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Et, loin de repousser le coup qu'on vous prépare,
Vous voulez vous en faire un mérite barbare.
Trop jaloux d'un pouvoir qu'on peut vous envier,
De votre propre sang vous courez le payer,
Et voulez, par ce prix, épouvanter l'audace
De quiconque vous peut disputer votre place.

Est-ce donc être père? Ah! toute ma raison
Cède à la cruauté de cette trahison.

Un prêtre, environné d'une foule cruelle,
Portera sur ma fille une main criminelle,
Déchirera son sein, et, d'un ceil curieux,
Dans son cœur palpitant consultera les Dieux!
Et moi qui l'amenai triomphante, adorée,
Je m'en retournerai seule et désespérée !
Je verrai les chemins encor tout parfumés
Des fleurs dont sous ses pas on les avoit semés!
Non, je ne l'aurai point amenée au supplice,
Ou vous ferez aux Grecs un double sacrifice.
Ni crainte ni respect ne m'en peut détacher;
De mes bras tout sanglants il faudra l'arracher.
Aussi barbare époux qu'impitoyable père,
Venez, si vous l'osez, la ravir à sa mère!
Et vous, rentrez, ma fille, et du moins à mes lois
Obéissez encor pour la dernière fois,

RACINE. Iphigénie.

Agrippine reproche à Burrhus de retenir Néron

son fils dans une indigne dépendance.

Prétendez-vous long-temps me cacher l'Empereur?

Ne le verrai-je plus qu'à titre d'importune?

Ai-je donc élevé si haut votre fortune

Pour mettre une barrière entre mon fils et moi?
Ne l'osez-vous laisser un moment sur sa foi?
Entre Sénèque et vous, disputez-vous la gloire
A qui m'effacera plus tôt de sa mémoire?

Vous l'ai-je confié pour en faire un ingrat,
Pour être, sous son nom, les inaîtres de l'Etat?
Certes, plus je médite, et moins je me figure
Que vous m'osiez compter pour votre créature :
Vous, dont j'ai pu laisser vieillir l'ambition
Dans les honneurs obscurs de quelque légion;
Et moi, qui sur le trône ai suivi mes ancêtres,
Moi, fille, femme, sœur, et mère de vos maîtres!
Que prétendez-vous donc? Pensez-vous que ma voix
Ait fait un Empereur pour m'en imposer trois?
Néron n'est plus enfant. N'est-il pas temps qu'il règne?
Jusqu'à quand voulez-vous que l'Empereur vous craigne?
Ne sauroit-il rien voir qu'il n'emprunte vos yeux?
Pour se conduire, enfin, n'a-t-il pas ses aïeux?
Qu'il choisisse, s'il veut, d'Auguste ou de Tibère ;
Qu'il imite, s'il peut, Germanicus mon père.
Parini tant de héros je n'ose me placer;
Mais il est des vertus que je lui puis tracer :
Je puis l'instruire au moins combien sa confidence
Entre un sujet et lui doit laisser de distance.

Réponse de Burrhus.

JE ne m'étois chargé, dans cette occasion,
Que d'excuser César d'une seule action :
Mais puisque, sans vouloir que je le justifie,
Vous me rendez garant du reste de sa vie,
Je répondrai, Madame, avec la liberté
D'un' soldat qui sait mal farder la vérité.

Vous m'avez de César confié la jeunesse,
Je l'avoue, et je dois m'en souvenir sans cesse.
Mais vous avois-je fait serment de le trahir,
D'en faire un Empereur qui ne sût qu'obéir?
Non. Ce n'est plus à vous qu'il faut que j'en réponde;
Ce n'est plus votre fils, c'est le maître du monde.
J'en dois compte, Madame, à l'Empire Romain
Qui croit voir son salut ou sa perte en ma main.

Ah! si dans l'ignorance il le falloit instruire,
N'avoit-on que Sénèque et moi pour le séduire?
Pourquoi de sa conduite éloigner les flatteurs?
Falloit-il dans l'exil chercher des corrupteurs?
La Cour des Claudius, en esclaves fertile,
Pour deux que l'on cherchoit en eût présenté mille,
Qui tous auroient brigué l'honneur de l'avilir:
Dans une longue enfance ils l'auroient fait vieillir.

De quoi vous plaignez-vous, Madame? on vous révère; Ainsi que par César, on jure par sa mère :

L'Empereur, il est vrai, ne vient plus chaque jour
Mettre à vos pieds l'Empire, et grossir votre Cour.
Mais le doit-il, Madame? et sa reconnoissance
Ne peut-elle éclater que dans sa dépendance?
Toujours humble, toujours le timide Néron
N'ose-t-il être Auguste et César que de nom?
Vous le dirai-je enfin? Rome le justifie.
Rome, à trois affranchis si long-temps asservie,
A peine respirant du joug qu'elle a porté,
Du règne de Néron compte sa liberté.
Que dis-je? la Vertu semble même renaître.

