En mots entrecoupés, de loin, tout hors d'haleine, Je m'écrie : « Arrêtez.! sauvez, sauvez la Reine; Grâce, pardon : je viens, je parle au nom du Roi. » Ils ue m'ont répondu que par un cri d'effroi. A ces clameurs succède un plus affreux silence; J'interroge on se tait. Je frémis, je m'avance: Je lis dans tous les yeux ; je ne vois que des pleurs : Un deuil universel remplissoit tous les cœurs. J'étois glacé de crainte ; et cependant la foule S'entr'ouvre, me fait place, et lentement s'écoule : J'arrive au lieu fatal, j'appelle.....: Il n'est plus temps, O Reine, j'aperçois vos restes palpitants! J'ai vu sou sang, j'ai vu cette tête sacrée D'un corps inanimé maintenant séparée. Ses yeux, environnés des ombres de la mort, Sembloient vers ce séjour se tourner sans effort; Ses yeux où la vertu répandoit tous ses charmes, Ses yeux encor mouillés de leurs dernières larmes. Femmes, enfants, vieillards, regardoient en tremblant Ces augustes débris, ce front pâle et sanglant. Des vengeances des lois l'exécuteur farouche, Lui-même consterné, les sanglots à la bouche, Détournoit ses regards d'un spectacle odieux, Et s'étonnoit des pleurs qui tomboient de ses yeux. Mille voix condamnoient des juges homicides. J'ai vu des citoyens baisant ses mains livides, Raconter ses bienfaits, et, les bras étendus, L'invoquer dans le ciel, asyle des vertus.
Au milieu de l'opprobre on lui rendoit hommage. Chacun tenoit sur elle un différent langage, Mais tous la bénissoient; tous, avec des sanglots, De ses derniers discours répétoient quelques mots. Elle a parlé d'un frère, honneur de sa famille, Du Roi, de vous, Madame, et surtout de sa fille. A ses tristes sujets, elle a fait ses adieux, Et son âme innocente a monté vers les cieux.
CHENIER. Henri VIII, act.V, sc. V.
La Mort des Templiers.
UN immense bûcher, dressé pour leur supplice, S'élève en échafaud, et chaque chevalier
Croit mériter l'honneur d'y monter le premier ; Mais le grand-maître arrive; il monte, il les devance, Son front est rayonnant de gloire et d'espérance; Il lève vers les cieux un regard assuré : Il prie, et l'on croit voir un mortel inspiré, D'une voix formidable aussitôt il s'écrie :
<< Nul de nous n'a trahi son Dieu, ni sa patrie; Français, souvenez-vous de nos derniers moments Nous sommes innocents, nous mourrons innocents, L'arrêt qui nous condamne est un arrêt injuste; Mais il est dans le ciel un tribunal auguste Que le foible opprimé jamais n'implore en vain, Et j'ose t'y citer, ô Pontife Romain!
Encor quarante jours !..... je t'y vois comparoître. » Chacun en frémissant écoutoit le grand-maître. Mais quel étonnement, quel trouble, quel effroi, Quand il dit : «< O Philippe, ô mon maître, ô mon Roj! Je te pardonne en vain, ta vie est condamnée ;'
Au tribunal de Dieu je t'attends dans l'année. »
Les nombreux spectateurs, émus et consternés Versent des pleurs sur vous, sur ces infortunés, De tous côtés s'étend la terreur, le silence. 'Il semble que du Ciel descende la vengeance. Les bourreaux'interdits n'osent plus approcher; Ils jettent en tremblant le feu sur le bûcher, Et détournent la tête..... Une fumée épaisse Entoure l'échafaud, roule et grossit sans cesse ; Tout à coup le feu brille : à l'aspect du trépas Ces braves chevaliers ne se démentent pas. On ne les voyoit plus; mais leurs voix héroïques Chantoient de l'Eternel les sublimes cantiques:
Plus la flamme montoit, plus ce concert pieux S'élevoit avec elle, et montoit vers les cieux.
Votre envoyé paroît, s'écrie...... Un peuple immense, Proclamant avec lui votre auguste clémence, Auprès de l'échafaud soudain s'est élancé....
Mais il n'étoit plus temps.... les chants avoient cessé. RAYNOUARD. Les Templiers,
Sophocle accusé par ses fils.
MAIS l'univers appelle à des travaux plus vastes Celui qui, de l'histoire interrogeant les fastes, Aux accents de son luth, avec sévérité, Proclame les arrêts de la postérité.
