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Une femme (grand Dieu! faut-il à la mémoire Conserver le récit de cette horrible histoire?), Une femme avoit vu par ces cœurs inhumains Un reste d'aliment arraché de ses mains. Des biens que lui ravit la fortune cruelle, Un enfant lui restoit, près de périr comme elle Furieuse, elle approche, avec un coutelas, De ce fils innocent qui lui tendoit les bras; Sou enfance, sa voix, sa misère et ses charmes A sa mère en fureur arrachent mille larmes; Elle tourne sur lui son visage effrayé, Plein d'amour, de regret, de rage, de pitié; Trois fois le fer échappe à sa main défaillante : La rage enfin l'emporte, et, d'une voix tremblante, Détestant son hymen et sa fécondité:

« Cher et malheureux fils, que mes flancs ont porte, » Dit-elle, c'est en vain que tu reçus la vie; » Les tyrans ou la faim l'auroient bientôt ravie. » Et pourquoi vivrois-tu ? Pour aller dans Paris, » Errant et malheureux, pleurer sur ses débris? » Meurs avant de sentir mes maux et ta misère ; » Rends-moi le jour, le sang que t'a donné ta mère: >> Que mon sein malheureux te serve de tombeau, » Et que Paris du moins voie un crime nouveau ! » En achevant ces mots, furieuse, égarée,

Dans les flancs de son fils sa main désespérée
Enfonce, en frémissant, le parricide acier;
Porte le corps sanglant auprès de son foyer,
Et d'un bras que poussoit sa faim impitoyable,
Prépare avidement ce repas effroyable.

Attirés par la faim, les farouches soldats
Dans ces coupables lieux reviennent sur leurs pas:
Leur transport est semblable à la cruelle joie
Des ours et des lions qui fondent sur leur proie:
A l'envi l'un de l'autre ils courent en fureur;
Ils enfoncent la porte. O surprise! ô terreur!

Près d'un corps tout sanglant à leurs yeux se présente
Une femme égarée, et de sang dégouttante.

"

« Oui, c'est mon propre fils; oui, monstres inhumains, >> C'est vous qui dans son sang avez trempé mes mains; >> Que la mère et le fils vous servent de pâture:

» Craignez-vous plus que moi d'outrager la nature? >> Quelle horreur, à mes yeux, semble vous glacer tous?' Tigres, de tels festins sont préparés pour vous. »

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Ce discours insensé, que sã rage prononce,

Est suivi d'un poignard qu'en son cœur elle enfonce.
De crainte, à ce spectacle, et d'horreur agités,
Ces monstres confondus courent épouvantés.
Ils n'osent regarder cette maison funeste :
Ils pensent voir tomber sur eux le feu céleste ;
Et le peuple, effrayé de l'horreur de son sort,

Levoit les mains au ciel, et demandoit la mort (1).
VOLTAIRE. Henriade, ch. X.

La Vaccine, ou les Regrets et le Désespoir d'une Mère.

C'ÉTOIT l'heure où, lassé des longs travaux du jour,

Le laboureur revoit son rustique séjour.

Je visitai des morts la couche triste et sainte;
Une femme apparut vers la funèbre enceinte,
Et, d'un enfant suivie, avec l'ombre du soir,
Sous un jeune cyprès lentement vint s'asseoir.
Parmi les hauts gazons s'élevoient sans culture
Quelques sombres pavots, fleurs de la sépulture;
Son fils, pour les cueillir, un moment s'éloigna :
A toute sa douleur elle s'abandonna;
Mes pleurs interrogeoient sa tristesse mortelle.

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« Mon époux n'étoit plus, j'avois deux fils, dit-elle ; >> L'un d'eux, mon jeune Edgard, étoit le plus chéri ; » C'étoit mon premier-né, mon lait l'avoit nourri;

(1) Voyez les Leçons Latines anciennes, tom. I, Descriptions.

» Plus souvent que son frère il cherchoit mes carosses; >> Mais Dieu punit toujours d'inégales tendresses; » Le fléau destructeur, aux mères si fatal, » S'étendit par degrés sur le hameau natal; » Chaque mère implora le secours salutaire » D'un art encor nouveau, présent de l'Angleterre; » Le second de mes fils lui-même y fut soumis; » Prête à livrer Edgard, j'hésitai, je frémis; >> Contre un fer douloureux, sa frayeur indocile » Dans les bras de sa mère imploroit un asyle: » J'osai l'y recevoir, j'oubliai ma raison; » Je l'offris sans défense au funeste poison. >> Edgard en respira la vapeur meurtrière; >> Chaque élan de mon cœur étoit une prière; » Je le voyois souffrir, languir sur mes genoux, >> Et mon plus jeune fils jouoit auprès de nous. » Chaque jour, chaque instant redoubloit mes alarmes, Je pleurois... Mon Edgard ne voyoit point mes larmes; » Déjà le mal impur, sur ses yeux arrêté,

>> Cachoit à ses regards sa mère et la clarté ;

>> It mourut... et voilà sa pierre funéraire.

