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n'avaient pas aliéné telle propriété, montrer leur contrat de mariage, prouver leur qualité de Français quand leur nom semblait étranger, faire rectifier l'ordre de leurs prénoms sur les registres de l'impôt. M. de Peyronnet exigeait des fonctionnaires une coopération active : « Vous êtes fonctionnaires, leur disait-on; à ce titre, vous vous êtes donnés. » Aux militaires, on demandait un engagement de bien voter; faire de l'opposition, c'était renoncer à leur emploi. Les évêques faisaient agir leur clergé. Dans beaucoup de colléges on s'arrangea pour que le vote ne fût pas secret. Aussi la gauche disparut tout entière, et l'opposition dans la nouvelle chambre ne compta plus que treize membres.

Une loi donna à la Chambre des députés sept

ans de durée, et remplaça les élections partielles de chaque année par une élection générale. Deux jours avant le vote, M. de Chateaubriand, ministre des affaires étrangères, fut destitué. M. de Villèle, bon administrateur et financier habile, était depuis longtemps hostile à l'écrivain, qui avait, aux yeux du public, le rôle politique le plus brillant, mais qui, dans la pratique des affaires; ne servait à rien et le gênait, tantôt par son silence improbateur, tantôt par des concessions de mauvaise grâce. Chateaubriand destitué devint libéral, et il entraîna dans l'opposition le Journal des débats. M. de Villele venait d'éprouver un échec. Les députés avaient voté la loi de la conversion des rentes, qui devait remplacer le 5 pour 100 par du 3 pour 400 livré à 75 francs. M. de Villèle voulait

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ainsi économiser 30 millions par an, et les employer à indemniser les émigrés. Cette loi, qui satisfaisait la jalousie de la propriété foncière contre la propriété mobilière, de la province contre Paris, des royalistes contre les libéraux, échoua à la Chambre des pairs devant l'opposition des pairs intéressés dans la question, et surtout par l'effet d'un discours de M. de Quélen, archevêque de Paris, qui défendit la cause des petits rentiers. Le clergé et les communautés religieuses avaient beaucoup de rentes sur l'État.

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Les royalistes, maîtres de la position, se divisaient; les exaltés voulaient aller plus loin que M. de Villèle, et les modérés le contenir. Il y eut contre lui une double opposition royaliste. Le ministère lutta contre la presse au moyen des procès de tendance, qui permettaient de condamner un journal pour une réunion de phrases innocentes isolément, mais qui, recueillies dans une suite de numéros, constituaient par leur ensemble un délit. Les journaux contre-révolutionnaires furent achetés, sauf la Quotidienne, qui échappa. Le

Journal des débats représenta l'opposition royaliste modérée. Le 45 août, la censure fut rétablie. Le 26, on créait un ministère des affaires ecclésiastiques pour l'abbé Frayssinous; le conseil d'État était réorganisé, les membres libéraux éliminés, et trois préfets devenaient conseillers.

Le 46 septembre 1824, Louis XVIII mourut à l'âge de soixante et dix ans. Homme d'esprit et fort lettré, aimant beaucoup les petits vers et la littérature de second ordre; sachant montrer à l'occasion, lorsque sa dignité était en jeu, la fierté qui convient au chef de la maison de Bourbon, à un roi de France, il n'eut jamais ni le goût, ni la

pratique des affaires; il fut toute sa vie gouverné par des favoris, dont l'avant-dernier fut M. Decazes, qu'avait remplacé la comtesse du Chayla, l'un des instruments de la Congrégation.

CHARLES X (1824-1830).

LOI DU SACRILEGE. INDEMNITÉ AUX ÉMIGRÉS.

Le nouveau règne débuta par le rétablissement de la liberté de la presse et un mot heureux du souverain. Les lanciers de son escorte écartaient la foule Point de hallebardes!» dit le roi. Sa liste civile fut de 30 millions par an, non compris le

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domaine de la couronne; celle des princes de la branche aînée de 7 millions, et le roi voulut que la loi confirmât la restitution à la branche cadette de l'apanage qu'une ordonnance de Louis XVIII avait rendu au duc d'Orléans.

