Et, de la Loire enfin franchissant la barrière, Sur les murs d'Orléans arborer sa bannière.... Des maux de mon pays en secret tourmenté, Tout mon cœur s'indignoit, jour et nuit agité; Et du bruit des combats, au milieu des prairies, Seule, j'entretenois mes longues rêveries.
Un soir (il m'en souvient) de la cime des monts L'orage, en s'étendant, menaçoit nos vallons; Tout fuyoit.... Près de là l'ombre d'un chêne antique Protégeoit du hameau la chapelle rustique :
J'y cours; et sur la pierre, où j'implorois les Cieux, Le sommeil, malgré moi, vint me fermer les yeux. Tout à coup, de splendeur et de gloire éclatante, Du céleste séjour une jeune habitante,
La boulette à la main, se montre devant moi : « Humble fille des champs, dit-elle, lève-toi ! Du Souverain des cieux l'ordre vers toi m'amène; Geneviève est mon nom. Les rives de la Seine Me virent, comme toi, conduire les troupeaux. Quand du fier Attila les funestes drapeaux Envoyoient la terreur aux deux bouts de la France, Ma voix, au nom du Ciel, promit sa délivrance. Le Ciel veut par ton bras l'accomplir aujourd'hui. Du trône des Français, va, sois l'heureux appui. Le Dieu qui, des bergers empruntant l'entremise, Jadis arma David, et dirigea Moïse,
Dans les murs de Fierbois, au pied des saints autels, Cacha, depuis long-temps, aux regards des mortels, Le glaive qui, remis aux mains d'une bergère, Doit briser les efforts d'une armée étrangère. En secret, éclairé par un avis des Cieux, Déjà Valois attend le bras victorieux Que suscite pour lui leur faveur imprévue. Pleine d'un feu divin, va t'offrir à sa vue ;
Marche: Orléans t'appellè au pied de ses remparts; Marche à ta voix l'Anglais fuira de toutes parts;
Et le temple de Rheims verra, dans son enceinte, Sur le front de ton Roi s'épancher l'huile sainte........... » L'Immortelle, à ces mots, remonte dans les airs, Et moi, le cœur ému de sentiments divers,
Je m'éveille incertaine, et n'osant croire encore Au choix trop éclatant dont l'Eternel m'honore. Mais trois fois, quand la nuit ramène le repos, Je vois les mêmes traits, j'entends les mêmes mots : « Humble fille des champs, lève-toi, Dieu t'appelle; Au Ciel, à ton pays, tremble d'être infidèle !............ » Je cède enfin : je pars, respirant les combats.... Le frère de ma mère accompagnoit mes pas. J'avois atteint le front des collines prochaines.... Là, muette et pensive, à nos bois, à nos plaines, Par un dernier regard j'adressai mcs adieux, Et le toit paternel disparut à mes yeux.........
(Jeanne d'Arc, un moment attendrie, s'arrête et se tait.) Au travers du trouble et du ravage,
Vers la cour de Valois le Ciel m'ouvre un passage. J'arrive on m'interroge, on doute de ma foi; Mais les pontifes saints ont rassuré mon Roi: Je parois à ses yeux. Sans crainte, sans audace, J'entre: un de ses guerriers est assis à sa place; Lui-même, au milieu d'eux, il siége confondu ; Mais un esprit céleste, à mes yeux descendu, Me le montroit du doigt, et planoit sur sa tête. J'approche; et, devant lui, je m'incline et m'arrête; Des Cieux, à haute voix, j'annonce les décrets.... « Oui, me dit-il, commande; et mes guerriers sont prêts A suivre sur tes pas l'ardeur qui les transporte. » Il dit; et de Fierbois à son ordre on m'apporte Le glaive qui bientôt doit venger les Français. Nous partons.... Mais pourquoi retracer nos succès ? Jeune et foible instrument de la faveur céleste, Je marchois, je parlois............. Dieu seul a fait le reste..........
D'AVRIGNY. Jeanne d'Arc à Rouen, act. III, sc. V.
A qui réserve-t-on ces apprêts meurtriers? Pour qui ces torches qu'on excite?
L'airain sacré tremble et s'agite....
D'où vient ce bruit lugubre? où courent ces guerriers, Dont la foule à longs flots roule et se précipite?
La joie éclate sur leurs traits;
Sans doute l'honneur les enflamme;
vont pour un assaut former leurs rangs épais; Non, ces guerriers sont des Anglais,
Qui vont voir mourir une femme.
