Travaillez à loisir, quelqu'ordre qui vous presse, Et ne vous piquez point d'une folle vitesse : Un style si rapide, et qui court en rimant, Marque moins trop d'esprit que peu de jugement. J'aime mieux un ruisseau qui, sur la molle arène, Dans un pré plein de fleurs lentement se promène, Qu'un torrent débordé, qui d'un cours orageux / Roule, plein de gravier, sur un terrain fangeux. Hâtez-vous lentement; et, sans perdre courage, Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage. Polissez-le sans cesse, et le repolissez :
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.
C'est peu qu'en un ouvrage où les fautes fourmillent, Des traits d'esprit semés de temps en temps pétillent : Il faut que chaque chose y soit mise en son lieu; Que le début, la fiu, répondent au milieu`; Que d'un art délicat les pièces assorties N'y forment qu'un seul tout de diverses parties; Que jamais du sujet le discours s'écartant
N'aille chercher trop loin quelque mot éclatant. Craignez-vous pour vos vers la censure publique? Soyez-vous à vous-même un sévère critique : L'ignorance toujours est prête à s'admirer. Faites-vous des amis prompts.
Qu'ils soient de vos écrits les confidents sincères, Et de tous vos défauts les zélés adversaires.
Dépouillez devant eux l'arrogance d'auteur;
Mais sachez de l'ami discerner le flatteur:
Tel vous semble applaudir, qui vous raille et vous joue ; Aimez qu'on vous conseille, et non pas qu'on vous loue. Un flatteur aussitôt cherche à se récrier.
Chaque vers qu'il entend le fait extasier.
Tout est charmant, divin; aucun mot ne le blesse: Il trépigue de joie; il pleure de tendresse; Il vous comble partout d'éloges fastueux : La vérité n'a point eet air impétueux.
Un sage ami, toujours rigoureux, inflexible, Sur vos fautes jamais ne vous laisse paisible. Il ne pardonne point les endroits négligés ; Il renvoie en leur lieu les vers mal arrangés ; Il réprime des mots l'ambitieuse emphase: Ici le sens le choque, et plus loin c'est la phrase; Votre construction semble un peu s'obscurcir; Ce terme est équivoque, il le faut éclaircir. C'est ainsi que vous parle un ami véritable.
BOILEAU. Art poét., chant Ier.
Manière de lire les Vers.
ARRÊTE, Sot lecteur, dont la triste manie Détruit de nos accords la savante harmonie ; Arrête, par pitié! Quel funeste travers, En dépit d'Apollon, te fait lire des vers? Ah! si ta voix ingrate ou languit, ou détonne, Ou traîne avec lenteur son fausset monotone; Si du feu du génie en nos vers allumé N'étincelle jamais ton œil inanimé;
Si ta lecture enfin, dolente psalmodie,
Ne dit rien, ne peint rien à mon âme engourdie, Cesse, ou laisse-moi fuir. Ton regard abattu Du regard de Méduse a la triste vertu. L'auditeur qu'ont glacé tes sons et ta présence, Croit subir le supplice inventé par Mézence: C'est un vivant qu'on lie au cadavre d'un mort: Attentif à ta voix, Phébus même s'endort; Sa défaillante main laisse tomber sa lyre.
C'est peu d'aimer les vers, il les faut savoir lire; Il faut avoir appris cet art mélodieux, De parler dignement le langage des Dieux; Cet art, qui, par les tons des phrases cadencées, Donne de l'harmonie et du nombre aux pensées :
Cet-art de déclamer, dont le charme vaiuqueur Assujétit l'oreille et subjugue le cœur.
« D'où vient, me diras-tu, cette brusque apostrophe? Lisant pour m'éclairer, je lis en philosophe.
Plus un écrit est beau, moins il a besoin d'art, Et le teint de Vénus peut se passer de fard. L'harmonieux débit que ta Muse me vante, Ne séduisit jamais une oreille savante. De cette illusion qu'un autre soit épris; Mais la vérité nue a pour moi plus de prix. » Hé quoi! d'une lecture insipide et glacée, Ta prétends attrister mon oreille lassée! Quoi ! traître à tes côtés tu prétends m'enchaîner! A loisir, en détail, tu veux m'assassiner;
Dans les longs bâillements et les vapeurs mortelles Eusevelir l'honneur des œuvres les plus belles ; Et toujours méthodique, et toujours concerté, Des élans d'un auteur abaisser la fierté, Tomber quand il s'élève, et ramper quand il vole! Ah! garde pour toi seul ton scrupule frivole : Sois captif dans le cercle obscur et limité Qui fut tracé des mains de l'uniformité; Aux lois de ton compas asservis Melpomène, Et la douleur de Phèdre, et l'amour de Chimène ; Ravale à ton niveau l'essor audacieux
De l'oiseau du tonnerre égaré dans les cieux; Meurs d'ennui, j'y consens: sois barbare à ton aise ; Mais ne m'accable pas sous un joug qui me pèse; N'exige pas du moins, insensible lecteur, Que jamais je me plie à ton goût destructeur. Va, d'un débit heureux l'innocente imposture, Sans la défigurer, embellit la nature;
Et les traits que la Muse éternise en ses chants, Récités avec art, en seront plus touchants: Ils laisseront dans l'âme une trace durable, Du génie éloquent empreinte inaltérable,
Et rien ne plaira plus à tous les goûts divers, Qu'un organe flatteur déclamant de beaux vers. Jadis on les chantoit: les annales antiques De Moïse et d'Orphée exaltent les cantiques. Te faut-il rappeler ces prodiges connus? Ces rochers attentifs à la voix de Linus? Et Sparte qui s'éveille aux accents de Tyrtée? Et Therpandre apaisant la foule révoltée ? Les poëtes divins, maîtres des nations, Savoient noter alors l'accent des passions. L'âme étoit adoucie et l'oreille charmée, Et même des tyrans la rage désarmée.
Ce fut l'attrait des vers qui fit aimer les lois. L'art de les déclamer fut le talent des Rois.
Les Dieux même, les Dieux, par la voix des oracles, De cet art enchanteur consacroient les miracles.
Chez les fils de Cadmus, peuples ingénieux, Que les sons de la lyre étoient harmonieux! Que, dans ces beaux climats, l'exacte prosodie Aux chansons des neuf Sœurs prêtoit de mélodie! On voyoit, à côté des dactyles volants,
Le spondée allongé se traîner à pas lents. Chaque mot, chez les Grecs, amants de la mesure, Se plioit de lui-même aux lois de la césure. Chaque genre eut son rhythme. En vers majestueux, L'épopée entonna ses récits fastueux.
La modeste élégie eut recours au distique; Archiloque s'arma de l'iambe caustique. A des mètres divers, Alcée, Anacréon,
Prêtèrent leur génie, et leur gloire, et leur nom. Pour nous, enfants des Goths, Apollon plus avare A dédaigné long-temps notre jargon barbare. Ce jargon s'est poli: les Muses, sur nos bords, Ont d'une mine ingrate arraché des trésors. O Racine! ô Boileau! votre savante audace Fait parler notre langue aux échos du Parnasse ;
Ce rebelle instrument rend des accents flatteurs, Vous peignez la nature en sons imitateurs, Tantôt doux et légers, tantôt pesants et graves; Votre Apollon est libre au milieu des entraves; Et l'oreille, attentive au charme de vos vers, Croit de Virgile même entendre les concerts.
FRANÇOIS DE NEUFCHATEAU.
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