Une loi autorisa les communautés religieuses de femmes, et leur accorda la faculté d'acquérir. La loi du sacrilége punit de mort la profanation des vases sacrés, et tout vol qualifié commis dans un édifice consacré au culte. Pour la profanation des hosties consacrées, on demandait la peine des parricides; elle fut remplacée par la mort simple

et une amende honorable devant la porte de l'église. Le vol simple des vases sacrés fut puni des travaux forcés à perpétuité. Ce fut dans la discussion de cette loi que M. de Bonald dit, à la Chambre des pairs, ce mot terrible que la tradition a conservé « Le coupable de sacrilége, que faites-vous par une sentence de mort, sinon de l'envoyer devant son juge naturel?» La loi du sacrilege retablissait le crime de lèse-majesté divine; elle s'appuyait sur le dogme de la présence réelle comme sur une vérité reconnue par la loi civile, et punissait comme un crime la violation des hosties, qui

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tunes, amenée par le partage égal, menaçait de priver de tout leur éclat. Aucune loi, sous la restauration, ne causa une émotion aussi profonde dans toutes les classes de la société. C'était une lutte de la vieille France aristocratique contre la France nouvelle, où l'esprit d'égalité est passé dans le sang. Il ne s'agissait plus d'un changement dans la société politique, où tout est passager, mais d'une révolution légale dans la société civile, qui survit à tous les gouvernements. Chaque famille était intéressée dans la question. Les pétitions arrivèrent en masse. Lorsque la Chambre des pairs eut rejeté l'article qui établissait, en faveur de l'aîné, dans toute succession, sur laquelle l'impôt foncier montait à 300 francs, un préciput de droit égal à la quotité disponible, à moins que le père de famille n'en eût disposé par testament, Paris s'illumina spontanément dans tous les quartiers de commerce, et la province montra autant d'allégresse. Il ne restait de la loi qu'un article, qui permettait les substitutions en faveur des petitsenfants du donataire.

rentes. Privé de l'économie de 30 millions par an qu'il comptait employer à indemniser les émigrés, il fit cependant passer la loi de l'indemnité. Les discussions furent très-orageuses. On prononça le mot de propriétés volées; on proposa de rendre les terres à leurs anciens maîtres et d'indemniser les acquéreurs. Un député osa même parler de reprise des biens nationaux sans indemnité aux détenteurs. Les biens vendus avant le 42 prairial an 3 (1795) furent estimés d'après le revenu de 4790 multiplié par vingt. Les biens vendus plus tard furent évalués d'après le prix de vente. L'État se reconnut redevable aux propriétaires dépossédés d'une somme de près d'un milliard, payable en titres de rente 3 pour 400.- Satisfaisant à demi les anciens propriétaires, dissipant en partie les inquiétudes que le retour des Bourbons avait causées aux acquéreurs de biens nationaux, la loi de l'indemnité était une conséquence naturelle du fait de la restauration, et une nécessité politique dans l'état présent de la France.

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Le 29 mai 1825, Charles X fut sacré à Reims, avec le cérémonial en usage dans l'ancienne France. La sainte ampoule, qu'une colombe apporta du ciel à saint Remi pour le sacre de Clovis, avait été brisée publiquement sous la Convention; recueillie, dit-on, en partie, elle servit au sacre de Charles X. Le roi, suivant l'antique usage, toucha et guérit les écrouelles. Une mesure généreuse signale l'époque du sacre: Charles X accorda une amnistie générale pour toutes les condamnations politiques, ainsi que le rappel des exilés. Cette heureuse idée de clémence perdit beaucoup de son effet en face des poursuites exercées contre la presse et de l'influence croissante du clergé. Un mandement de l'archevêque de Rouen enjoignait aux curés de dénoncer à leur évêque ceux de leurs paroissiens qui ne suivraient pas les offices. Ils devaient leur interdire l'entrée des églises, leur refuser la sépulture chrétienne et afficher leurs noms à la porte des églises.

La mort du général Foy fut l'occasion, à Paris, d'une grande manifestation du parti libéral. Cent mille personnes assistèrent à ses funérailles, et, en quelques semaines, une souscription nationale fournit un million à ses enfants, qu'il laissa sans fortune. Plus heureux que Manuel, le général Foy était resté l'un des chefs du parti libéral, qui ne l'oublia ni de son vivant ni après sa mort.

