Images de page
PDF
ePub
[ocr errors]

Lorsqu'un cri tout à coup suivi de mille cris
Vient d'un calme si doux retirer ses esprits.
Il se trouble, il regarde; et partout, sur ses rives,
11 voit fuir à grands pas ses Naïades craintives,
Qui toutes accourant vers leur humide Roi
Par un récit affreux redoublent son effroi.
11 apprend qu'un héros, conduit par la victoire,
A de ses bords fameux flétri l'antique gloire ;
Que Rhimberg et Vesel, terrassés en deux jours,
D'un joug déjà prochain menacent tout son cours.
« Nous l'avons vu, dit l'une, affronter la tempête
De cent foudres d'airain tournés contre sa tête :
Il marche vers Tholus, et les flots en courroux,
Au prix de sa fureur, sout tranquilles et doux :
Il a de Jupiter la taille et le visage;

Et, depuis ce Romain, dont l'insolent passage
Sur un pont, en deux jours, trompa tous tes efforts,
Jamais rien de si grand n'a paru sur tes bords. »

Le Rhin tremble et frémit à ces tristes nouvelles;

Le feu sort à travers ses humides prunelles.

« C'est donc trop peu, dit-il, que l'Escaut en deux mois Ait appris à couler sous de nouvelles lois ;

Et de mille remparts mon onde environnée,
De cés fleuves sans nom suivra la destinée!

Ah! périssent mes eaux! ou, par d'illustres coups,
Montrons qui doit céder, des mortels ou de nous. »
A ces mots, essuyant sa barbe limoneuse,
Il prend d'un vieux guerrier la figure poudreuse.
Son front cicatrisé rend son air furieux,
Et l'ardeur du combat étincelle en ses yeux.
En ce moment il part, et, couvert d'une nue,
Du fameux fort de Skink prend la route connue.
Là, contemplant son cours, il voit de toutes parts
Ses pâles défenseurs par la frayeur épars.
Il voit cent bataillons, qui, loin de se défendre,
Attendent sur des murs l'ennemi pour se rendre.

4

Confus, il les aborde, et renforçant sa voix :

[ocr errors]

« Grands arbitres, dit-il, des querelles des Rois, Est-ce ainsi que votre âme, aux périls aguerrie, Soutient sur ces remparts l'honneur et la patrie? Votre ennemi superbe, en cet instant fameux, Du Rhin, près de Tholus, fend les flots écumeux, Du moins, en vous montrant sur la rive opposée, N'oseriez-vous saisir une victoire aisée ? Allez, vils combattants, inutiles soldats, Laissez là ces mousquets trop pesants pour vos bras; Et, la faulx à la main, parmi vos marécages, Allez couper vos joncs et presser vos laitages;

Ou, gardant les seuls bords qui vous peuvent couvrir, Avec moi, de ce pas, venez vaincre ou mourir. »

Ce discours d'un guerrier que la colère enflamme
Ressuscite l'honneur déjà mort en leur âme;
Et leur cœur s'allumant d'un reste de chaleur,
La honte fait en eux l'effet de la valeur.

Ils marchent droit au fleuve où Louis en personne,
Déjà prêt à passer, instruit, dispose, ordonne.
Par son ordre, Grammont, le premier dans les flots,
S'avance soutenu des regards du héros.

Son coursier écumant, sous un maître intrépide,
Nage tout orgueilleux de la main qui le guide.
Revel le suit de près: sous ce chef redouté,
Marche des cuirassiers l'escadron indompté.
Mais déjà devant eux une chaleur guerrière
Emporte loin du bord le bouillant Lesdiguière,
Vivone, Nantouillet, Coëslin et Salard:
Chacun d'eux au péril veut la première part.
Vendôme que soutient l'orgueil de sa naissance,
Au même instant dans l'onde impatient s'élance.
La Salle, Beringhen, Nogent, d'Ambre, Cavoix,
Fendent les flots tremblants sous un si noble poids.
Louis, les animant du feu de son courage,

Se plaint de sa grandeur qui l'attache au rivage:

[ocr errors]

Par ses soins cependant, trente légers vaisseaux
D'un tranchant aviron déjà coupent les eaux;
Cent guerriers s'y jetant signalent leur audace.

Le Rhin les voit d'un œil qui porte la menace.
Il s'avance en courroux; le plomb vole à l'instant,
Il pleut de toutes parts sur l'escadron flottant.
Du salpêtre en fureur l'air s'échauffe et s'allume,
Et des coups redoublés tout le rivage fume.
Déjà du plomb mortel plus d'un brave est atteint.
Sous les fougueux coursiers l'onde écume et se plaint.
De tant de coups affreux la tempête orageuse
Tient un temps sur les eaux la fortune douteuse;
Mais Louis d'un regard sait bientôt la fixer:
Le destin à ses yeux n'oseroit balancer.

