Le chien, en aboyant de joie,
Frappe du voyageur les regards éperdus :
La Mort laisse échapper sa proie,
Et la Charité compte un miracle de plus (1).
CHÊNEDOLLÉ. Etudes Poétiques.
LE Rhône, dont les flots s'épandent dans ces plaines, Sort des flancs tortueux de ces roches lointaines, Le Rhône altier m'appelle, et je porte mes pas Jusqu'à ces monts blanchis par d'éternels frimas, Où semblent s'élever les barrières du Monde. Le fleuve, dieu de ces climats, Guide dans ses détours ma course vagabonde; Je l'aperçois enfin, sur un roc appuyé ;
A ses pieds l'eau bouillonne et gronde, Et dans le lit étroit qui resserre son onde, De son obscure source il semble humilié. Mais il croît en roulant; la cascade rapide, Qui jaillit en argent fluide,
Forme mille torrents, qui, d'écueil en écueil, De son cours agrandi viennent enfler l'orgueil. Alors avec fracas il traîne des ruines,
Il emporte les bois minés dans leurs racines; Et, soulevant ses flots où d'énormes glaçons Tombent en bondissant de la cime des monts, Il recourbe, il déchire, il creuse son rivage. Au loin le bruit de son passage
Fait trembler les rochers, fait mugir les vallons; De son vaste courroux il couvre les campagnes, Et va précipiter dans le sein de Thétis
Ces débris orageux en courant engloutis,
Et les dépouilles des montagnes.
LA HARPE. Epître au Comte de Schowalow.
(1) Voyez Narrations en prose, tom. I.
La Campagne au lever du Soleil.
LE crépuscule, amî de la saison nouvelle, Semble créer aux yeux les beautés qu'il révèle : L'aube au front argenté fait naître lentement Du réveil matinal l'incertain mouvement; Dans l'air qui s'éclaircit l'alouette légère, De l'aurore au printemps active messagère, Au milieu des sillons monte, chante, et sa voix A donné le signal au peuple ailé des bois. Sous des rameaux en fleurs le rossignol tranquille Leur permet le plaisir d'une gloire facile; Il sait que ses accents doivent rendre à leur tour Les échos de la nuit plus doux que ceux du jour. Souverain bienfaisant de la céleste voûte,
Et des Heures en cercle entouré sur sa route, Le Soleil a conduit son char étincelant Du signe du Bélier vers le Taureau brillant. L'Orient va s'ouvrir; de la séve animée S'élève vers le Dieu l'offrande parfumée. Le feu de ses rayons n'entr'ouvre point encor Les nuages voisins qu'il change en vagues d'or; Mais son front se dévoile, et soudain la lumière Perce, vole et s'étend sur la nature entière. Elle frappe, elle éclaire et rougit les côteaux, Dont la pente blanchit sous de nombreux troupeaux. Dans ces châteaux lointains fermés à sa puissance, Des palais du sommeil respectant le silence, Elle va sous le chaume, où le vieux laboureur De ce nouveau printemps implore la faveur ; Plus loin, elle produit dans la forêt moins sombre Le mobile combat et du jour et de l'ombre. De l'œil à cet éclat semblent se rapprocher La cascade bleuâtre et l'humide rocher,
Et d'un brouillard qui fuit la montagne entouréc Reparoît sous l'azur dont elle est colorée.
La rivière, à l'aspect du globe lumineux, Sans abri, solitaire, en reçoit tous les feux : Elle étincelle au loin, et son onde plus belle Semble s'enorgueillir de sa beauté nouvelle. Les rayons, divisés en mobiles réseaux, Roulent en nappes d'or sur l'argent de ses eaux; Son éclat vacillant se prolonge, et ma vue Suit des flots radieux l'incertaine étendue, Jusqu'aux lieux où le bois, par d'obliques retours, Ombrage, rembrunit, me dérobe leur cours,
Et ferme à mes regards cette scène champêtre, Où, comme aux champs d'Eden, l'homme semble renaître, Et seul sait contempler dans le recueillement Ce passage si doux du calme au mouvement, Cette aimable union, ce céleste hyménée De l'aurore du jour, du matin de l'année (1).
Fin d'une belle Journée de Printemps.
