C'est toi, divin café, dont l'aimable liqueur, Sans altérer la tête, épanouit le cœur. Aussi, quand mon palais est émoussé par l'âge, Avec plaisir encor je goûte ton breuvage. Que j'aime à préparer ton nectar précieux ! Nul n'usurpe chez moi ce soin délicieux. Sur le réchaud brûlant moi seul tournant ta graine, A l'or de ta couleur fais succéder l'ébène;
Moi seul contre la noix, qu'arment ses dents de fer, Je fais, en le broyant, crier ton fruit amer;
Charmé de ton parfum, c'est moi seul qui dans l'onde
Infuse à mon foyer ta poussière féconde;
Qui, tour à tour calmant, excitant tes bouillons, Suis d'un œil attentif tes légers tourbillons. Enfin de ta liqueur lentement reposée, Dans le vase fumant la lie est déposée; Ma coupe, ton nectar, le miel Américain,
Que du suc des roseaux exprima l'Africain,
Tout est prêt du Japon l'émail reçoit tes ondes, Et seul tu réunis les tributs des deux mondes. Viens donc, divin nectar, viens donc, inspire-moi : Je ne veux qu'un désert, mon Antigone, et toi. A peine j'ai senti ta vapeur odorante, Soudain de ton climat la chaleur pénétrante Réveille tous mes sens; sans trouble, sans chaos, Mes pensers plus nombreux accourent à grands flots. Mon idée étoit triste, aride, dépouillée; Elle rit, elle sort richement habillée, Et je crois, du génie éprouvant le réveil, Boire dans chaque goutte un rayon du soleil.
DELILLE. Les Trois Règnes, ch. VI.
Je m'éloigne, je vole aux asyles pieux, Des besoins, des douleurs abris religieux,
Où la tendre Pitié, pour adoucir leurs peines, Joint les secours divins aux charités bumaines. Elle-même en posa les sacrés fondements. Mais de ces saints abris, ouvrage des vieux temps, Souvent la négligence ou l'infàme avarice A fait de tous les maux l'épouvantable hospice. Là, sont amoncelés, dans des murs dévorants, Les vivants sur les morts, les morts sur les mourants; Là, d'impures vapeurs la vie environnée, Par un air corrompu lánguit empoisonnée; Là, le long de ces lits où gémit le malheur, Victime des secours plus que de la douleur, L'ignorance, en courant, fait sa ronde homicide; L'indifférence observe, et le hasard décide. Mais la Pitié revient achever ses travaux, Sépare les douleurs, et distingue les maux, Les recommande à l'art que sa bonté seconde; Tantôt, les délivrant d'une vapeur immonde, Ouvre ces longs canaux, ces frais ventilateurs, De l'air renouvelé puissants réparateurs. Par elle un ordre heureux conduit ici le zèle ; La propreté soigneuse y préside avec elle. La vie est à l'abri du souffle de la mort;
Grâce à ses soins pieux, sans terreur, sans remords, L'agonie en ses bras plus doucement s'achève. L'heureux convalescent sur son lit se relève, Et revient, échappé des horreurs du trépas, D'un pied tremblant encor former ses premiers pas. Les besoins, la douleur, la santé, la bénissent, La terre est consolée, et les cieux applaudissent.
LE MÊME. La Pitié, ch. IL. Même sujet.
OUVRE-TOI, triste enceinte, où le soldat blessé, Le malade indigent, et qui n'a point d'asyle, Reçoivent ún secours trop souvent inutile.
Là, des femines, portant le nom chéri de sœurs, D'un zèle affectueux prodiguent les douceurs.
Plus d'une apprit long-temps, dans un saint monastère, En invoquant le Ciel, à protéger la terre, Et, vers l'infortuné s'élançant des autels, Fut l'épouse d'un Dieu pour servir les mortels. O courage touchant! ces tendres bienfaitrices, Dans un séjour infect, où sont tous les supplices, De mille êtres souffrants prévenant les besoins, Surmontent les dégoûts des plus pénibles soins, Du chanvre salutaire entourent leurs blessures, Et réparent ce lit témoin de leurs tortures, Ce déplorable lit, dont l'avare pitié Ne prête à la douleur qu'une étroite moitié. De l'humanité même elles semblent l'image; Et les infortunés que leur bonté soulage Sentent avec bonheur, peut-être avec amour, Qu'une femme est l'ami qui les ramène au jour.
