La Prière du Soir à bord d'un Vaisseau.
CEPENDANT le soleil, sur les ondes calmées, Touche de l'horizon les bornes enflammées; Son disque étincelant, qui semble s'arrêter, Revêt de pourpre et d'or les flots qu'il va quitter! Il s'éloigne, et Vesper, commençant sa carrière, Mêle au jour qui s'éteint sa timide lumière. J'entends l'airain pieux, dont les sons éclatants Appellent la prière et divisent le temps. Pour la seconde fois, le nautonier fidèle Adorant à genoux la puissance éternelle, Dès que l'astre du jour a brillé dans les airs, Adresse l'hymne saiute au Dieu de l'univers, Entre l'homme et le ciel, sur des mers sans rivages, Un prêtre en cheveux blancs conjure les
Son zèle des nochers adoucit les travaux,
Epure leur hommage, et console leurs maux.
« Dieu créateur! dit-il, toi dont les mains fécondes
» Dans les champs de l'espace ont suspendu les mondes; » Dieu des vents et des mers, dont l'œil conservateur
» De l'Océan qui gronde arrête la fureur,
» Et, d'un regard chargé de tes ordres sublimes, >> Suis un frêle vaisseau flottant sur les abîmes, >> Que peuvent devant toi nos travaux incertains? » Dieu, que sont les mortels sous tes puissantes mains? » Par des vœux suppliants nos alarmes t'implorent; » Bénis, Dieu paternel, tes enfants qui t'adorent; >> Rends-les à leur patrie, à ton culte, à ta loi : » La force et la vertu ne viennent que de toi. » Daigne remplir nos cœurs; éloigne la tempête; » Que le sombre ouragan se dissipe et s'arrête » Devant ces pavillons qui te sont consacrés;
» Et qu'un jour nos drapeaux, par toi-même illustrés, » Aux doutes de l'orgueil opposant nos exemples, » Appellent le respect et la foi dans tes temples! >>
Il dit, et prie encor; ses chants consolateurs D'espérance et d'amour pénètrent tous les cœurs : O spectacle touchant, ravissantes images! Tandis que l'œil fixé sur un ciel sans nuages, Du prêtre, dont la voix semble enchaîner les vents, Les nautoniers émus répètent les accents, Le couchant a brillé d'une clarté plus pure; L'Océan de ses flots apaise le murmure; Et seule, interrompant ce calme solennel, La prière s'élève aux pieds de l'Eternel (1).
ESMENARD. La Navigation, ch. VIII.
Le Clair de Lune.
MAIS de Diane au ciel l'astre vient de paroître ; Qu'il luit paisiblement sur ce séjour champêtre ! Eloigne tes pavots, Morphée, et laisse-moi Contempler ce bel astre, aussi calme que toi. Cette voûte des cieux mélancolique et pure,
Ce demi-jour si doux levé sur la nature,,
Ces sphères qui, roulant dans l'espace des cieux, Semblent y ralentir leur cours silencieux;
Du disque de Phébé la lumière argentée,
rayons tremblotants sous ces eaux répétée, Ou qui jette en ces bois, à travers les rameaux, Une clarté douteuse et des jours inégaux;
Des différents objets la couleur affoiblie, Tout
repose la vue, et l'âme recueillie. Reine des nuits, l'amant devant toi vient rêver, Le sage réfléchir, le savant observer.
Il tarde au voyageur, dans une nuit obscure, Que ton pâle flambeau se lève et le rassure: Le ciel d'où tu me luis est le sacré vallon, Et je sens que Diane est la sœur d'Apollon (2).
LEMIÈRE. Les Fastes, ch. VII.
(1) Voyez Tableaux, tom. I, même sujet.
(2) Voyez Tableaux, en prose, le Spectacle d'une belle Nuit dans les déserts du Nouveau-Monde.
AINSI qu'une jeune beauté Silencieuse et solitaire,
Des flancs du nuage argenté
La lune sort avec mystère.
Fille aimable du ciel, à pas lents et sans bruit, Tu glisses dans les airs où brille ta couronne; Et ton passage s'environne
Du cortège pompeux des soleils de la nuit. Que fais-tu loin de nous, quand l'aube blanchissante Efface à nos yeux attristés
Ton sourire charmant et tes molles clartés? Vas-tu, comme Ossian, plaintive et gémissante, Dans l'asyle de la douleur Ensevelir ta beauté languissante?