Tout l'Empire n'est plus la dépouille d'un maitre :
Le peuple au Champ-de-Mars nomme ses magistrats; ./
César nomme les chefs sur la foi des soldats :
Thraséas au Sénat, Corbulon dans l'armée,
Sont encore innocents, malgré leur renommée,
Les déserts, autrefois peuplés de Sénateurs,
Ne sont plus habités que par leurs délateurs.
Qu'importe que César continue à nous croire,
Pourvu que nos conseils ne tendent qu'à sa gloire;
Pourvu que, dans le cours d'un règne florissant,
Rome soit toujours libre, et César tout-puissant?
Mais, Madame, Néron suffit pour se conduire,
J'obéis, sans prétendre à l'honneur de l'instruire.
Sur ses aïeux, sans doute, il n'a qu'à se régler ;
Pour bien faire, Néron n'a qu'à se ressembler :

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Heureux, si ses vertus l'une à l'autre enchaînées

Ramènent tous les ans ses premières années!

LE MÊME. Britannicus, act. Ier, sc. II.

Agrippine reproche à Néron son ingratitude.

APPROCHEZ-VOUS, Néron, et prenez votre place.
On veut sur vos soupçons que je vous satisfasse :
J'ignore de quel crime on a pu me noircir;
De tous ceux que j'ai faits je vais vous éclaircir.
Vous régnez vous savez combien votre naissance
Entre l'Empire et vous avoit mis de distance.
Les droits de mes aïeux, que Rome a consacrés,
Etoient même sans moi d'inutiles degrés.
Quand de Britannicus la mère condamnée,
Laissa de Claudius disputer l'hyménée,

Parmi tant de beautés qui briguèrent son choix,
Qui de ses affranchis mendièrent les voix,
Je souhaitai son lit, dans la seule pensée
De vous laisser au trône où je serois placée.
Je fléchis mon orgueil; j'allai prier Pallas.
Son maître, chaque jour caressé dans mes bras,
Prit insensiblement dans les yeux de sa nièce
L'amour où je voulois amener sa tendresse ;
Mais ce lien du sang qui nous joignoit tous deux
Ecartoit Claudius d'un lit incestueux :

Il n'osoit épouser la fille de son frère.

Le Sénat fut séduit : une loi moins sévère

Mit Claude dans mon lit et Rome à mes genoux.

C'étoit beaucoup pour moi, ce n'étoit rien pour vous.
Je vous fis sur mes pas entrer dans sa famille;

Je vous nommai son gendre, et vous donnai sa fille.

Silanus, qui l'aimoit, s'en vit abandonné,

Et marqua

de

son sang ce jour infortuné.

Ce n'étoit rien encore. Eussiez-vous pu prétendre

Qu'un jour Claude à son fils dût préférer son gendre?

De ce même Pallas j'implorai le secours:

yeux;

Claude vous adopta, vaincu par ses discours,
Vous appela Néron, et du pouvoir suprême
Voulut,
avant le temps, vous faire part
lui-même.
C'est alors que chacun, rappelant le passé,
Découvrit mon dessein, déjà trop avancé ;
Que de Britannicus la disgrâce future
Des amis de mon père excita le murmure.
Mes promesses aux uns éblouirent les
L'exil me délivra des plus séditieux;
Claude même, lassé de ma plainte éternelle,
Eloigna de son fils tous ceux de qui le zèle,
Engagé dès long-temps à suivre son destin,
Pouvoit du trône encor lui rouvrir le chemin.
Je fis plus je choisis moi-même dans ma suite
Ceux à qui je voulois qu'on livrât sa conduite.
J'eus soin de vous nommer, par un contraire choix,
Des gouverneurs que Rome honoroit de sa voix;
Je fus sourde à la brigue, et crus la renommée.
J'appelai de l'exil, je tirai de l'armée,

Et ce même Sénèque, et ce même Burrhus,
Qui depuis...... Rome alors estimoit leurs vertus.
De Claude en même temps épuisant les richesses,
Ma main sous votre nom répandoit ses largesses.
Les spectacles, les dons, invincibles appâts,
Vous attiroient les cœurs du peuple et des soldats,
Qui d'ailleurs, réveillant leur tendresse première,
Favorisoient en vous Germanicus mon père.

Cependant Claudius penchoit vers son déclin :
Ses yeux long-temps fermés s'ouvrirent à la fin;
Il connut son'erreur; occupé de sa crainte,
Il laissa pour son fils échapper quelque plainte,
Et voulut, mais trop tard, assembler ses amis.
Ses gardes, son palais, son lit, m'étoient soumis.
Je lui laissai sans fruit consumer sa tendresse;
De ses derniers soupirs je me rendis maitresse.

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