivants, il fit faire de grandes proces (') On avait souvent remarqué, dans les sacristies, des hosties que les souris avaient rongées. Les premiers réformés étaient très-touchés de cet argument contre le dogme de la présence réelle du corps et du sang de Jésus-Christ dans l'hostie. Des deux côtés, on combattait à force égale. sions dans Paris, et, le 24 janvier 4535, une procession générale à laquelle il assista, tenant en main un cierge allumé, marchant humblement la tête nue, suivi de ses trois fils dans la même attitude, de la reine à cheval, avec toutes les dames de la cour, et des principaux membres de la noblesse et du clergé. Après la procession eut lieu, à l'évêché, un grand repas à l'issue duquel le roi fit cette harangue : « Si le propos que j'ay à vous tenir, messieurs les assistans, n'est conduit et entretenu de tel ordre qu'il convient de garder en harangue, ne vous esmerveillez; pour autant que le zèle de celuy de qui je veux parler, Dieu toutpuissant, m'a causé telle et si grande affection que je ne sçaurois en mes paroles garder ny tenir ordre requis, voyant l'offense faicte au Roy des roys par lequel régnons, et auquel je suis lieutenant en mon royaume pour faire accomplir sa sainte volonté; et considérant la meschanceté et acerbe peste de ceux qui veulent molester et destruire la monarchie françoise... Si est-ce que puis peu de temps aucuns innovateurs, gens délaissés de bonne doctrine, offusquez en ténèbres, se sont efforcez d'entreprendre tant contre les saincts nos intercesseurs qu'aussi contre Dieu Jésus-Christ, sans lequel nous ne pouvons agir en aucun bien fait, qui seroit à nous chose très-absurde, si ne confondions tant qu'en nous est et extirpions ces meschants foibles esprits. A cette cause, j'ay voulu vous convoquer et vous prier mettre hors vos cœurs et pensées toutes ces opinions, et que vous veuilliez instruire vos enfants, familiers et domestiques, à la chrestienne obéissance de la foy catholique... Et quant à moy, qui suis vostre roy, si je savois l'un de mes membres maculé ou infecté de ce détestable erreur, non seulement vous le baillerois à couper, mais davantage si j'appercevois aucun de mes enfans entachez, je le voudrois moy-même sacrifier. Et parce qu'à ce jour je vous ay cognus de bon veuloir envers Dieu Jésus-Christ, vous prie persévérer. Et en ce faisant, je vivrai avec vous comme un bon roy, et vous avec moy en paix, repos et tranquillité, comme bons et fidèles sujets chrestiens et catholiques doivent faire. » « Ce mesme jour, lit-on dans le Journal du Bourgeois de Paris, furent bruslez, de relevée, six luthériens, à savoir trois à la croix du Tirouer et trois aux halles, et plusieurs autres aux prochaines sepmaines ensuivant, que je laisse pour cause de briefveté. » Les ordres du roi rallumèrent donc les rigueurs. Un paralytique chez lequel on avait trouvé des exemplaires du placard, un relieur qui avait relié des pamphlets luthériens, une femme qui mangeait de la viande les vendredis et samedis (Bourg. de Paris), furent arrêtés, torturés, brûlés. On suppliciait les christandins par douzaines et on ne leur permettait pas de fuir. Le 25 janvier 1535, la justice criminelle de Paris fit crier une liste de soixantetreize condamnés contumax. En moins de six mois (nov. 1534-mai 4535), il y eut à Paris cent deux condamnations, dont vingt-sept furent exécutées. Combien n'y en eut-il pas dans les provinces? D'horribles cruautés aggravaient la mort. «Il ne sonnoit mot, craignant, ce dont on le menaçoit, d'avoir la langue couppée; car la maudite invention de coupper langues commença cette année-là (en 1533) d'ètre en usage.» (Crespin.) Quelquefois, au lieu de trancher ce dangereux organe qui servait à faire des prosélytes, on le transperçait d'un fer qu'on y laissait, en l'accrochant dans la joue. Souvent le patient était fixé au bout d'une chaîne