Fille aimable du ciel, connois-tu le malheur? Maintenant revêtu de toute sa lumière,
Ton char voluptueux roule au-dessus des monts : Prolonge, s'il se peut, le cours de ta carrière,
Et verse sur les mers tes paisibles rayons.
DIRAI-JE des Natchés la tristesse touchante!
Combien de leur douleur l'heureux instinct m'enchante! Là, d'un fils qui n'est plus la tendre mère en deuil A des rameaux voisins vient pendre le cercueil. Eh! quel soin pouvoit mieux consoler sa jeune ombre ! Au lieu d'être enfermé dans la demeure sombre, Suspendu sur la terre et regardant les cieux, Quoique mort, des vivants il attire les yeux. Là, souvent sous le fils vient reposer le père; Là, ses sœurs en pleurant accompagnent leur mère; L'oiseau vient y chanter, l'arbre y verse des pleurs, Lui prête son abri, l'embaume de ses fleurs;
Des premiers feux du jour sa tombe se colore; Les doux zéphyrs du soir, le doux vent de l'aurore, Balancent mollement ce précieux fardeau,
Et sa tombe riante est encore un berceau : De l'amour maternel illusion touchante (1)!
DELILLE. L'Imagination, ch. VII.
QUE d'objets rassemblés dans ce frais paysage! Le fleuve en son heureux passage
Réfléchit de ses bords la fertile beauté,
Et baigne de ses eaux lentement fugitives
Tous ces mouts de verdure élevés sur ses rives. Que le ciel est serein! quel calme dans les champs! Que ces sites sont doux ! que ces lieux sont touchants! O puissante nature! ô grande enchanteresse! Tout ce que j'aperçois m'attache et m'intéresse ; L'arbre de ces vergers, dont les rameaux féconds. Courbent leurs fruits pendants sur l'ombre des gazóns, Et le saule incliné sur la rive penchante,
Balançant mollement sa tête blanchissante; Le pavot effeuillé par le souffle des vents, Et ce pâle rideau de peupliers mouvants; Ces sentiers, ces détours qu'ombrage la charmille; Dans ce nid suspendu cette jeune famille. Assis auprès de ce ruisseau
Qui tombe d'une grotte et fuit dans la prairie, Je sens naître dans moi la vague rêverie Qui suit les erreurs de son eau.
Le soleil, plus brillant au bout de sa carrière, Des couleurs de l'iris nuance sa lumière; Il embrase les cieux, et son disque incliné Descend sur l'horizon, de flamme environné.
(1) Voyez Tableaux en prose, même sujet.
J'entends les sons aigus de l'instrument rustique, Rappelant les troupeaux à cette ferme antique. Au pâtre fatigué la nuit permet enfin
De suspendre un travail qu'il reprendra demain. Au signal du repos, le laboureur ramène Le bœuf laborieux, compagnon de sa peine : Ils foulent à pas lents la mousse des vallons, Et le soc retourné traîne dans les sillons.
LA HARPE. Épître au Comte de Schowalow.
VAUCLUSE! heureux séjour, que sans enchantement Ne peut voir nul poëte, et surtout nul amant! Dans ce cercle de monts qui, recourbant leur chaîne, Nourrissent de leurs eaux ta source souterraine ; Sous la roche voûtée, antre mystérieux,
Où ta nymphe, échappant aux regards curieux, Dans un gouffre sans fond cache sa source obscure, Combien j'aimois à voir ton eau qui, toujours pure, Tantôt dans son bassin renferme ses trésors, Tantôt en bouillonnant s'élève, et de ses bords Versant parmi des rocs ses vagues blanchissantes, De cascade en cascade au loin rejaillissantes, Tombe et roule à grand bruit, puis calmant son courroux, Sur un lit plus égal répand des flots plus doux, Et, sous un ciel d'azur, coule, arrose et féconde Le plus riant vallon qu'éclaire l'œil du monde ! Mais ces eaux, ce beau ciel, ce vallon enchanteur, Moins que Pétrarque et Laure intéressoient mon cœur. La voilà donc, disois-je, oui, voilà cette rive Que Pétrarque charmoit de sa lyre plaintive! Ici Pétrarque à Laure exprimant son amour, Voyoit naître trop tard, mourir trop tôt le jour. Retrouverai-je encor, sur ces rocs solitaires, De leurs chiffres unis les tendres caractères ?
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