Les royalistes avaient imposé à M. de Villèle le rétablissement du droit d'aînesse. S'ils croyaient au danger, pour l'agriculture, d'un morcellement à l'infini du sol, leur but principal était de reconstituer en France une aristocratie et de conserver une grande existence aux grands noms de l'ancienne monarchie, que la diminution des for

Le jubilé séculaire, célébré à Rome l'année précédente, fut autorisé en France, par le pape, pour 1826. A Paris, il y eut quatre processions générales, auxquelles prirent part le roi et sa famille, la cour et les autorités. La dernière, celle du 4 mai, fut marquée par la consécration du monument expiatoire à élever sur la place où était tombée la tête de Louis XVI. Charles X y assista en habits de deuil, dont la couleur violette, qui est le deuil des rois, donna lieu à ce bruit singulier qu'il était devenu évêque. Le roi et la famille royale, la cour et toutes les autorités de Paris et du département, cent cinquante officiers généraux, le nonce du pape, trois cardinaux, l'archevêque de Paris, plusieurs évêques et plus de deux mille ecclésiastiques, allèrent de Saint-Germain l'Auxerrois, la paroisse royale, à Saint-Roch, à l'Assomption, et enfin à la place Louis XV. C'est là que « les pontifes et les prêtres, montant à l'autel, élevèrent trois fois vers le ciel le cri de pardon et de miséricorde. Tous les spectateurs tombent à genoux. Un silence profond, absolu, règne autour de l'autel et dans toute la place. La même douleur accable le peuple et les grands. Les yeux du roi sont pleins de larmes. »

Les exercices militaires furent suspendus dans la garnison de Paris; les soldats n'en profitèrent pas pour faire leur jubilé. Les officiers se montrèrent sourds aux invitations de leurs chefs; il fallut un ordre formel. L'armée fit ses stations et alla au sermon par compagnies, officiers en tête.

Beaucoup de royalistes commençaient à s'inquiéter de l'influence croissante du clergé. Parmi eux, les esprits politiques redoutaient cet envahissement du pouvoir temporel par le pouvoir spirituel. D'autres s'irritaient de voir, dans la distribution des places et des faveurs, leurs services, leurs malheurs, leur vieille foi royaliste, devenir des titres sans valeur, s'ils n'y joignaient l'appui

de la Congrégation. Le comte de Montlosier, royaliste, aristocrate et gallican à outrance, publia contre les jésuites son Mémoire à consulter, dont sept éditions furent enlevées en quelques semaines. Il dénonça à la Cour royale de Paris l'existence illégale des jésuites. La Cour, délibérant malgré son procureur général, se déclara incompétente, en disant qu'à la haute police seulement appartenait le droit de supprimer la société de Jésus. Mais son arrêt déclara « que la loi s'opposait formellement au rétablissement des jésuites, dont les principes étaient incompatibles avec l'indépendance de tout gouvernement, et surtout avec la charte. » A la Chambre, l'abbé Frayssinous, évêque d'Hermopolis, prononçait pour la première fois, à l'étonnement de tous, le nom de la Congrégation, celui des jésuites. Il reconnaissait à la Congrégation vingt-sept ans d'existence, et faisait remonter à 1800 le retour des jésuites. En même temps, il exprimait l'espoir que les registres de l'état civil seraient rendus au clergé, et ajoutait : « Il faudra bien trouver le moyen d'empêcher les mariages qui ne seraient pas consacrés par la religion. »

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Le projet de loi sur la presse, par ses dispositions administratives et fiscales, par l'organisation qu'il imposait aux journaux et la pénalité qu'il établissait, avait pour but d'empêcher d'imprimer, soit dans les journaux, soit dans des ouvrages nouveaux ou anciens, tout ce qui pourrait déplaire au gouvernement. Il imposait à l'imprimeur la condition impossible d'une déclaration préalable du nombre de feuilles que l'ouvrage devrait avoir. Au-dessous de six feuilles d'impression, le timbre serait d'un franc par exemplaire pour la première feuille. Un journal ne pouvait avoir plus de cinq propriétaires, qui formeraient une société en nom collectif. Les poursuites seraient dirigées contre les propriétaires, et l'imprimeur était responsable. La pénalité, outre les châtiments corporels, consistait dans une amende de 500 à 20 000 francs.