» Ce cyprès est le sien, cet enfant est son frère.

» Nous venons tous les soirs lui porter nos douleurs ; >> Nous regardons le ciel, et nous versons des pleurs. » Toi, mon dernier enfant, souffre ma plainte amère; » Le ciel n'enferme pas tout l'amour de ta mère : » A vivre loin d'Edgard je puis m'accoutumer; » Près du cercueil d'Edgard je puis encore aimer. » Elle se tait... L'enfant la suit dans les ténèbres; Mais on dit que bientôt, sur les gazons funèbres, Il revint pleurer seul, hélas ! et que ses pas Vers le tombeau d'Edgard ne se dirigeoient pas. Prévenez le malheur que ma muse déplore, Votre jeune famille avec moi vous implore; Vous, simples villageois, d'éternels préjugés, De fantômes, d'erreurs, d'ignorance assiégés,

Hatez-vous, le temps fuit, et l'enfance succombe;
De vos fils au berceau ne creusez pas la tombe;
Et, s'il faut quelque jour que vous pleuriez leur mort,
Qu'au moins leur souvenir ne soit pas un remord.

Et vous qui des Etats portez le poids immense,
Monarques, achevez ce qu'un sage commence!
En veillant sur nos jours, faites chérir vos droits;
Aux bienfaits du génie associez les Rois;
Que, dans chaque cité, le prévoyant hospice
Offre à l'art de Jenner un asyle propice;
Qu'instruit par vos leçons, le prêtre des hameaux
Décide enfin le pauvre à fuir un de ses maux;

Et que le monstre impur, comme la lèpre immonde,
Avec son masque affreux disparoisse du monde,

SOUMET.

Agisthe, fils de Mérope, attaque Polyphonte au pied de l'autel où ce tyran alloit épouser

sa mère.

La victime étoit prête, et de fleurs couronnée;
L'autel étinceloit des flambeaux d'hyménée;
Polyphonte, l'oeil fixe, et d'un front inhumain,
Présentoit à Mérope une odieuse main;
Le prêtre prononçoit les paroles sacrées;
Et la Reine, au milieu des femmes éplorées,
S'avançant tristement, tremblante entre mes bras,
Au lieu de l'hyménée, invoquoit le trépas.
Le peuple observoit tout dans un profond silence.
Dans l'enceinte sacrée, en ce moment s'avance

Un jeune homme, un Héros, semblable aux Immortels;
Il court. C'étoit Ægisthe: il s'élance aux autels;
Il monte, il y saisit, d'une main assurée,
Pour les fêtes des Dieux la hache préparée.

Les éclairs sont moins prompts; je l'ai vu de mes yeux,
Je l'ai vu qui frappoit ce monstre audacieux.

rage.

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« Meurs, tyran! disoit-il: Dieux, prenez vos victimes!»
Erox, qui de son maître a servi tous les crimes,
Erox, qui dans son sang voit ce monstre nager,
Lève une main hardie, et pense le venger.
Ægisthe se retourne, enflammé de furie,
A côté de son maître il le jette sans vie.
Le tyran se relève, et blesse le Héros;
De leur sang confondu j'ai vu couler les flots.
Déjà la garde accourt avec des cris de
Sa mère... Ah! que l'amour inspire de courage!
Quel transport animoit ses efforts et ses pas !
Sa mère... Elle s'élance au milieu des soldats.
« C'est mon fils! arrêtez; cessez, troupe inhumaine!
C'est mon fils! déchirez sa mère et votre Reine,
Ce sein qui l'a nourri, ces flancs qui l'ont porté !
A ces cris douloureux, le peuple est agité.
Un gros de nos amis, que son danger excite,
Entre elle et ces soldats vole et se précipite.
Vous eussiez vu soudain les autels renversés,
Dans des ruisseaux de sang leurs débris dispersés;
Les enfants écrasés dans les bras de leurs mères,
Les frères, méconnus, immolés par leurs frères;
Soldats, prêtres, amis, l'un sur l'autre expirants:
On marche, on est porté sur les corps des mourants;
On veut fuir, on revient ; et la foule pressée
D'un bout du temple à l'autre est vingt fois repoussée.
De ces flots confondus le flux impétueux
Roule, et dérobe Ægisthe et la Reine à mes yeux.
Parmi les combattants je vole ensanglantée :
J'interroge à grands cris la foule épouvantée.

Tout ce qu'on me répond redouble mon horreur.
On s'écrie: « Il est mort, il tombe, il est vainqueur! »
Je cours, je me consume, et le peuple m'entraîne,
Me jette en ce palais, éplorée, incertaine,

Au milieu des mourants, des morts et des débris.
Venez, suivez mes pas, joignez-vous à mes cris.

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