Aux pieds de l'Eternel je viens m'humilier, Et goûter le plaisir de me faire oublier.
RACINE. Esther, act. Ier, sc. Ir.
Eruption du Vésuve, Famine et Contagion.
LE Vésuve en courroux sous ses monts caverneux, Recommence à mugir avec un bruit affreux, Et déchaîne, en poussant une épaisse fumée, Sur son gouffre tonnant, la tempête enflammée. Elle échappe soudain, et des sommets ouverts En colonne de feu s'élance dans les airs. Des foudres souterrains et des roches fondues La suivent jusqu'au ciel et retombent des nues. Le bitume et le soufre, épandus en torrents, Roulent sur la montagne, en sillonnent les flancs, Et, dans les creux vallons se traçant un passage, Des fleuves infernaux offrent l'horrible image. L'incendie a gagné les antiques forêts. Les animaux, fuyant dans les sentiers secrets,
Vingt fois, pour s'échapper, retournent sur leur trace; Partout la mort en feu les repousse et les chasse. On voit, loin du volcan et de leurs toits brûlants, Errer de toutes parts les pâles habitants; Et l'époux qui soutient sa moitié défaillante, Et du vieillard courbé la marche chancelante, Ét la mère qui croit dérober au trépas
Son fils, unique espoir, qu'elle tient dans ses bras. Inutiles efforts: les vagues irritées
Franchissent en grondant leurs rives dévastées; L'Apennin a tremblé jusqu'en ses fondements: La terre ouvre en tous lieux des abîmes fumants, Des plus fermes cités ébranle les murailles, Et les ensevelit au fond de ses entrailles.
Un jour, peut-être, un jour nos neveux attendris Découvriront enfin, sous de profonds débris,
Ces villes, ces palais, ces temples, ces portiques, De nos arts florissants monuments authentiques, Ainsi dans les remparts qu'Hercule avoit bàtis, Par un malheur semblable autrefois engloutis, Nous allons admirer de 'superbes ruines, Et de l'antiquité fouiller les doctes mines. Quel sera le destin de tant de malheureux Echappés par hasard à ce désastre affreux! De cendres, de cailloux une pluie enflammée Couvre tout le pays de feux et de fumée. Le laboureur a vu les trésors des sillons Sortir de ses greniers en brûlants tourbillons. En vain il cherche encor dans les arides plaines Ses buffles vigoureux, compagnons de ses peines; Ils ne reviendront plus d'un pas obéissant Sur ce sol calciné traîner le soc pesant. Nul secours, nul espoir ne s'offre à sa misère. Comment nourrir, hélas ! ses enfants et leur mère? Ira-t-il secouer le gland dans les forêts? Mais l'orage partout à fait tomber ses traits; Et les chênes, séchés jusque dans leurs racines, De ces lieux désolés ont accru les ruines. Alors parmi les feux, les laves, les tombeaux, La Famine apparoit; et, traînant ses lambeaux, Traverse les cités, rôde dans les villages: D'abord sous l'humble toit exerce ses ravages; Puis, des palais pompeux franchissant les degrés, Entre avec le Besoin sous les lambris dorés.
Dans l'air en même temps les sombres Euménides Soufflent de toutes parts leurs poisons homicides. Une fréquente toux, de longs étouffements, Sont du premier accès les signes alarmants. Dès la seconde aurore une brûlante haleine Du poumon embrasé ne s'échappe qu'à peine. La toux, du corps entier fait crier les ressorts, Et l'humeur, sans sortir, résiste à ses efforts.
Un feu séditieux étincelle au visage.
Le pouls, du sang à peine annonce le passage. La plus légère étoffe est un pesant fardeau. Une barre d'acier traverse le cerveau;
Et le mal, redoublant sa fureur intestine, Comme un affreux vautour déchire la poitrine. Après la triste nuit qu'allonge la douleur, La langue se noircit, le teint perd sa couleur, Le malade aux abois porte sur le visage De sa prochaine mort l'infaillible présage. Douce Espérance, alors tu quittes ses lambris ! Il n'entend plus sa femme, il ne voit plus ses fils. Son esprit égaré, que la fièvre tourmente, Erre sur le sommet d'une montagne ardente, Croit rouler dans un gouffre, et frémit de terreur En regardant au loin l'immense profondeur. A ce transport succède une stupeur mortelle. Le sang glacé s'arrête, et la foible prunelle Sous les doigts du trépas se fermant sans retour, Il meurt avant la fin du quatrième jour.
