emblème du Génie éclairant les hommes, tandis qu'il en est persécuté: Le Nil a vu sur ses rivages, etc. Je ne connois point de plus grande idée rendue par une plus grande image; ni de vers d'une harmonie plus imposante: il n'y a pas dans Rousseau même une strophe que je préférasse à celle-là. En voici d'autres qui ne la déparent point. La France a perdu son Orphée, etc. Tous ces mouvements sont lyriques, tous ces vers sont nombreux, et cette fin est digne du commencement. devenue : c'est un exemple assez singulier du besoin qu'a souvent l'opinion publique d'être particulièrement avertie, surtout dans certains genres d'ouvrages dont la renommée ne s'entretient guère avec éclat, parce que la mode en est passée, et c'est ce qui est arrivé à l'ode parmi nous. Celle de Le Franc sur la Mort de Rousseau étoit imprimée depuis plus de vingt ans, et, quoique passant ma vie avec des gens occupés de littérature et de poésie, objets qui d'ailleurs occupoient alors plus ou moins la société, jamais je n'avois entendu parler de cette pièce à personne, ni vu aucun livre où l'on en parlât. Je fus frappé de ce silence, comme de l'ode elle-même, quand je la lus dans les Euvres de Le Franc. La strophe dont il s'agit se grava surtout dans ma mémoire, et j'en étois tout plein lors de mon premier voyage à Ferney, en 1765. Je trouvai bientôt l'occasion d'en parler à Voltaire, sans aucun air d'affectation, à table, et en présence de vingt personnes. J'eus soin seulement de n'en pas nommer l'auteur. Je me défiois un peu de l'homme, et je voulois l'avis du poëte. H jeta des cris d'admiration : c'étoit sa manière quand il entendoit de beaux vers; jamais il ne les a écoutés froidement : « Ah! mon Dieu, que cela est beau! Et qu'est-ce qui a fait cela ? » Je m'amusai quelque temps à le faire deviner; enfin, je nommai Pompignan. Ce fut comme un coup de théâtre; les bras lui tombèrent; tout le monde fit silence, et fixa les yeux sur lui. « Redites-moi la strophe. » Je la répétai, et l'on peut s'imaginer avec quelle sévère attention elle fut écoutée. « Il n'y a rien à dire. La strophe est belle. » ་་ Il y avoit pourtant une faute dans cette strophe, et une faute grave, qui sûrement n'eût pas échappé à Voltaire, si je n'avois : En un mot cette ode, et celle de Racine le fils, sur l'Harmonie, qui passera bientôt sous nos yeux, sont sans contredit (et je comprends, pour cette fois, les vivants avec les morts sans exception) les deux plus belles qu'on ait faites depuis Rousseau. LA HARPE. Cours de Littérature, t. XIII. Amertume et Consolation des derniers moments J'AI révélé mon cœur au Dieu de l'innocence; pris sur moi de la faire disparoître en la récitant, comine je fis Le crime ne peut être ni puissant, ni impuissant, que lorsqu'il est personnifié, et il ne l'est point ici, et ne sauroit l'être. Il y a là tout ensemble impropriété et recherche. Heureusement, cette seule tache a disparu, et la strophe est restée. On la retrouve partout, jusque dans le Dictionnaire historique, où ces sortes de citations sont très-rares. Sans doute les auteurs auront pensé comme le successeur de Pompignan à l'Académie française, l'abbé, depuis cardinal Maury, qui, dans un discours de réception, vouloit quc, pour tout éloge, on gravat cette strophe sur la tombe de Pompignan; et il ne mauqua pas de la réciter. J'avoue que je trouve là un défaut de convenances bien marqué. L'idée eût été bonne en elle-même si Le Franc n'eût jamais fait que cela de bon; mais réduire à ce point celui qui a fait Didon et de belles odes sacrées, c'est le confondre avec les auteurs dont il n'est resté qu'un quatrain ou un sixain, et ce n'est pas là un éloge convenable. Il guérit mes remords, il m'arine de constance : Les malheureux sont ses enfants. Mes ennemis riant ont dit dans leur colère : Mais à mon cœur calmé le Seigneur dit en père : A tes plus chers amis ils ont prêté leur rage; Celui