ou à l'extrémité d'une bascule, et on l'enlevait tout d'un coup du milieu des flammes, pour l'y replonger ensuite; et cela jusqu'à trois fois, afin de faire durer sa vie et ses souffrances. Les bourreaux lui accordaient une gràce lorsqu'ils chargeaient sa tète de soufre au d'autres matières inflammables, ou qu'ils lui attachaient sur la poitrine un sachet plein de poudre à canon, dont l'explosion hâtait sa délivrance. Ces cruautés ne s'exerçaient pas seulement sur des hommes dans l'énergie de l'àge et de leurs convictions, mais sur des adolescents, sur de belles jeunes femmes d'une douceur angélique, sur de débiles vieillards; et à la chaleur de cette persécution, les lois criminelles, en général, prirent un caractère atroce qui sembla faire descendre le niveau de l'humanité. « Fut publié par les carrefours de Paris, de par le roy, estant à Paris, par cinq trompettes, en présence du lieutenant criminel et plusieurs commissaires en Chastelet, que le roy faisait assçavoir que doresenavant brigans et meurtriers ne seroient plus pendus ne bruslez, mais seroient brisez et auroient les membres cassez, puis seroient mis et liez sur roues pour y achever leur vie tant qu'ils y pourroient languir. » (4535; Bourg. de Paris.) Le pape lui-même, Paul III, « adverty de l'exécrable justice et horrible que le roy faisoit en son royaume sur les luthériens, on dit qu'il manda au roy qu'il pensoit bien qu'il le fist en bonne part, néantmoins que Dieu le créateur, luy estant en ce monde, a plus usé de miséricorde que de rigoureuse justice, et que c'est une cruelle mort de faire brusler vif un homme;... par quoy le pape prioit et requéroit le roy, par ses lettres, vouloir apaiser sa fureur et rigueur de justice en leur faisant grâce et pardon. » (Id.; 4535.) ( La raison politique, François Ier le déclara dans sa harangue, avait autant de part que le zèle religieux dans les sévices exercés contre les partisans de la réforme. Lorsque les princes protestants de l'Allemagne, dont il recherchait l'alliance, et les cantons suisses, s'indignaient du traitement qu'on faisait subir aux luthériens en France, le roi, peu chevaleresque en ces circonstances, se justiiait en prétendant que ces suppliciés n'étaient que des rebelles, des anabaptistes, des ennemis de toute autorité. C'est alors qu'un jeune homme de vingt-six ans, fils d'un notaire apostolique secrétaire de l'évèché de Noyon, destiné dès l'enfance à trouver dans l'Église une carrière brillante, et qui, à l'exemple d'une foule d'autres ecclésiastiques de son temps, avait abandonné sa robe et ses béné fices pour ce qui lui semblait la vérité, répondit par une protestation dont l'effet fut considérable. Il publia en 4535, à Strasbourg ou à Bàle, un livre qu'il intitula l'Institution chrétienne, et dans lequel, en exposant les principes de la réforme, il donnait, pour la première fois, aux croyances nouvelles, l'autorité d'un corps de doctrine. La préface de ce livre était hardiment dédiée au roi luimême. « Sire, y disait-on, il m'a semblé expédient de faire servir ce présent livre tant d'instruction qu'aussi de confession de foy envers vous; dont vous cognoissiez quelle est la doctrine contre laquelle d'une telle rage furieusement sont enflambez ceux qui par feu et par glaive troublent aujourd'huy vostre royaume. Car je n'auray nulle honte de confesser que j'ay yci comprins quasi une somme de ceste mesme doctrine, laquelle ils estiment devoir estre punie par prison, bannissement, proscription et feu, et laquelle ils crient devoir estre deschassée hors de terre et de mer. Bien say-je de quels horribles rapports ils ont remply vos aureilles et vostre cœur, pour vous rendre notre cause fort odieuse; mais vous avez à réputer selon votre clémence et mansuétude qu'il ne resteroit innocence aucune ny en dits ni en faits s'il suffisoit d'accuser... » Plus