Qu'ils sont nobles dans leur courroux ! Qu'il est beau d'insulter au bras chargé d'entraves! La voyant sans défense, ils s'écrioient, ces braves: « Qu'elle meure! elle a contre nous Des esprits infernaux suscité la magie.... » Lâches, que lui reprochez-vous ?
D'un courage inspiré la brûlante énergie, L'amour du nom français, le mépris du danger,
Voilà sa magie et ses charmes :
En faut-il d'autres que des armes
Pour combattre, pour vaincre et punir l'étranger?
Du Christ, avec ardeur, Jeanne baisoit l'image; Ses longs cheveux épars flottoient au gré des vents: Au pied de l'échafaud, sans changer de visage, Elle s'avançoit à pas lents.
Tranquille elle y monta; quand, debout sur le faîte, Elle vit ce bûcher qui l'alloit dévorer,
Les bourreaux en suspens, la flamme déjà prête, Sentant son cœur faillir, elle baissa la tête, Et se prit à pleurer.
Ah! pleure, fille infortunée! Ta jeunesse va se flétrir,
Dans sa fleur trop tôt moissonnée !
Adieu, beau ciel, il faut mourir !
Tu ne reverras plus tes riantes montagnes, Le temple, le hameau, les champs de Vaucouleurs ; Et ta chaumière, et tes compagnes,
Et ton père expirant sous le poids des douleurs.
Après quelques instants d'un horrible silence, Tout à coup le feu brille, il s'irrite, il s'élance.... Le cœur de la guerrière alors s'est ranimé ; A travers les vapeurs d'une fumée ardente, Jeanne encor menaçante,
Montre aux Anglais son bras à demi consumé. Pourquoi reculer d'épouvante?
Anglais, son bras est désarmé;
La flamme l'environne, et sa voix expirante Murmure encore: 0 France! ô mon Roi bien-aimé
Qu'un monument s'élève aux lieux de ta naissance, O toi, qui des vainqueurs renversas les projets ! La France y portera son deuil et ses regrets, Sa tardive reconnoissance;
Elle y viendra gémir sous de jeunes cyprès ; Puissent croître avec eux ta gloire et sa puissance!
Que sur l'airain funèbre on grave des combats, Des étendards anglais fuyant devant tes pas, Dieu vengeant par tes mains la plus juste des causes! Venez, jeunes beautés, venez, braves soldats ; Semez sur son tombeau les lauriers et les roses! 1 les
Qu'un jour le voyageur, en parcourant ces bois, Cueille un rameau sacré, l'y dépose, et s'écrie : A celle qui sauva le trône et la patrie,
Et n'obtint qu'un tombeau pour prix de ses exploits! Casimir DELAVIGNE.
C'ETOIT pendant l'horreur d'une profonde nuit; Ma mère Jésabel devant moi s'est montrée, Comme au jour de sa mort pompeusement parée. Ses malheurs n'avoient point abattu sa fierté;- Même elle avoit encor cet éclat emprunté, Dont elle eut soin de peindre et d'orner son visage, Pour réparer des ans l'irréparable outrage.
<< Tremble, m'a-t-elle dit, fille digne de moi! » Le cruel Dieu des Juifs l'emporte aussi sur toi. >> Je te plains de tomber dans ses mains redoutables, » Ma fille.» En achevant ces mots épouvantables, Son ombre vers mon lit a paru se baisser;
Et moi, je lui tendois les mains pour l'embrasser: Mais je n'ai plus trouvé qu'un horrible mélange D'os et de chair meurtris, et traînés dans la fange, Des lambeaux pleins de sang, et des membres affreux; Que des chiens dévorants se disputoient entre eux. Dans ce désordre à mes yeux se présente Un jeune enfant couvert d'une robe éclatante, Tel qu'on voit des Hébreux les prêtres revêtus. Sa vue a ranimé mes esprits abattus; Mais lorsque, revenant de mon trouble funeste, J'admirois sa douceur, son air noble et modeste, J'ai senti tout à coup un homicide acier Que le traître en mon seir a plongé tout entier. De tant d'objets divers le bizarre assemblage Peut-être du hasard vous paroît un ouvrage : Moi-même quelque temps, honteuse de ma peur, Je l'ai pris pour l'effet d'une sombre vapeur : Mais de ce souvenir mon âme possédée
A deux fois, en dormant, revu la même idée; Deux fois mes tristes yeux se sont vus retracer Ce même enfant toujours tout prêt à me percer. 2.-14.
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