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Lui rase le visage, et, droit dans l'estomac,
Va frapper en sifflant l'infortuné Sidrac."

Le vieillard, accablé de l'horrible Artamène,

Tombe aux pieds du Prélat, sans pouls et sans baleine. Sa troupe le croit mort, et chacun, empressé,

Se croit frappé du coup dont il le voit blessé.

Aussitôt contre Evrard vingt champions s'élanceut; Pour soutenir leur choc les chanoines s'avancent : La Discorde triomphe, et du combat fatal, Par un cri, donne en l'air l'effroyable signal. Chez le libraire absent, tout entre, tout se mêle; Les livres sur Evrard fondent comme la grêle Qui, dans un grand jardin, à coups impétueux, Abat l'honneur naissant des rameaux fructueux. Chacun s'arme au hasard du livre qu'il rencontre: L'un tient l'Edit d'Amour, l'autre en saisit la Montre; L'un prend le seul Jonas qu'on ait vu relié, L'autre un Tasse français, en naissant oublié. L'élève de Barbin, commis à la boutique, Veut en vain s'opposer à leur fureur gothiqué: Les volumes, sans choix à la tête jetés, Sur le perron poudreux volent de tous côtés. Là, près d'un Guarini, Térence tombe à terre: Là, Xénophon dans l'air heurte contre un La Serre. O que d'écrits obscurs, de livres ignorés, Furent en ce grand jour de la poudre tirés! Vous en fûtes tirés, Almérinde et Simandre; Et toi, rebut du peuple, inconnu Caloandre, Dans ton repos, dit-on, saisi par Gaillerbois, Tu vis le jour alors pour la première fois. Chaque coup sur la chair laisse une meurtrissure. Déjà plus d'un guerrier se plaint d'une blessure. D'un Le Vayer épais Giraud est renversé; Marineau, d'un Brébeuf, à l'épaule blessé, En sent par tout le bras une douleur amère, Et maudit la Pharsale aux provinces si chère.

D'un Pinchêne in quarto Dodillon étourdi

A long-temps le teint pâle et le cœur affadi.
Au plus fort du combat, le chapelain Garagne,
Vers le sommet du front atteint d'un Charlemagne,
Des vers de ce poëme effet prodigieux!

Tout prêt à s'endormir bâille et ferme les
A plus d'un combattant la Clélie est fatale;
Giroux dix fois par elle éclate et se signale.

yeux.

Mais tout cède aux efforts du chanoine Fabri. Ce guerrier, dans l'église aux querelles nourri, Est robuste de corps, terrible de visage, Et de l'eau dans son vin n'a jamais sçu l'usage. Il terrasse lui seul et Guilbert et Grasset, Et Gorillon la basse, et Grandin le fausset; Et Gerbais l'agréable, et Guérin l'insipide. Des chantres désormais la brigade timide S'écarte, et du Palais regagne les chemins. Telle à l'aspect d'un loup, terreur des champs voisins, Fuit d'agneaux effrayés une troupe bêlante; Ou tels devant Achille, aux campagnes du Xanthe', Les Troyens se sauvoient à l'abri de leurs tours, Quand Brontin à Boisrude adresse ce discours :

« Illustre porte-croix, par qui notre bannière » N'a jamais, en marchant, fait un pas en arrière, » Un chanoine, lui seul triomphant du Prélat, »Du rochet à nos yeux ternira-t-il l'éclat?

» Non, non: pour te couvrir de sa main redoutable, >> Accepte de mon corps l'épaisseur favorable: » Viens; et, sous ce rempart, à ce guerrier hautain >> Fais voler ce Quinault qui me reste à la main. » A ces mots, i lui 'tend le doux et tendre ouvrage, Le sacristain, bouillant de zèle et de courage, Le prend, se cache, approche, et droit entre les yeux Frappe du noble écrit l'athlète audacieux. Mais c'est pour l'ébranler une foible tempête; Le livre, sans vigueur, mollit contre sa tête.

Le chanoine le voit, de colère embrasé :

<< Attendez, leur dit-il, couple lâche et rusé, » Et jugez si ma main, aux grands exploits novice, >> Lance à mes ennemis un livre qui mollisse. »

A ces mots, il saisit un vieux Infortiat,
Grossi des visions d'Accurse et d'Alciat;
Inutile ramas de gothique écriture,

