Clio savoit alors, d'un éternel burin,
Graver les noms fameux dans ses Fastes d'airain, Et, dans sa coupe d'or, l'auguste Poésie
Aux sublimes Vertus présentoit l'ambroisie. Louis, amant des Arts, grand même en ses plaisirs, Les reçut à sa Cour, leur fit d'heureux loisirs.
Des talents adorés persécuteur injuste,
Vois briller à la fois, dans cette Cour auguste, Bossuet, Fénélon, Racine, Despréaux, De l'altière ignorance invincibles fléaux. Alors des courtisans Boileau fut Paristarque; Racine à Marly même introduisoit Plutarque; Racine, dont la Muse et les tendres douleurs Ont des yeux de son Roi fait couler tant de pleurs. Rodogune y marchoit rivale d'Athalie; Molière y sut conduire et Tartufe et Thalie. La Fontaine, sublime en ses naïvetés,
Laissa couler des vers par les Grâces dictés. Alors nos Demi-Dieux, Condé même et Turenne, Descendoient de l'Olympe aux bords de l'Hippocrène. Et Corneille et Louis, les savants, les guerriers, Marchoient d'un pas égal, ceints des mêmes lauriers. Quel spectacle de voir ces têtes immortelles
Se prêter leurs rayons, mêler leurs étincelles, Eclairer, embellir la plus noble des Cours, Et tous ces grands destins y commencer leur cours! Les Muses devançant nos légions altières, Ont de la France alors reculé les frontières ; Et leurs mains ont porté les conquêtes des arts Où n'ont jamais atteint les conquêtes de Mars. Louis sut qu'un héros n'est pas long-temps illustre, Si du flambeau des Arts il n'emprunte son lustre; Et son règne fertile en esprits excellents Par de nobles bienfaits implora leurs talents.
Tous ces lauriers rivaux que ses mains cultivèrent,
. Pour ombrager sa tête en foule s'élevèrent.
Des Arts qui l'entouroient la sublime clarté Fit rejaillir sur lui leur immortalité.
Oses-tu démentir le plus grand des Monarques, Et ce règne, vainqueur de l'Envie et des Parques, Où le Français, rival des Grecs et des Latins, 'A de Rome et d'Athène assemblé les destins? Vois Lysippe et Myron, Scopas, Vitruve, Apelle, Renaissant à la fois, quand Louis les appelle. Là, Mansard dessina ces portiques divins; Ici, Le Nôtre à Flore éleva ces jardins. Là, Pomone attendoit l'œil de la Quintinie ; Là, Pujet sur le marbre a soufflé son génie. Le Brun peignoit alors d'une immortelle main Ces deux héros vainqueurs du Granique et du Rhin. Le Brun, digne en effet de tracer leur image, De la terre avec eux sut partager l'hommage.
O nom que l'art d'Apelle a deux fois consacré, Puisses-tu par ma lyre être encore illustré ! Puisse l'Amour des arts qui brûle dans mon âme, Se tracer vers l'Olympe une route de flamme!
Siècles des vrais talents par Louis caressés, Beaux jours de nos aïeux, seriez-vous éclipsés? Ombre du grand Rousseau, pardonne à ta patrie L'arrêt d'une Thémis que ta gloire a flétrie;
Et que du moins un siècle ouvert par Richelieu, Donne en fermant son cours Voltaire et Montesquieu, Nobles et derniers fruits du plus brillant des âges! 'Ainsi pour réparer ses antiques feuillages, Un palmier que la terre a vu briller long-temps. Jette encor deux rameaux, honneur de ses vieux, ans. LE BRUN. Poëme de la Nature, ch. III.
Les Alpes, le Jura, etc., ou les grandes Images de la Nature.
TROP Vaine ambition! Ah, peut-être comme eux J'admire la nature en ses sublimes jeux!
Mais, si je veux jouir de ses grandes images, Je m'écarte, je cours au fond des lieux sauvages. Alpes, et vous, Jura, je reviens vous chercher! Sapins du Mont-Envers, puissiez-vous me cacher! Dans cet antre azuré que la glace environne, Qu'entends-je! l'Arvéron boudit, tombe et bouillonne, Rejaillit et retombe, et menace à jamais
Ceux qui tentent l'abord de ces âpres sommets. Plus haut l'aigle a son nid, l'éclair luit, les vents grondent; Les tonnerres lointains sourdement se répondent.