Il honore où flétrit, accuse ou divinise : A sa voix la vertu triomphe et s'éternise; Au tribunal du monde il cite les pervers;
Il condamne leurs noms à vivre dans ses vers. La vertueuse horreur de sa Muse irritée Poursuit jusqu'aux enfers leur ombre épouvantée; Et son vers indigné, tonnant pour les punir, Frappe d'un long effroi les tyrans à venir. Tantôt, armant son bras du fer de Melpomène, Il réveille à nos yeux, sur la tragique scène, Les forfaits endormis au fond des noirs tombeaux. Tantôt il peint des traits plus généreux, plus beaux, Et, saisissant l'effet d'un contraste sublime,
Embellit la vertu de la laideur du crime.
Dieu! comme à ces tableaux, de moment en moment, S'élève dans le cirque un doux frémissement ! O pouvoir du génie ! il subjugue, il enchaîne Tout un peuple attentif et respirant à peine.
Mais d'un exemple auguste animons nos récits. Sophocle avoit des fils dont les cœurs endurcis, Avides d'envahir son tardif héritage,
D'un vieillard importun accusoient le long âge.
Ils feignent que leur père, indigne de son art, N'agit, ne pense plus, ne vit plus qu'au hasard, Et que de sa raison, par les ans affoiblie, Le flambeau pâlissant s'éteint avec sa vie. Sophocle est accusé par ses enfants ingrats; Et Sophocle est conduit devant les magistrats. Calme parmi les flots d'un nombreux auditoire, Il s'avance escorté de soixante ans de gloire. On l'interroge; alors levant avec fierté Un front où luit déjà son immortalité:
« Entre mes fils et moi que l'équité prononce; » Sages Athéniens, écoutez ma réponse. » Il dit, et fait entendre à ses juges surpris Le dernier, le plus beau de ses nobles écrits: Il lit dipe! il lit, et sa froide vieillesse
Se réchauffe un instant des feux de la jeunesse. Ces longs cheveux blanchis, cette imposante voix, Ce front qu'un peuple ému couronna tant de fois, Portent dans tous les coeurs une terreur sacrée; Le juge est attendri, la foule est enivrée; Ses fils même, ses fils tombent à ses genoux.... Les pleurs ont prononcé, le grand homme est absous. MILLEVOIE. Les Plaisirs du Poëte.
Le mortel Plutus a constamment suivi, Qui de la main d'Hébé s'est toujours vu servi, Que jamais le besoin et la faim importune Ne sont venus chercher au sein de la fortune, Celui-là, mes amis, inhabile à jouir, Peut-être ne sent pas tout le prix du plaisir; Il n'éprouve jamais, endormi dans le faste, Ce sentiment exquis que fait naître un contraste. Il faut, loin des palais où languit le bonheur, Avoir bu quelquefois le vin du voyageur;
Avoir, en fugitif, surpris par la misère, Partagé le pain noir pétri dans la chaumière. Alors, quand le destin vous présente au hasard Un banquet embelli des prestiges de l'art, Ce bien inattendu double vos jouissances; Vous savourez l'oubli des plus vives souffrances; L'orage rend plus pur l'heureux jour qui le suit. J'ai connu ce plaisir que le malheur produit. Naguère, dans ce temps de mémoire fatale, Où le crime planoit sur ma terre natale, Effrayé, menacé par ce monstre cruel, Forcé d'abandonner le banquet paternel,` Je cherchai mon salut dans ces rangs militaires
Formés par la terreur, et pourtant volontaires :
Je m'armai tristement d'un fusil inhumain,
Qui jamais, grâce au Ciel, n'a fait feu dans ma main. Je me chargeai d'un sac, humble dépositaire
De tout ce qui devoit me rester sur la terre.
Ainsi nouveau Bias, je partis accablé
Du poids de tout mon bien sur mon dos rassemblé. Adieu, joyeux dîners, soupers plus gais encore, Doux propos et bons mots que le vin fait éclore; Adieu, friands apprêts, gibier, pâtés dorés, Au foyer domestique avec soin préparés !..... Je suivis à pas lents des routes parsemées D'innombrables soldats entraînés aux armées. Que de tristes festins nous attendoient le soir! Le pain du fournisseur étoit-il assez noir, Son bouillon assez clair, et son vin assez rude! Partout, à notre aspect, la sombre inquiétude Veilloit autour de nous; nos hôtes consternés Fermoient leur basse-cour, espoir de leurs dînés. A l'hospitalité condamnés par un maire, L'eau, le feu, le couvert, une foible lumière, Un lit où trois soldats devoient se réunir,
Etoient les seuls secours qu'ils daignoient nous fournir.
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