Dont quatre ais mal unis formoient la couverture,
Entourée à demi d'un vieux parchemin noir,
Où pendoit à trois clous un reste de fermoir.
Sur l'ais qui le soutient auprès d'un Avicène,
Deux des plus forts mortels l'ébranleroient à peine;
Le chanoine pourtant l'enlève sans effort,
Et sur le couple pâle et déjà demi-mort
Fait tomber à deux mains l'effroyable tonnerre:
Les guerriers, de ce coup, vont mesurer la terre;
Et, du bois et des clous meurtris et déchirés,
Long-temps loin du perron roulent sur les degrés.
Au spectacle étonnant de leur chute imprévue,
Le Prélat pousse un cri qui pénètre la nue:
Il maudit dans son cœur le démon des combats,
Et de l'horreur du coup il recule six pas;
Mais bientôt, rappelaut son antique prouesse,
Il tire du manteau sa dextre vengeresse.
Il part, et de ses doigts saintement allongés,
Bénit tous les passants, en deux files rangés.
Il sait que l'ennemi que ce coup va surprendre,
Désormais sur ses pieds ne l'oseroit attendre,
Et déjà voit pour lui tout le peuple en courroux
Crier aux combattants: « Profanes, à genoux ! »

Le Chantre, qui de loin voit approcher l'orage,
Dans son cœur éperdu cherche en vain du courage:
La fierté l'abandonne, il tremble, il cède, il fuit;
Le long des sacrés murs sa brigade le suit.
Tout s'écarte à l'instant, mais aucun n'en réchappe;
Partout le doigt vainqueur les suit et les rattrape.

Evrard seul, en un coin prudemment retiré,

Se croyoit à couvert de l'insulte sacré ;

Mais le Prélat vers lui fait une marche adroite,

Il l'observe de l'œil, et tirant vers la droite,

Tout d'un coup tourne à gauche, et, d'un bras fortuné,
Bénit subitement le guerrier consterné.

Le chanoine, surpris de la foudre mortelle,
Se dresse, et lève en vain une tête rebelle:
Sur ses genoux tremblants il tombe à cet aspect,
Et donne à la frayeur ce qu'il doit au respect.
Dans le temple aussitôt le Prélat plein de gloire
Va goûter les doux fruits de sa sainte victoire,
Et de leurs vains projets les chanoines punis,
S'en retournent chez eux éperdus et bénis.

BOILEAU. Lutrin, chant V.

Famine de Paris.

MAIS lorsqu'enfin les eaux de la Seine captive
Cessèrent d'apporter dans ce vaste séjour
L'ordinaire tribut des moissons d'alentour;
Quand on vit dans Paris la Faim pâle et cruelle,
Montrant déjà la Mort qui marchoit après elle,
Alors on entendit des hurlements affreux :
Ce superbe Paris fut pleia de malheureux,
De qui la main tremblante et la voix affoiblie
Demandoient vainement le soutien de leur vie.
Bientôt le riche même, après de vains efforts,
Eprouva la famine au milieu des trésors.

Ce n'étoient plus ces jeux, ces festins et ces fêtes,
Où de myrte et de rose ils couronnoient leurs têtes,
Où, parmi des plaisirs toujours trop peu goûtés,
Les vins les plus parfaits, les mets les plus vantés,
Sous des lambris dorés qu'habite la mollesse,
De leur goût dédaigneux irritoient la paresse.
On vit avec effroi tous ces voluptueux,
Pàles, défigurés, et la mort dans les yeux,

Périssant de misère au sein de l'opulence,
Détester de leurs biens l'inutile abondance,

Le vieillard, dont la faim va terminer les jours,
Voit son fils au berceau, qui périt sans secours.
Ici meurt dans la rage une famille entière.
Plus loin des malheureux, couchés sur la poussière,
Se disputoient encore, à leurs derniers moments,
Les restes odieux des plus vils aliments,

Ces spectres affamés, outrageant la nature,

Vont au sein des tombeaux chercher leur nourriture.
Des morts épouvantés les ossements poudreux,
Ainsi qu'un pur froment, sont préparés par eux.
Que n'osent point tenter les extrêmes misères !
On les voit se nourrir des cendres de leurs pères.
Ce détestable mets avança leur trépas,

Et ce repas pour eux fut le dernier repas.
Trop heureux, en effet, d'abandonner la vie!

D'un ramas d'étrangers la ville étoit remplie ;
Tigres que nos aïeux nourrissoient dans leur sein,
Plus cruels que la mort, et la guerre et la faim.
Les uns étoient venus des campagnes Belgiques;
Les autres, des rochers et des monts Helvétiques;
Barbares dont la guerre est l'unique métier,
Et qui vendent leur sang à qui veut le payer.
De ces nouveaux tyrans les avides cohortes
Assiégent les maisons, en enfoncent les portes,
Aux hôtes effrayés présentent mille morts,
Non
pour leur arracher d'inutiles trésors;
Non pour aller ravir,d'une main adultère,
Une fille éplorée à sa tremblante mère :
De la cruelle faim le besoin consumant
Fait expirer en eux tout autre sentiment ;
Et d'un peu d'aliment la découverte heureuse
Etoit l'unique but de leur recherche affreuse.
Il n'est point de tourment, de supplice et d'horreur,
Que, pour en découvrir, n'inventât leur fureur.

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