La France entière s'émut, et l'Académie française elle-même adressa à Charles X une supplique que le roi ne voulut pas recevoir. A la Chambre des députés, royalistes et libéraux s'inscrivaient avec une ardeur inouïe pour parler contre la loi, qui n'eut pour défenseurs que les ministres et les hommes de la Congrégation. La loi fut votée après un mois de luttes. C'est là que Royer-Collard prononça ce discours célèbre, où sa raison impérieuse s'éleva jusqu'au sublime, et porta la question à une hauteur inaccessible pour les défenseurs de la loi, comme pour ses adversaires : œuvre impérissable qui a survécu à nos querelles passagères et à nos gouvernements d'un jour.

« Dans la pensée intime de la loi, disait RoyerCollard, il y a eu imprudence, au grand jour de la création, à laisser l'homme s'échapper libre et

intelligent au milieu de l'univers; de là sont sortis le mal et l'erreur. Une plus haute sagesse vient réparer les fautes de la Providence, restreindre sa libéralité imprudente, et rendre à l'humanité, sagement mutilée, le service de l'élever à l'heureuse innocence des brutes... Avec la liberté étouffée doit s'éteindre l'intelligence, sa noble compagne. Comme la prison est le remède naturel de la liberté, l'ignorance sera le remède nécessaire de l'intelligence. L'ignorance est la vraie science de l'homme et de la société... La loi actuelle ne proscrit que la pensée; elle laisse la vie sauve. C'est pourquoi il lui suffit de renverser les règles éternelles du droit. Pour détruire les journaux, il faut rendre illicite ce qui est licite, et licite ce que les lois divines et humaines ont déclaré illicite. Il faut annuler les contrats, légitimer la spoliation, inviter au vol: la loi le fait. Messieurs, une loi qui nie la morale est une loi athée. L'obéissance ne lui est point due; car, dit Bossuet, il n'y a pas sur la terre de droit contre le droit. » Et, se tournant du côté des ministres : « Qu'avez-vous fait jusqu'ici qui vous élève à ce point au-dessus de vos concitoyens, que vous soyez en état de leur imposer la tyrannie? Dites-nous à quel jour vous êtes entrés en possession de la gloire, quelles sont vos batailles gagnées, quels sont les immortels services que vous avez rendus au roi et à la patrie? Obscurs et médiocres comme nous, il nous semble que vous ne nous surpassez qu'en témérité. La tyrannie ne saurait résider dans vos faibles mains. >> Jetant le défi à la contre-révolution, il ajoutait : « Si la charrue ne passe pas sur la civilisation tout entière, ce qui en restera suffira pour tromper vos efforts. >> « Je rejette la loi, dit-il en terminant, par respect pour l'humanité qu'elle dégrade. Je la rejette par respect pour la justice qu'elle outrage; je la rejette par fidélité à la monarchie qu'elle ébranle peut-être, qu'elle compromet au moins, et qu'elle ternit dans l'opinion des peuples comme infidèle à ses promesses. C'est le seul gage que je puisse donner aujourd'hui à cette monarchie d'un dévouement qui lui a été connu aux jours de l'exil et de l'infortune. »>

La Chambre des pairs, saisie à son tour du projet de loi, ouvrit une enquête où furent appelés les représentants de cette grande industrie, qui occupait déjà à Paris, directement ou indirectement, quarante mille personnes. Elle entendit même des propriétaires et des rédacteurs de journaux. La Chambre allait rejeter la loi, lorsque le ministère la retira, le 7 avril 1827. A cette nouvelle, les ouvriers se promenèrent à Paris, drapeau blanc en tête, et le soir, une grande illumination témoigna de la joie presque universelle.

DISSOLUTION DE LA GARDE NATIONALE DE PARIS. RÉTABLISSEMENT DE LA CENSURE.

Le 29 avril 1827, Charles X passait une revue générale de la garde nationale de Paris. Il fut

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