Dieux! qui reconnoîtroit ces campagnes fertiles? Des hameaux fortunés et d'opulentes villes, Des maisons qu'entouroient des bocages fleuris, Charmoient à chaque pas le voyageur surpris.
Deux fois sur les côteaux les brebis étoient pleines, Et les moissons deux fois jaunissoient dans les plaines; manne y distilloit. Les humains trop heureux
Y ployoient sous les fruits qui renaissoient pour eux; L'amour et le plaisir, enfants de l'abondance, Présidoient les concerts, animoient à la danse; Echo ne répétoit que les chants des bergers; Des vignes s'élevoient dans le sein des rochers; Le laurier, le jasmin, s'arrondissant en voûtes, De leur ombre odorante embellissoient les routes. C'étoit un grand jardin où de nombreux canaux Portoient de toutes parts la fraîcheur de leurs eaux.
Quel désastre imprévu! quelles terribles scènes ! Des torrents sulfureux, de brûlantes arènes, Tous les feux des enfers, tous les fléaux des cieux, En un vaste cercueil ont changé ces beaux lieux (1). CASTEL. Les Plantes, chant III.
Jugement des Rois en Egypte après leur
SÉSOSTRIS, le premier, heureux triomphateur, Dans l'Egypte étala des Rois chargés de chaînes ; Mais, dans ce vieux berceau des sciences humaines, O combien j'aime mieux ces fêtes où les lois A côté de leur tombe interrogeoient les Rois ! Quelle solennité plus grande, plus auguste! Malheur alors, malheur à tout Monarque injuste! Cités devant l'Egypte, aux yeux de l'Univers, Entre l'urne du peuple et l'urne des enfers, Entre la voix du siècle et les races futures, Leurs månes, arrêtés au bord des sépultures Pour entendre l'arrêt ou propice ou fatal, Comparoissoient sans pompe à ce grand tribunal. Là, plus de courtisans, de voix adulatrice; Où cessoit le pouvoir commençoit la justice.
Là, de l'homme indigent les pleurs long-temps perdus, Les cris des opprimés, étoient seuls entendus. Dans son dernier sujet le Roi trouvoit un juge; Le crime détrôné n'avoit plus de refuge, Et la Vérité sainte, auprès de leur tombeau, Aux torches de la mort allumoit son flambeau. Heureux alors, heureux qui, sous le diadême, D'avance avec rigueur s'étoit jugé lui-même!
(1) Comparez ce morceau avec la Peste d'Athènes, description en prose; et l'Epizootie de Virgile, Géorgiques, chant III, traduites par Delille; voyez aussi les Leçons Latines anciennes et modernes, même sujet.
Son nom étoit béni, son règne étoit absous.
Rois, ce grand tribunal n'existe plus pour vous!
Mais il existe encor des juges plus terribles!
Juges toujours présents, toujours incorruptibles, Dont rien ne peut fléchir l'inflexible équité: C'est votre conscience et la postérité (1).
DELILLE. L'Imagination, chant Vil.
.... Si dans ce jour une aveugle furie,, Prince, par ses clameurs n'attaquoit que ma vie, Celle qu'à la vengeance on veut sacrifier
Dédaigneroit le soin de se justifier.
Mais au Dieu dont je tiens ma force et mon courage, Guerrière, je dois rendre un noble témoignage; Je le dois, je le veux, et ma voix, sans détours, De ma vie à vos yeux va présenter le cours. Mon nom vous est connu.... .... Depuis que je suis née, L'hiver n'a pas vingt fois vu s'achever l'année. Sous un rustique toit Dieu cacha mọn berceau : Non loin de Vaucouleurs, quelques prés, un troupeau, Des auteurs de mes jours composoient la richesse; Le travail de leurs mains nourrissoit leur vieillesse. Docile à leurs leçons, heureuse à leur côté, Mon enfance croissoit dans la simplicité;
Et bergère, comme eux j'errois sur les montagnes, Chantant le nom du Dieu qui bénit les
campagnes. Chaque jour cependant, jusqu'à nous apportés,
Des bruits affreux troubloient nos hameaux attristés : On disoit qu'inondant et nos champs et nos villes, L'Anglais, à la faveur de nos haines civiles, Alloit bientôt, brisant nos remparts asservis, Saper les fondements du trône de Clovis,
(1) Voyez le même sujet en prose; et dans les Leçons Latines modernes, tom. II.
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