loin, l'auteur disait : « Celuy qui ne règne pas à ceste fin de servir à la gloire de Dieu n'exerce pas règne, mais brigandage »; et il terminait sa longue dédicace par une apostrophe triste et mordante : « Le Seigneur, roy des roys, veuille establir vostre throne en justice et vostre siège en équité! » Cette démarche hardie et ce male langage étaient de Jean Calvin, déjà connu alors, malgré sa jeunesse, pour un des esprits les plus savants, les plus fermes de son siècle, et qui consacra le reste de sa vie à consolider avec toute l'ardeur, souvent avec toute la dureté du zele religieux, les dogmes de ses coreligionnaires. Établi en arbitre suprême au sein de la république évangélique de Genève, qui servit de centre à son œuvre, il sut fonder mieux que Luther et tous ses disciples ne l'avaient fait; il ramena, moitié de gré, moitié de force, tous les réformés de langue française à recevoir comme vérité divine les interprétations qu'il donnait à la Bible, et c'est à juste titre que l'Église réformée de France a reçu aussi le nom d'Église calviniste. L'Institution chrétienne de Calvin ne persuada pas François Ier. Les persécutions de tout genre, les exécutions, l'émigration de ceux qui de toutes les provinces cherchaient à gagner l'étranger pour se soustraire sinon à la ruine du moins à la mort, continuèrent jusqu'à la fin du règne. L'une de ses dernières années fut signalée par un crime légal dont l'horreur fit frémir jusqu'aux catholiques euxmèmes. Une population de laborieux agriculteurs avait dû à la douceur et à la pureté de ses mœurs d'ètre tolérée, depuis près de trois siècles, dans certaines vallées du Piémont, quoique entachée de l'ancienne hérésie vaudoise. Ces gens inoffensifs s'étaient étendus jusqu'en Provence, où ils occuparent Cabrières, Mérindol, Lourmarin et d'autres villages qui font aujourd'hui partie du département de Vaucluse. La réforme les trouva tout préparés, par leurs idées religieuses, à recevoir ses enseignements, et tous l'embrasserent. Ils donnerent ainsi à la révolte contre l'Église, en Provence, un élan qui réchauffa la haine du clergé catholique. Le Parlement d'Aix, par un arrêt du 48 novembre 1540, condamna vingt-deux des principaux habitants de Mérindol qu'il avait cités devant lui, mais qui n'avaient pas osé comparaître, à être brûlés vifs comme luthériens, ledit arrèt enveloppant dans la condamnation, pour être bannis, « leurs femmes, enfants et familles », et ajoutant un dernier article ainsi conçu : « Au surplus, attendu que notoirement tout ledit lieu de Mérindol est la retraite, spelonque (caverne), refuge et port de gens tenant telles sectes damnées et réprouvées, la cour a ordonné et ordonne que toutes les maisons et basties dudit lieu seront abatues, demolies et abrasées, et ledit lieu rendu inhabitable, sans que personne y puisse réédidifier et bastir; et que les lieux soient descouverts, et les bois abattus deux cents pas à l'entour. » Cet arrêt demeura inexécuté pendant cinq années; le roi ne voulait pas y donner son adhésion; mais les fanatiques du pays, à la tête desquels se signalait un certain Jean Mesnier, baron d'Oppede, président au Parlement d'Aix, lui firent assurer par le cardinal de Tournon que les Vaudois étaient des séditieux armés, prêts à donner le signal de la guerre civile en Provence. L'ordre d'exécution arriva, et, quoique entaché de plusieurs irrégularités, car le chancelier Olivier n'avait voula ni le présenter à la signature du roi, ni le sceller, il fut mis à exécution. Mérindol, Cabrières et vingt bourgs ou villages de la Provence et du comtat Venaissin furent traités, en pleine paix, par les soldats du roi et les fidèles croyants du voisinage, conduits par d'Oppède, comme un camp pris d'assaut par des sauvages. A Mérindol, ceux-ci ne trouvèrent à tuer qu'un pauvre idiot et quelques femmes ; à Cabrières, qui était