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NARRATIONS.

Soyez vif et pressé dans vos narrations.
BOILEAU. Art poét.

Narration poétique.

PRÉCEPTES DU GENRE.

La narration est l'exposé des faits, comme la description est l'exposé des choses; et celle-ci est comprise dans celle-là, toutes les fois que la description des choses contribue à rendre les faits plus vraisemblables, plus inté– ressants, plus sensibles.

Il n'est point de genre de poésie où la narration ne puisse avoir lieu; mais, dans le dramatique, elle est accidentelle et passagère; au lieu que, dans l'épique, elle domine et remplit le fond.

Toutes les règles de la narration sont relatives aux con`venances et à l'intention du poëte.

Quel que soit le sujet, le devoir de celui qui raconte, pour remplir l'attente de celui qui l'écoute, est d'instruire et de persuader; ainsi les premières règles de la narration sont la clarté et la vraisemblance.

La clarté consiste à exposer les faits d'un style qui ne laisse aucun nuage dans les idées, aucun embarras dans l'esprit. Il y a dans les faits des circonstances qui se supposent, et qu'il seroit superflu d'expliquer. Il peut arriver aussi que celui qui raconte ne soit pas instruit de tout, ou qu'il ne veuille pas tout dire; mais ce qu'il ignore ou

veut dissimuler ne le dispense pas d'être clair dans ce qu'il expose. Le spectateur ou le lecteur veut tout savoir; et, si l'acteur est dispensé de tout éclaircir, le poëte ne l'est pas. S'il jette un voile sur l'avenir, il le laisse du moins entrevoir dans un‘lointain confus et vague:

Sublustrique aliquid dant cernere noctis in umbrá.

VIDA.

C'est un nouvel attrait pour le lecteur. A l'égard du présent et du passé, tout doit être à ses yeux sans nuage et sans équivoque.

Les éclaircissements sont faciles dans l'épopée, où le poëte cède et reprend la parole quand bon lui semble. Dans le dramatique, il faut un peu plus d'art pour mettre l'auditeur dans la confidence; mais comme, dans les moments passionnés, il est permis de penser tout haut, le spectateur entend la pensée. C'est donc une négligence inexcusable que de laisser, dans l'exposition des faits, une obscurité qui nous inquiète et qui nuise à l'illu

sion.

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Si les faits sont trop compliqués, la méthode la plus sage, en travaillant, c'est de les réduire d'abord à leur plus grande simplicité; et, à mesure qu'on aperçoit dans leur exposé quelque embarras à prévenir, quelque nuage à dissiper, on y répand quelques traits de lumière. Le comble de l'art est de faire en sorte que ce qui éclaircit la narration soit aussi ce qui la décore.

Le poëte est en droit de suspendre la curiosité, mais il faut qu'il la satisfasse; cette suspension n'est même permise qu'autant qu'elle est motivée.

L'art de ménager l'attention sans l'épuiser consiste à rendre intéressant et comme inévitable l'obstacle qui s'oppose à l'éclaircissement, et à paroître soi-même partager l'impatience que l'on cause. On emploie quelquefois un incident nouveau pour suspendre et différer l'éclaircissement; mais qu'on prenne garde à ne pas laisser voir

qu'il est amené tout exprès, et surtout à ne pas employer plus d'une fois le même artifice. Le spectateur veut bien qu'on le trompe; mais il ne veut pas s'en apercevoir.

Il n'y a que les faits surnaturels dont le poëte soit dispensé de rendre raison en les racontant.

Les poëtes anciens n'ont pas toujours dédaigné de motiver la volonté des Dieux ; et le merveilleux est bien plus satisfaisant lorsqu'il est fondé, comme dans l'Eneide le ressentiment de Junon contre les Troyens, et la colère d'Apollon contre les Grecs dans l'Iliade. Mais, pour motiver la conduite des Dieux, il faut une raison plausible; il vaut mieux n'en donner aucune, que d'en alléguer de mauvaises.

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Ce que je viens de dire de la clarté contribue aussi à la vraisemblance. Un fait n'est incroyable, que parce qu'on voit de l'incompatibilité dans les circonstances, de l'impossibilité dans l'exécution. Or, en l'expliquant, tout se concilie, tout s'arrange, tout se rapproche de la vérité. Etiam incredibile solertia efficit sæpè credibile esse. (Scaliger.) C'est une idée lumineuse d'Aristote, que la croyance que l'on donne à un fait se réfléchit sur l'autre, quand ils sont liés avec art. « Par une espèce de paralogisme qui nous est naturel, nous concluons, dit-il, de ce qu'une chose est véritable, que celle qui la suit doit l'être.» Cette remarque importante prouve combien, dans le récit du merveilleux, il est essentiel de mêler des cir

constances communes.

