Qu'on fait d'injure à l'art de lui voler la Fable! C'est interdire aux vers ce qu'ils ont d'agréable, Anéantir leur pompe, éteindre leur vigueur, Et hasarder la Muse à sécher de langueur. O vous, qui prétendez qu'à force d'injustices Le vieil usage cède à de nouveaux caprices, Donnez-nous par pitié du moins quelques beautés Qui puissent remplacer ce que vous nous ôtez; Et ne nous livrez pas aux tons mélancoliques D'un style estropié par de vaines critiques! Quoi ! bannir des enfers Proserpine et Pluton, Dire toujours le Diable, et jamais Alecton, Sacrifier Hécate et Diane à la Lune,
Et dans son propre sein noyer le vieux Neptune? Un berger chantera ses déplaisirs secrets, Sans que la triste Echo répète ses regrets?
Les bois autour de lui n'auront point de Dryades? L'air sera sans Zéphyrs, les fleuves sans Naïades?
Otez Pan et sa flûte, adieu les pâturages;" Otez Pomone et Flore, adieu les jardinages. Des roses et des lis le plus superbe éclat, Sans la Fable, en nos vers n'aura rien que de plat. Qu'on y peigne en savant une plante nourrie Des impures vapeurs d'une plante pourrie;
Le portrait plaira-t-il, s'il n'a pour ornement Les larmes d'une amante ou le sang d'un amant? Qu'aura de beau la guerre à moins qu'on ne crayonne Ici le char de Mars, là celui de Bellone,
Que la Victoire vole, et que les grands exploits
Soient portés en cent lieux par la Nymphe aux cent voix? Qu'ont la terre et la mer, si l'on n'ose décrire
Ce qu'il faut de Tritons à pousser un navire?
Cet empire qu'Eole a sur les tourbillons? Bacchus sur les coteaux, Cérès sur les sillons? Tous ces vieux ornements, traitez-les d'antiquailles : Moi, si je peins jamais Trianon et Versailles, Les Nymphes, malgré vous, danseront à l'entour, Cent demi-Dieux badins leur parleront d'amour; Des Satyres cachés les brusques échappées Dans les bras des Sylvains feront fuir les Napées; Et, si le bal s'ouvroit en ces aimables lieux,
J'y ferois, malgré vous, trépigner tous les Dieux (1). CORNEILLE.
Les Divinités poétiques.
Our, c'est toi, peintre inestimable, Trompette d'Achille et d'Hector, Par qui, de l'heureux siècle d'or, L'homme entend le langage aimable, Et voit dans la variété
Des portraits menteurs de la fable, Les rayons de la vérité.
II voit l'arbitre du tonnerre
Réglant le sort par ses arrêts: Il voit, sous les yeux de Cérès, Croître les trésors de la terre; Il reconnoît les Dieux des mers
A ces sons qui calment la guerre Qu'Eole excitoit dans les airs.
Si, dans un combat homicide, Le devoir engage ses jours, Pallas, volant à son secours, Vient le couvrir de son égide : S'il se voue au maintien des lois, C'est Thémis qui lui sert de guide, Et qui l'assiste en ses emplois.
(1) Voyez les Leçons Latines modernes.
Plus heureux, si son cœur n'aspire Qu'aux douceurs de la liberté, Astrée est la divinité
Qui lui fait chérir sou empire. S'il s'élève au sacré vallon, Son enthousiasme est la lyre Qu'il reçoit des mains d'Apollon. Ainsi, consacrant le système` De la sublime fiction, Homère, nouvel Amphion, Change, par la verta suprême De ses accords doux et savants, Nos destins, nos passions même, En êtres réels et vivants.
Ce n'est plus l'homme qui, pour plaire,
Etale ses dous ingénus;
Ce sont les Grâces, c'est Vénus,
Sa divinité tutélaire :
La sagesse qui brille en lui,
C'est Minerve dont l'œil l'éclaire, Et dont le bras lui sert d'appui. L'ardente et fougueuse Bellone Arme son courage aveuglé : Les frayeurs dont il est troublé Sont le flambeau de Tisiphone : Sa colère est Mars en fureur, Et ses remords sont la Gorgone Dont l'aspect le glace d'horreur (1).