fortifié, d'Oppede offrit la vie sauve aux habitants s'ils se rendaient, et,. les serments n'engageant à rien envers des hérétiques, comme au beau temps des Albigeois, les portes une fois ouvertes, d'Oppède et ses deux gendres firent massacrer ceux qui tentèrent de sortir de la ville et ceux qu'on y trouva. «Trente femmes, dont la pluspart estoyent grosses, furent mises et enfermées en une grange, où l'on mit le feu pour les brusler. Ces pauvres femmes crioyent si amèrement qu'un soldat, ayant pitié d'elles, leur ouvrit la porte; mais ainsi qu'elles sortoient, le cruel président les fit tuer et mettre en pièces, jusques à faire ouvrir les ventres des mères et fouler aux pieds les petits enfans estans dans leurs ventres. » (Crespin.) Ce n'est là qu'un épisode des horreurs qui eurent lieu. Les malheureux Vaudois, bien qu'ils n'eussent pas fait la moindre résistance, furent poursuivis dans leurs montagnes, traqués dans leurs bois trois mille périrent de la main des soldats; deux cent cinquante-cinq, après le massacre, de la main du bourrean, et sept cents environ furent envoyés ramer sur les galères de la Méditerranée. On dit que François Ier cut des remords, et en effet, avant de mourir, il recommanda à son successeur de faire reviser cette affaire. Henri II le fit; d'Oppède et ses complices furent emprisonnés en 4547, et subirent un long proces; mais le Parlement de Paris ne put se résoudre à condamner le Parlement d'Aix, et les coupables furent acquittés. HENRI II. ་ Quand il monta sur le trône, Henri II avait vingthuit ans. C'était, comme François Ier, un homme de haute stature et de belle mine, adroit à tous les exercices du corps, d'esprit doux d'ailleurs, mais de peu de jugement et du tout propre à se laisser mener.» (Mém. de Condé.) Toutefois, avec moins de facilité brillante que son père, il n'était mi moins prodigue, ni guère moins adonné aux voluptés, ni moins livré aux favoris. Il dissipa en peu de temps quatre cent mille écus d'or que son père avait amassés pour continuer la guerre en Allemagne, et laissa les Montmorencys, les Guises et Diane de Poitiers, belle encore à quarante-huit ans, disposer en maitres des trésors de l'État. «Non plus qu'aux hirondelles les mouches, dit un contemporain, il ne leur échappoit état, dignité, évèché, abbaye, office ou quelque autre bon morceau qui ne fût incontinent englouti; et avoient pour cet effet, en toutes parts du royaume, gens appostés et serviteurs gagés pour leur donner avis de tout ce qui se mouroit, sans épargner les confiscations.» (Mém. de Vieilleville, 1, 10.) Depuis qu'ils ne pouvaient plus guère exercer leurs déprédations à main armée, les seigneurs se réfugiaient dans la pratique des petites' rapines. Si quelques-uns, tels que le maréchal de Vieilleville, avaient plus de souci de leur honneur, la plupart ne craignaient pas de s'enrichir par l'odieuse voie des confiscations, et le maréchal (ou plutôt Vincent Carloix, le secrétaire auteur de ses Mémoires) raconte à ce sujet une scène caractéristique qui se rapporte à l'une des premières années de ce règne. Un jour, « M. d'Apchion, beau-frère du maréchal de Saint-André, MM. de Senectaire, de Biron, de Saint-Forgeul et de la Roue, luy apportèrent ung brevet signé du roy et des quatre secrétaires d'État, par lequel Sa Majesté luy donnoit, et aux dessusdicts, la confiscation de tous les «< usuriers et luthériens» du pays de Guyenne, Lymosin, Quercy, Périgort, Xainetouges et Aunys. Et l'avoient mis le premier audict brevet, luy demandants sa part de la contribution pour ung solliciteur qu'ils envoyoient en ces pays-là pour esbaucher la besoigne. Et, pensants bien le réjouyr, l'assuroient, par le rapport mesme du solliciteur, nommé du Boys, l'un des juges de Périgueux, qui s'en faisoit fort et en répondoit, qu'il y aureit de proffict plus eux, incontinent après avoir vacqué ung mois