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Le Méchant.

QUE dans ses procédés l'homme est inconséquent ! On recherche un esprit dont on hait le talent; On applaudit aux traits du Méchant qu'on abhorre, Et, loin de le proscrire, on l'encourage encore. Mais convenez aussi qu'avec ce mauvais ton, Tous ces gens dont il est l'oracle ou le bouffon, Craignent pour eux le sort des absents qu'il leur livre, Et que tous avec lui seroient fâchés de vivre : On le voit une fois, il peut être applaudi ; Mais quelqu'un voudroit-il en faire son ami? -On le craint, c'est beaucoup.- Mérite pitoyable! Pour les esprits sensés est-il done redoutable?

C'est ordinairement à de foibles rivaux

Qu'il adresse les traits de ses mauvais propos.

Quel honneur trouvez-vous à poursuivre, à confondre,
A désoler quelqu'un qui ne peut vous répondre ?
Ce triomphe honteux de la méchanceté

Réunit la bassesse et l'inhumanité.

Quand sur l'esprit d'un autre on a quelque avantage,
N'est-il pas plus flatteur d'en mériter l'hommage,
De voiler, d'enhardir la foiblesse d'autrui,
Et d'en être à la fois et l'amour et l'appui ?

Vous le croyez heureux ? Quelle âme méprisable! Si c'est là son bonheur, c'est être misérable. Etranger au milieu de la société,

Et partout fugitif, et partout rejeté,

Vous connoîtrez bientôt par votre expérience
Que le bonheur du cœur est dans la confiance.
Un commerce de suite avec les mêmes gens,
L'union des plaisirs, des goûts, des sentiments;
Une société peu nombreuse, et qui s'aime,

Où vous pensez tout haut, où vous êtes vous-même,
Sans lendemain, sans crainte et sans malignité,
Dans le sein de la paix et de la sûreté,

Voilà le seul bonheur honorable et paisible
D'un esprit raisonnable et d'un cœur né sensible.-
Sans amis, sans repos, suspect et dangereux,
L'homme frivole et vague est déjà malheureux.
Mais jugez avec moi combien l'est davantage
Un méchant affiché, dont on craint le passage;
Qui, traînant après lui les rapports, les horreurs,
L'esprit de fausseté, l'art affreux des noirceurs,
Abhorré, méprise, couvert d'ignominie,
Chez les honnêtes gens demeure sans patrie:
Voilà le vrai proscrit, et vous le connoissez.

S'amuser, dites-vous! Quelle erreur est la vôtre !
Quoi! vendre tour à tour, immoler l'une à l'autre,
Chaque société; diviser les esprits,

Aigrir les gens brouillés, ou brouiller des amis,
Calomnier, flétrir les femmes estimables,
Faire du mal d'autrui ses plaisirs détestables
Ce germe d'infamie et de perversité,
Est-il dans la même âme avec la probité?

Tout le monde est méchant! Oui, ces coeurs haïssables,
Ce peuple d'hommes faux, de femmes, d'agréables,
Sans principes, sans mœurs; esprits bas et jaloux,
Qui se rendent justice en se méprisant tous.

En vain ce peuple affreux, sans frein et sans scrupule,
De la bonté du cœur veut faire un ridicule.

Pour chasser ce nuage et voir avec clarté

Que l'homme n'est point fait pour la méchanceté,
Consultez, écoutez pour juges, pour oracles,
Les hommes rassemblés; voyez à nos spectacles,
Quand on peint quelques traits de candeur, de bonté,
Où brille en tout son jour la tendre humanité :
Tous les cœurs sont remplis d'une volupté pure,
Et c'est là qu'on entend le cri de la nature.

LE MÊME. Ibid., act. IV, sc. IV.

MODÈLE D'EXERCICE.

Il étoit tout simple d'opposer au code de la méchanceté le langage du bon sens et la morale d'un bon cœur ; mais ce contraste, supérieurement exécuté dans le rôle d'Ariste, distingue la comédie du Méchant. Ce rôle est le modèle de ceux où il faut soutenir le ton sérieux et moral, qui est entre deux excès, la froideur et la déclamation. C'est là d'ordinaire le double inconvénient de ces personnages que, dans la comédie, on appelle des raisonneurs. Depuis le Cléante du Tartufe, qui a si bien différencié la véritable et la fausse dévotion, l'Ariste du Méchant est celui qui a le mieux fait parler la raison. Le style de la pièce dans cette partie n'est ni moins piquant, ni moins parfait que dans les autres, et peut-être étoit encore plus difficile; car, dans un ouvrage où il ne faut jamais perdre de vue l'agrément, rien n'est si voisin de l'ennui que de prêcher la raison. Mais Gresset a su tour à tour l'assaisonner ou l'animér, la rendre agréable ou intéressante, au point que rien ne contribua plus à son succès que le rôle d'Ariste, surtout dans la grande scène du quatrième acte entre Valère et lui. L'avantage qu'il a sur un jeune homme qui ne fait que répéter les leçons de son maître Cléon, n'étoit pas ce qu'il y avoit de plus malaisé dans ce rôle; mais devant Cléon lui-même, qui est tout brillant d'esprit, il falloit plus d'art pour maintenir Ariste dans la supériorité qui convient à la bonne cause, sans subordonner le personnage principal. C'est une loi bien remarquable dans le genre dramatique, que cette nécessité si essentielle de ne jamais abaisser le premier personnage, celui sur qui l'auteur appelle principalement l'attention. Quoi qu'il puisse avoir de vicieux, il ne doit jamais descendre du rang où l'ont placé les convenances théâtrales. Il peut, il doit être confondu dans ses projets, puni par ses propres fautes; mais en général il doit être tel qu'il n'y ait en lui de méprisable que le vice dont la censure est l'objet de la pièce. Cette théorie est très-déliée, et demande quelque explication, parce que si elle n'est pas bien entendue, elle