J. B. ROUSSEAU. Liv. IV, od. 6.
Apologie de la Fable.
SAVANTE antiquité, beauté toujours nouvelle. Monuments du génie, heureuses fictions,
Environnez-moi des rayons
(1) Voyez les Leçons Latines modernes.
De votre lumière immortelle :
Vous savez animer l'air, la terre et les mers;
Vous embellissez l'univers.
Cet arbre à tête longue, aux rameaux toujours verts, C'est Atys aimé de Cybèle.
De l'éclat de leur vermillon
Flore avec le Zéphyr ont peint ces jeunes roses. Des baisers de Pomone on voit dans ce vallon Les fleurs de mes pêchers nouvellement écloses. Ces montagnes, ces bois qui bordent l'horizon Sont couverts de métamorphoses.
Ce cerf aux pieds légers est le jeune Actéon ; L'ennemi des troupeaux est le Roi Lycaon. Du chantre de la nuit j'entends la voix touchante; C'est la fille de Pandion,
C'est Philomèle gémissante.
Si le Soleil se couche, il dort avec Thétis. Si je vois de Vénus la planète brillante,,
C'est Vénus que je vois dans les bras d'Adonis. Ce pôle me présente Andromède et Persée; Leurs amours immortels échauffent de leurs feux Les éternels frimas de la zône glacée;
Tout l'Olympe est peuplé de héros amoureux. Admirables tableaux ! séduisante magie! Qu'Hésiode me plaît dans sa Théogonie,
Quand il me peint l'Amour débrouillant le Chaos, S'élançant dans les airs et planant sur les flots!
TEMPÉ, séjour célèbre, ô magique vallon! Où l'eau de Sperchius, d'Amphrise et de Pénée, D'ombrages immortels rouloit environnée. L'Olympe en tes bosquets vit errer tous ses Dieux;
Pan qui sut animer des joncs mélodieux; Diane au carquois d'or, Déesse bocagère, Qui, la flèche à la main, de sa robe légère
Nouoit sur le genou les replis ondoyants;
Les Sylvains couronnés de rameaux verdoyants, Les Nymphes qui sans art, les mains entrelacées, Dansoient aux sons joyeux de leurs voix cadencées;
Cérès aux blonds cheveux, et le Dieu des orgies, Bacchus au front vermeil, ceint de grappes rougies; Et cette Déité, charme de l'univers,
Vénus, qui de Lucrèce inspiroit les beaux vers. Mais c'en est fait : le chêne oublia ses oracles ; Les bois désenchantés ont perdu leurs miracles. Ils ne sont plus ces jours, où chaque arbre divin Eufermoit sa Dryade et son jeune Sylvain, Qui versoit en silence à la tige altérée
La séve à longs replis sous l'écorce égarée. Pourquoi n'êtes-vous plus, rêves attendrissants? Dès que l'amour des vers charma mes premiers ans, J'appris avec transport ceux de l'aimable Ovide, Poëte mensonger dont l'enfance est avide. Devant le laurier vert tendrement incliné, ́ Triste, je saluois les mânes de Daphné; Et, touché de son sort, je passois en silence Près de cet arbre en deuil qu'un vént léger balance, Qui monte en pyramide élancé dans les airs, Et croît, ami des morts, sur les tombeaux déserts; Je pleurois le trépas du jeune Cyparisse. Lorsqu'un chêne m'offroit son ombre protectrice, Lorsque je reposois sous un tilleul assis, Nommant avec respect Philémon et Baucis, Si j'obtiens, me disois-je, une épouse fidèle, Je veux que Philémon soit un jour mon modèle; Qu'elle imite Baucis! et tous deux puissions-nous Mourir au même instant, comme ces deux époux!
DE FONTANES. La Forêt de Navarre.
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