que tu nourris court vendre ton image, Mais Dieu t'entend gémir, Dieu vers qui te ramène De l'incorruptible avenir; Eux même épureront, par leur long artifice, Soyez béni, mon Dieu vous qui daiguez me rendre Au banquet de la vie, infortuné convive, Je meurs, et sur ma tombe, où lentement j'arrive, Salut, champs que j'aimois, et vous, douce verdure, Ciel, pavillon de l'homme, admirable nature, Salut pour la dernière fois! Ah! puissent voir long-temps votre beauté sacrée Tant d'amis sourds à mes adieux ! Qu'ils meurent pleins de jours, que leur mort soit pleuréé, Qu'un ami leur ferme les yeux! GILBERT. DISCOURS ET MORCEAUX ORATOIRES. Que dans tous vos discours la passion émueAille chercher le cœur, l'échauffe et le remue. BOILEAU. Art poét., ch. III. Eloquence poétique. PRÉCEPTES DU GENRE. C'EST en poésie que l'éloquence est une enchanteresse, et l'enchantement qu'elle opère, c'est l'illusion et l'intérêt. Ailleurs elle ne cherche à plaire, à émouvoir, que pour persuader; ici, le plus souvent, elle ne persuade qu’afin de plaire et d'émouvoir. A cela près, ses moyens sont les mêmes et du côté de l'illusion, et du côté de l'intérêt. La poésie n'est que l'éloquence dans toute sa force et avec tous `ses charmes. Voyez, dans l'Iliade, la harangue de Priam aux pieds d'Achille; dans l'Enéide, celle de Sinon; dans Ovide, celle d'Ajax et d'Ulysse; dans Milton, celle de Satan; dans Corneille, les scènes d'Auguste et de Cinna; dans Racine, les discours de Burrhus ct de Narcisse au jeune Néron; dans la Henriade, la harangue de Potier aux Etats, etc. C'est tour à tour le langage de Démosthène, de Cicéron, de Massillon, de Bossuet, à quelques hardiesses près, que la poésie autorise, et que l'éloquence elle-même se permet quelquefois. L'éloquence du poête est l'éloquence exquise de l'orateur appliquée à des sujets intéressants, féconds, sublimes; et les divers genres d'éloquence que les rhéteurs ont distingués, le délibératif, le démonstratif, le judiciaire, sont du ressort de l'art poétique comme de l'art oratoire; mais les poëtes ont soin de choisir de grandes causes à discuter, de grands intérêts à débattre. Auguste doit-il abdiquer ou garder l'empire du monde? Ptolémée doit-il accorder ou refuser un asyle à Pompée; et, s'il le reçoit, doit-il le défendre, doit-il le livrer à César vif ou mort? Voilà de quoi il s'agit dans les délibérations de Corneille. Il n'est point de spectateur dont l'âme ne reste comme suspendue, tandis que de tels intérêts sont balancés et discutés avec chaleur. Ce qui rend encore plus théâtrales, ces sortes de délibérations, c'est lorsque la cause publique se joint à l'intérêt capital d'un personnage intéressant, dont le sort dépend de ce qu'on va résoudre ; car il faut bien se souvenir que l'intérêt individuel d'homme à homme est le seul qui nous touche vivement. Les termes collectifs de peuple, d'armée, de république, ne nous présentent que des idées vagues; Rome, Carthage, la Grèce, la Phrygie, ne nous intéressent que par l'entremise des personnages dont le destin dépend du leur. Quelquefois aussi celui qui parle ne veut que répandre et soulager son cœur. Par exemple, lorsqu'Andromaque fait à Céphise le tableau du massacre de Troie, ou qu'elle lui retrace les adieux d'Hector, son dessein n'est pas de l'instruire, de la persuader, de l'émouvoir: elle n'attend, ne veut rien d'elle. C'est un cœur déchiré qui gémit, et qui, trop plein de sa douleur, ne demande qu'à l'épancher. Rien de plus naturel, rien de plus favorable au développement des passions. Plus la passion tient de la foiblesse, plus il lui est nécessaire de se répandre au dehors : l'amour a plus de confidents que la haine et que l'ambition; celles-ci supposent dans l'âme une force qui lui sert à les renfermer. Achille, indigné contre Agamemnon, se retire seul sur le rivage de la mer; s'il avoit aimé Briséis, il auroit eu besoin de Patrocle. |