Bientôt avec Grammont courent Mars et Bellone.
Le Rhin, à leur aspect, d'épouvante frissonne,
Quand pour nouvelle alarme à ses esprits glacés
Un bruit s'épaud qu'Enghien et Condé şout passés;.
Condé dont le seul nom fait tomber les murailles,
Force les escadrons et gagne les batailles;
Enghien, de son hymen le seul et digne fruit,
Par lui, dès son enfance, à la victoire instruit.
L'ennemi renversé fuit et gagne la plaine;
Le Dieu lui-même cède au torrent qui l'entraîne,
Et seul, désespéré, pleurant ses vains efforts,
Abandonne à Louis la victoire et ses bords (1)..
BOILEAU. Epitre IV.

Même sujet.

Le grand nom de Louis et son illustre vie Aux champs élysiens font descendre l'envie, Qui pénètre à tel point les månes des héros, Que, pour s'en éclaircir, ils quittent leur repos.

(1) Voyez les Leçons Latines modernes, tome II, même sujet.

vaincus :

On voit errer partout ces ombres redoutables
Qu'arrêtèrent jadis ces bords impénétrables <
Drusus marche à leur tête, et se poste au fossé,
Que, pour joindre l'Yssel au Rhin, il a tracé;
Varus le suit tout pâle, et semble, dans ces plaines,
Chercher le reste affreux des légions Romaines;
Son vengeur après lui, le grand Germanicus,
Vient voir comme on vaincra ceux qu'il n'a pas
Le fameux Jean d'Autriche, et le cruel Tolède,
Sous qui des maux si grands crûrent par leur remède;
L'invincible Farnèsé et les vaillants Nassaus,
Fiers d'avoir tant livré, tant soutenu d'assauts,
Reprennent tous leur part au jour qui nous éclaire,
Pour voir faire à mon Roi ce qu'eux tous n'ont pu faire,
Eux-mêmes s'en convaincre, et d'un regard jaloux
Admirer un héros qui les efface tous.

Il range cependant ses troupes au rivage,
Mesure de ses yeux Tholus et le passage,
Et voit de ces héros Ibères et Romains
Voltiger tout autour les simulacres vains:
Cette vue en son sein jette une ardeur nouvelle
D'emporter une gloire et si haute et si belle,
Que, devant ces témoins à le voir empressés,
Elle ait de quoi ternir tous les siècles passés (1).
CORNEILLE..
E. Les victoires du Roi en 1672,
imité du latin du P. La Rue.

Louis IX explique à Joinville les causes et les effets de son expédition de Terre-Sainte.1

QU'ENTENDS-JE? il est donc vrai, Joinville aussi me blâme! Mais sais-tu quels desseins je renferme en mon âme? · Sais-tu si les combats où je vous ai guidés

Par de grands intérêts n'étoient pas commandés ?

(1) Voyez les Leçons Latines modernes, t. IÍ, même sujet.

Tu ne

vois que tes maux, ton désespoir m'accuse;
Eh bien ! lis dans mon cœur, et connois mon excuse :
Vainement, tu le sais, au sein de nos remparts,
Je voulus appeler le commerce et les arts.
Ces Comtes qui du haut de leurs châteaux antiques
Font gémir mes sujets sous leurs lois despotiques,
Tyrans dans mon Royaume, et vassaux turbulents,
Sans relâche occupés de leurs débats sanglants,
Détruisoient mes travaux, déchiroient la patrie,
Dans son premier essor arrêtoient l'industrie.
- Divisés d'intérêts, unis contre leur Roi,

Je les trouvois sans cesse entre mon peuple et moi.
Signalant tour à tour leurs fureurs inhumaines,
Ils promenoient la mort dans leurs vastes domaines,
Et des soldats Français, l'un par l'autre immolés,

Le
sang couloit sans gloire en nos champs vésolés.
Je voulus, des combats leur ouvrant la carrière,
Offrir un but plus noble à cette ardeur guerrière :
Tu te souviens qu'alors de pieux voyageurs,
Pour nos frères captifs implorant des vengeurs,
D'un zèle saint en nous ranimèrent la flamme;
Aux regards des Français déployant l'oriflamme,
Je leur montre la gloire aux rives du Jourdain;
Ils entendent ma voix, s'arrêtent, et soudain
Oubliant leurs discords, et déposant leurs haines,
Ils marchent réunis vers ces plages lointaines.
Quels plus nobles dangers leur pouvoient être offerts?
Délivrer les Chrétiens gémissant dans les fers,
Rendre Jérusalem à sa splendeur première,
Eu chasser l'Infidèle, et rompre la barrière
Qui du tombeau sacré nous défendoit l'accès,

Tel devoit être, ami, le fruit de nos succès.

[ocr errors]

Là s'arrêtoient vos voeux, et non mon espérance.

Jette avec moi, Joinville, un regard sur la France;
Avant de condamner les serments que j'ai faits,
De ces combats lointains contemple les effets:

« PrécédentContinuer »