Pour me persuader que les héros qu'on me présente ont fait réellement des prodiges dont je n'ai jamais vu d'exemples, il faut qu'ils fassent des choses qui, tous les jours, se passent sous mes yeux. Il est vrai que parmi les détails de la vie commune, l'on doit choisir avec goût ceux qui ont le plus de noblesse dans leur naïveté, ceux dont la peinture a le plus de charmes ; et en cela les mœurs anciennes étoient plus favorables à la poésie que les nôtres. Les devoirs de l'hospitalité, les cérémonies

religieuses, donnoient un air vénérable à des usages domestiques qui n'ont plus rien de touchant parmi nous. Il y a donc de l'avantage à prendre ses sujets dans les temps éloignés, ou, ce qui revient au même, dans les pays lointains. Mais dans nos mœurs on peut trouver encore des choses naïves et familières, qui ne laissent pas d'avoir de la noblesse et de la beauté. Eh! pourquoi ne peindroit-on pas aujourd'hui les adieux d'un guerrier qui se sépare de sa femme et de son fils, avec cette ingénuité naturelle qui rend si touchants les adieux d'Hector? Pourquoi ne pas s'attacher à cette nature simple et charmante, lorsqu'une fois on l'a saisie? Pourquoi du moins ne pas se relâcher plus souvent de cette dignité factice où l'on tient ses personnages en attitude et comme à la gêne? Ledirai-je? le défaut dominant de notre poésie héroïque, c'est la roideur. Je la voudrois souple comme la taille des Grâces. Je ne demande pas que le plaisant s'y joigne au sublime; mais je suis persuadé qu'on ne sauroit trop y mêler le familier noble, et que c'est surtout de ces relâches que dépend l'air de vérité.

La troisième qualité de la narration, c'est l'à-propos. Toutes les fois que des personnages qui sont en scène l'un raconte et les autres écoutent, ceux-ci doivent être disposés à l'attention et au silence, et celui-là doit avoir eu quelques raisons de prendre, pour le récit dans lequel il s'engage, ce lieu, ce moment, ces personnes mêmes. S'il étoit vrai que Cinna rendît compte à Emilie, dans l'appartement d'Auguste, de ce qui vient de se passer dans l'assemblée des conjurés, la personne et le temps seroient convenables, mais le lieu ne le seroit pas. Théramène raconte à Thésée tout le détail de la mort d'Hippolyte la personne et le lieu sont bien choisis; mais ce n'est point dans le premier accès de sa douleur, qu'un père, qui se reproche la mort de son fils, peut entendre la description du prodige qui l'a causée.

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Une règle sûre pour éprouver si le récit vient à propos, c'est de se consulter soi-même, de se demander: Si j'étois à la place de celui qui l'écoute, l'écouteroisje? le ferois-je à la place de celui qui le fait ? est-ce là même et dans cet instant que ma situation, mon caractère, mes sentiments ou mes desseins me détermineroient à le faire? » Cela tient à une qualité de la narration plus essentielle que l'à propos : c'est de l'intérêt que je parle.

La narration purement épique, c'est-à-dire du poëte à nous, n'a besoin d'être intéressante que pour nousmêmes. Qu'elle réunisse à notre égard l'agrément et l'utilité, l'objet du poëte est rempli : elle peut même se passer d'instruire, pourvu qu'elle attache. Or, le plaisir qu'elle peut causer est celui de l'esprit, de l'imagination ou du sentiment.

Plaisir de l'esprit, lorsqu'elle est une source de réflexion et de lumières : c'est l'intérêt que nous éprouvons à la lecture de Tacite. Il suffit à l'histoire; il ne suffit pas à la poésie, mais il en fait le plus solide prix, et c'est par là qu'elle plaît aux sages.

Plaisir de l'imagination, lorsqu'on présente aux yeux de l'âme le tableau de la nature: c'est là ce qui distingue la narration du poëte de celle de l'historien. Le soin de la varier et de l'enrichir fait qu'on y mêle souvent des descriptions épisodiques; mais l'art de les enlacer dans le tissu de la narration, de les placer dans les repos, de leur donner une juste étendue, de les faire désirer ou comme délassements, ou comme détails curieux, cet art, dis-je, n'est pas facile.

Cet attrait même de la nouveauté, ce plaisir de l'imagination, s'il étoit seul, seroit foible et bientôt insipide; l'âme ne sauroit s'attacher à ce qui ne l'éclaire ni ne l'émeut; et du moins, si on la laisse froide, ne faut-il pas la laisser vide.

Plaisir du sentiment, lorsqu'une peinture fidèle et tou

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