en ceste négociation. Mais M. de Vieilleville, après les avoir remerciez de la bonne souvenance qu'ilz avoient eue de luy procurer ce bien en son absence, leur dict qu'il ne se vouloit point enrichir par ung si odieux et sinistre moyen, qui ne tendoit qu'à tourmenter le pauvre peuple, et sur une faulse accusation ruyner plusieurs bonnes familles; d'avantaige, qu'ils savoient bien qu'avoit esté en ce payslà une grosse armée, il n'y avoit pas encore demy an, qui avoit faict un dégast infiny; et de donner au pauvre peuple et subjects du roy ce surcroît de misère et d'affliction, il n'y trouvoit une seule scintille de dignité, encores moins de charité; mais qui plus est, il aimeroit mieux avoir perdu tout son bien plustost que son nom fust tapoté par toutes les cours, barres, auditoires, parquets et jurisdictions d'une si grande estendue de pays et provinces où l'on feroit comparoir les parties accusées, qui sans doute en appelleront. « Et nous voilà, dit»>il, enregistrez aux cours de parlements en répu»tation de mangeurs de peuple; car notre procura» tion au solliciteur en fera foy. Oultre ce, d'avoir, » pour vingt mille escus chacun, les malédictions » d'une infinité de femmes, de filles, de petits enfants qui mourront à l'hospital, par la confisca» tion des biens, à droit ou à tort, de leurs maris » et pères, ce serait s'abismer en enfer à trop bon » marché. » Cela dit, il tire sa dague et la fourre dans ce brevet à l'endroict de son nom. M. d'Apchon, rougissant de honte (car il avoit esté le premier autheur de ceste poursuite), tire semblablement la sienne et en traverse par grand colère le sien; M. de Biron n'en fist pas moins. Et s'en allérent tous trois tirants chascun de son costé sans se dire mot, laissants le brevet à qui le voulust prendre, car il fust jecté par terre..... et ceste vilaine recherche et tyrannique exaction sur le peuple demeura inutile, et de nulle valeur et effect.» (Vieillev., 1, 49.) Cette belle page console du fait lui-même, et montre que si les habitudes séculaires d'oppression persistaient et devaient persister longtemps encore, la noblesse commençait à rougir quelquefois des anciennes tyrannies. La prise de Boulogne par Henri VIII (p. 40) avait blessé le sentiment français. On attribuait ce revers à la trahison, et le sire de Veryins, qui avait rendu la place malgré les habitants, le paya de sa tète. Henri II méditait de reprendre Boulogne. Pour mieux assurer son dessein, il feignit de ne vouloir que la paix ; après son couronnement, il parcourut ses provinces de l'est et du midi, déployant dans chaque ville importante le faste accoutumé des entrées royales; puis, au retour de cette longue suite de fêtes, il vint tout à coup se mettre à la tête des troupes qu'on avait rassemblées en Picardie pendant son absence, et emporta en quelques jours les petits forts échelonnés autour de Boulogne (août 4549). Il ne réussit pas de même à emporter la ville; mais il la bloqua si étroitement par la con II. d'Édouard VI, fils de Henri VIII, comptaient pour lui sur la main de la jeune reine d'Écosse, dont il avait la promesse; mais aux vieilles hostilités entre l'Angleterre et l'Écosse se joignait depuis peu un nouveau grief, la fidélité de celle-ci au catholicisme; et quand on la somma d'accomplir le mariage projeté, elle avait pris les armes et s'était jetée dans les bras de la France. Entraînés par la régente et par les Guises ses frères, les seigneurs écossais avaient offert à Henri II, pour son fils le dauphin François, la main de la petite Marie, et consenti à ce qu'elle fût élevée à la cour de France. Une escadre française, conduite par Durand de Villegagnon, après avoir débarqué au nord de l'Écosse six mille soldats français, avait pris Marie, alors âgée de six ans, et, traversant heureusement le canal Saint-Georges, l'avait conduite à Brest (juin 4548).. 7 |