L'orgueil de ces grands monts, leurs immenses contours, Cent siècles qu'ils ont vus passer comme des jours, De l'homme humilié terrassent l'impuissance: C'est là qu'il rêve, adore, ou frémit en silence. Et lorsqu'abandonnant ces informes beautés, Qui repoussent bientôt les yeux épouvantés, J'entrevis ces vallons, ces beaux lieux où respire Un charme que Saint-Preux n'a pu même décrire; Quand de l'heureux Léman je découvris les flots, Oui, je crus qu'échappé des débris du chaos, L'univers, tout à coup naissant à la lumière, M'étaloit sa jeunesse et sa beauté première (1).
SUR ces vastes rochers confusément épars', Je crois voir le Génie appeler tous les arts.
Le peintre y vient chercher, sous des teintes sans nombre, Les jets de la lumière et les masses de l'ombre. Le poëte y conçoit de plus sublimes chants; Le sage y voit des mœurs les spectacles touchants. Les siècles autour d'eux ont passé comme une heure, Et l'aigle et l'homme libre en aiment la demeure;
(1) Voyez sur ce morceau et le suivant, tom. I, même partie.
Et vous, vous y veuez, d'un œil observateur, Admirer dans ses plans l'éternel Créateur.
Là, le Temps a tracé les annales du monde. Vous distinguez ces monts, lents ouvrages de l'onde; Ceux que des feux soudains ont laucés dans les airs, Et les monts primitifs nés avec l'univers ;
Vous fouillez dans leur sein, vous percez leur structure, y voyez empreints, Dieu, l'homme et la nature : La nature, tantôt riante en tous ses traits,
De verdure et de fleurs égayant ses attraits; Tantôt måle, âpre et forte, et dédaignant les grâces; Fière, et du vieux chaos gardant encor les traces. Ici, modeste encore au sortir du berceau, Glisse en mince filet un timide ruisseau;
Là, s'élance en grondant la cascade écumante; Là, le Zéphyr caresse, ou l'Aquilon tourmente; Vous unis des volcans, des vergers, y voyez Et l'écho du tonnerre et l'écho des bergers;
Ici, de frais vallons, une terre féconde; Là, des rocs décharnés, vieux ossements du monde; A leur pied le printemps, sur leur front les hivers. Salut, pompeux Jura! terrible Mont-Envers! De neiges, de glaçons, entassements énormes ; Du temple des frimas colonnades informes; Prismes éblouissants dont les pans azurés, Défiant le soleil dont ils sont colorés,
Peignent de pourpre et d'or leur éclatante masse; Tandis que, triomphant sur son trône de glace, L'Hiver s'enorgueillit de voir l'astre du jour Embellir son palais et décorer sa Cour!
Non, jamais au milieu de ces grands phénomènes, De ces tableaux touchants, de ces terribles scènes, L'imagination ne laisse, dans ces lieux,
Ou languir la pensée, ou reposer les yeux.
DELILLE. Géorg.françaises.
Le Voyageur égaré dans les Neiges du Saint-Bernard.
La neige au loin accumulée
En torrents épaissis tombe du haut des airs, Et sans relâche amoncelée
Couvre du Saint-Bernard les vieux sommets déserts.
Plus de routes, tout est barrière;
L'ombre accourt, et déjà, pour la dernière fois, Sur la cime inhospitalière
Dans les vents de la nuit l'aigle a jeté sa voix.
A ce cri, d'effroyable augure, voyageur transi n'ose plus faire un pas; Mourant, et vaincu de froidure,
Au bord d'un précipice il attend le trépas.
Là, dans sa dernière pensée, songe à son épouse, il songe ses enfants: Sur sa couche affreuse et glacée
Cette image a doublé l'horreur de ses tourments.
C'en est fait; son heure dernière Se mesure pour lui dans ces terribles lieux, Et chargeant sa froide paupière, Un funeste sommeil déjà cherche ses yeux.
Soudain, ô surprise! ô merveille! D'une cloche il a cru reconnoître le bruit; Le bruit augmente à son oreille; Une clarté subite a brillé dans la nuit.
Tandis qu'avec peine il écoute,
A travers la tempête un autre bruit s'entend : Un-chien jappe, et s'ouvrant la route,
Suivi d'un solitaire, approche au même instant.
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