MAIS, tandis qu'à regret je quitte ces demeures, Entraînant dans son cours le char léger des Heures, L'astre brûlant du jour s'incline vers les monts, Et Zéphyre, endormi dans le creux des vallons, S'éveille, et, parcourant la campagne embrasée, Verse sur le gazon la féconde rosée :
Un vent frais fait rider la surface des eaux, Et courbe, en se jouant, la tête des roseaux. Déjà l'ombre s'étend; ô frais et doux bocages! Laissez-moi m'arrêter sous vos jeunes ombrages, Et que j'entende encor, pour la dernière fois, Le bruit de la cascade et les doux chants des bois. De la cime des monts tout prêt à disparoître,
Le jour sourit encore aux fleurs qu'il a fait naître;
(1) Voyez les cinq premières Descriptions en prose, et les Leçons Latines anciennes.
Le fleuve poursuivant son cours majestueux, Réfléchit par degrés sur ses flots écumeux Le vert sombre et foncé des forêts du rivage. Un reste de clarté perce encor le feuillage; Sur ces toits élevés, d'un ciel tranquille et pur L'ardoise fait au loin étinceler l'azur;
Et la vitre embrasée, à la vue éblouie
Offre à travers ces bois l'aspect d'un incendie. J'entends dans ces bosquets le chantre du printemps; L'éclat touchant du soir semble animer ses chants, Ses accents sont plus doux et sa voix est plus tendre ; Et, tandis que les bois se plaisent à l'entendre, Au buisson épineux, au tronc des vieux ormeaux, La muette Arachné suspend ses longs réseaux; L'insecte que les vents ont jeté sur la rive, Poursuit, en bourdonnant, sa course fugitive : il va de feuille en feuille, et, pressé de jouir, Aux derniers feux du jour, vient briller et mourir. La caille, comme moi, sur ces bords étrangère, Fait retentir les champs de sa voix printanière. Sorti de son terrier, le lapin imprudent
Vient tomber sous les coups du chasseur qui l'attend; Et par l'ombre du soir la perdrix rassurée Redemande aux échos sa compagne égarée.
Quand la fraîcheur des nuits descend sur les côteaux, Le peuple des cités court oublier ses maux Dans ces brillants jardins, sous ces vastes portiques Qu'embellissent des arts les prestiges magiques. Là, cent flambeaux, vainqueurs des ombres de la nuit, Renouvellent aux yeux l'éclat du jour qui fuit; Là, le salpêtre éclate, et la flamme élancée, En sillons rayonnants dans les airs dispersée, Remplit tout l'horizon, s'élève jusqu'aux cieux,' Tonne, brille et retombe en globes lumineux; Tantôt elle s'élève en riches colonnades, Tantôt elle jaillit en brillantes cascades;
Et tantôt c'est un fleuve, un torrent orageux Qui roule avec fracas son crystal sulfureux.
Mais à ce luxe vain, ô combién je préfère Cette pompe du soir dont brille l'hémisphère, Ces nuages légers l'un sur l'autre entassés, Et sur l'aile des vents mollement balancés ! L'imagination leur prête mille formes :
Tantôt c'est un géant, qui de ses bras énormes Couvre le vaste Olympe, et tantôt c'est un Dieu Qui traverse l'Ether sur un trône de feu. Là, ce sont des forêts dans le ciel suspendues, Des palais rayonnants sous des voûtes de nues; Plus loin, mille guerriers se heurtant dans les airs De leurs glaives d'azur font jaillir les éclairs. Que j'aime de Morven le barde solitaire! Quand le brouillard du soir descend sur la bruyère, Assis sur la colline où dorment ses aïeux, Il chante des Héros les mânes belliqueux. Dans l'humide vapeur, sur ces bois étendue, L'ombre du vieux Fingal vient s'offrir à sa vue; Le vent du soir gémit sous ces saules pleureurs : C'est la voix d'Ithona qui demande des pleurs. Ces antiques forêts, leurs mobiles ombrages, L'aspect changeant des lacs, des monts et des nuages, Rappellent à son cœur tout ce qu'il a chéri.
Oh! qui pourra jamais voir sans être attendri L'éclat demi-voilé de l'horizon plus sombre, Ce mélange confus du soleil et de l'ombre, Ces combats indécis de la nuit et du jour,
Ces feux mourants épars sur les monts d'alentour,
Ce brillant occident où le soleil étale
Sa chevelure d'or et sa robe d'opale,
Ce ciel qui par degrés se peint d'un gris obscur, Et le jour qui s'éteint sous un voile d'azur (1)! MICHAUD. Le Printemps d'un Proscrit.
(1) Voyez plus bas Descriptions.
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