LEGOUVÉ. Mérite des Femmes.
De la femme pour nous le dévoûment commence. C'est elle qui, neuf mois, dans ses flancs douloureux, Porte un fruit de l'hymen trop souvent malheureux, Et, sur un lit cruel long-temps évanouie, Mourante le dépose aux portes de la vie.
C'est elle qui, vouée à cet être nouveau,
Lui prodigue les soins qu'attend l'homme au berceau. Quels tendres soins! Dort-il, attentive, elle chasse L'insecte dont le vol ou le bruit le menace; Elle semble défendre au réveil d'approcher.
La nuit même d'un fils ne peut la détacher; Son oreille de l'ombre écoute le silence; Ou, si Morphée endort sa tendre vigilance,
Au moindre bruit rouvrant ses yeux appesantis, Elle vole, inquiète, au berceau de son fils, Dans le sommeil long-temps le contemple immobilė, Et rentre dans sa couche, à peine encor tranquille. S'éveille-t-il, son sein, à l'instant présenté,
Dans les flots d'un lait lui pur
la santé. Qu'importe la fatigue à sa tendresse extrême? Elle vit dans son fils, et non plus dans soi-même, Et se montré aux regards d'un époux'éperdu Belle de son enfant à son sein suspendu.
Oui, ce fruit de l'hymen, ce trésor d'une mère, Même à ses propres yeux est sa beauté première. Voyez la jeune Isaure, éclatante d'attraits; Sur un enfant chéri, l'image de ses traits, Fond soudain ce fléau qui, prolongeant sa rage, Grave au front des humains un éternel outrage. D'un mal contagieux tout fuit épouvanté; Isaure sans effroi brave un air infecté. Près de ce fils mourant elle veille assidue. Mais le poison s'étend et menace să vue : Il faut, pour écarter un péril trop certain, Qu'une bouche fidèle aspire le venin.
Une mère ose tout; Isaure est déjà prête;
Ses charmes, son époux, ses jours, rien ne l'arrête; D'une lèvre obstinée, elle presse ces yeux
Que ferme un voile impur à la clarté des cieux; Et d'un fils, par degrés, dégageant la paupière, Une seconde fois lui donne la lumière.
Un père a-t-il pour nous de si généreux soins?
Bientôt d'autres bontés suivent d'autres besoins : L'enfant, de jour en jour, avance dans la vie; Et, comme les aiglons, qui, cédant à l'envie De mesurer les cieux dans leur premier essor, Exercent près du nid leur aile foible encor, Doucement soutenu sur ses mains chancelantes, Il commence l'essai de ses forces naissantes.
Sa mère est près de lui : c'est elle dont le bras, Dans leur débile effort, aide ses premiers pas; Elle suit la lenteur de sa marche timide; Elle fut sa nourrice, elle devient son guide; Elle devient son maître au moment où sa voix Bégaie à peine un nom qu'il entendit cent fois : MA MÈRE est le prenier qu'elle l'enseigne à dire,' Elle est son maître encor dès qu'il s'essaie à lire ; Elle épelle avec lui dans un court entretien, Et redevient enfant pour instruire le sien. D'autres guident bientôt sa foible intelligence; Leur dureté punit sa moindre négligence.
Quelle est l'âme où son cœur épanche ses tourments? Quel appui cherche-t-il contre les châtiments? Sa mère! elle lui prête une sûre défense,
Calme ses maux légers, grands chagrins de l'enfance, Et, sensible à ses pleurs, prompte à les essuyer,
Lui donne les hochets qui les font oublier.
O BIENFAITS d'une mère, inaltérable empire! Elle aime son enfant, même avant qu'il respire. Mais, après tant de maux, quand ce gage adoré S'échappe avec effort de son flanc déchiré, Avec quelle douceur son oreille ravie
Reçoit le premier cri qui l'annonce à la vie! Heureuse de souffrir, on la voit tour à tour Soupirer de douleur et tressaillir d'amour. -Ah! loin de le livrer aux soins de l'étrangère, Sa mère le nourrit, elle est deux fois sa mère. Quel est son désespoir quand son sein desséché Est avare d'un lait avec peine arraché! Je t'interroge, & toi, dont une main savante A confié l'histoire à la toile vivante!
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