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semble au premier coup d'œil contraire à la moralité, reconnue pour une des premières lois dramatiques, et c'est la méprise où sont tombés les détracteurs outrés du théâtre. Pourquoi, ont-ils dit, faire admirer la présence d'esprit d'un scélérat comme Tartufe? Pourquoi rendre la méchanceté de Cléon si séduisante à force d'esprit ? Pour mieux remplir l'objet que l'art se propose. En effet, il ne seroit pas bien merveilleux que l'on détestât le crime sans talent, ou que l'on méprisât le vice sans esprit. Mais donner: à l'un et à l'autre tout ce qu'il y a de plus capable d'éblouir, et pourtant amener le spectateur, en dernier résultat, à les condamner et à les flétrir, voilà ce qui est digne du plus beau de tous les arts. Si Tartufe étoit un maladroit sur la scène, l'hypocrite du parterre seroit rassuré, et diroit : J'en sais davantage. Mais il ne commet pas une faute; il est le plus fin et le plus avisé de tous les hommes, et pourtant il échoue. La conséquence est frappante : c'est que l'hypocrisie, malgré toutes ses ruses, est tôt ou tard confondue. De même, si l'auteur du Méchant veut faire tomber ce faux air de supériorité que donne si aisément la méchanceté, et qui fait que tant de sots s'efforcent d'être méchants, y réussira-t-il en ne donnant à son personnage ni agrément ni séduction? Vraiment, diroit chacun à part soi, ce n'est pas ainsi que la méchanceté peut réussir un tel homme n'est qu'odieux et dégoûtant; et le dégoût et l'indignation ne tomberoient que sur le personnage, et non pas sur son vice. Mais que fait l'artiste qui sait son métier, et qui a bien compris la loi que j'explique? Il sépare habilement le vice personnage vicieux ; il donne à celui-ci tous les avantages naturels qu'il peut avoir, et qui lui laissent dans le cadre dramatique la place distinguée qu'il doit occuper; et comme tous ces avantages ne le garantissent pas de l'opprobre qui l'accable à la fin de la pièce, quand il est reconnu pour ce qu'il est, il résulte que, plus il a montré de qualités estimables et de dehors heureux, plus le vice qui ternit tout inspire de mépris et d'aversion,

et le

LA HARPE. Cours de Littérature, t. XI.

Le Médisant.

LA rage de médire est une impertinence;
Dans notre vanité ce défaut prend naissance.
Du bonheur du prochain le tableau vous aigrit;
Le désir de briller, de montrer de l'esprit,

Vous met à la merci des oisifs d'une ville,

Et vous n'êtes méchant que pour paroître habile.
Mais que vous revient-il de ces fâcheux éclats?
On vous flatte tout haut, on vous blâme tout bas
Vos bons mots quelquefois font rire la sottise 2
Mais toujours l'honnête homme en secret vous méprise;
Il vous fuit: il vous voit, à sa perte attaché,
Lancer souvent le trait d'un perfide caché;
Insulter en riant nos mères et nos filles,
Détruire par un mot le bonheur des familles,
Et pour un jeu d'esprit, fruit de la vanité,
Condamner l'innocence, et flétrir la beauté.
Rien n'est sacré pour vous, et la reconnoissance
N'a jamais enchaîné l'affreuse médisance.
Dès qu'un homme est atteint de ce fatal penchant,
Il est tout glorieux de paroître méchant;
Nos chagrins sont pour lui de légers badinages;
Il s'amuse des pleurs, il sourit des outrages;
Pour un plaisir cruel, et qui dure un moment,
L'honneur et l'amitié lui parlent vainement.
Les médisants enfin sont une affreuse peste,
Qu'un homme de bon sens blâme, fuit, et déteste.
GOSSE. Le Médisant, act. I, sc. 14.

Les Moeurs de Sybaris.

LOIN que le Sybarite, en voltigeant sans cesse
Et d'objets en objets, et d'ivresse en ivresse,
Epure enfin son âme au feu des voluptés,
Las de tant de plaisirs rapidement goûtés,

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