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Nous gagnions lentement la terre d'Italie......
Le Ciel me fit trouver sur la route une amie.....

On n'avoit point encor dévasté son manoir;
Elle attendoit son tour,
elle devoit l'avoir;
Elle osoit aux brigands disputer son domaine,
Et mettoit à profit sa fortune incertaine.
Je l'embrasse, et bientôt je me sens soulagé
Du sac et du fusil dont j'étois surchargé.
Tous les soins délicats que l'amitié prodigue,
S'empressent de me faire oublier ma fatigue.
Le souper se prépare et s'annonce de loin.....
Passagère faveur dont j'avois grand besoin!
L'abondance est unie à la délicatesse :

La truffe a parfumé la poularde de Bresse;

Un vin blanc qu'a donné le sol de Saint-Perret,
Pour réchauffer mon sein sort d'un caveau secret :

Je me sens ranimé de ses feux salutaires;
Je bois à mon amie, aux mœurs hospitalières :
Je ne suis plus soldat, je règue, je suis Roi,
Et déjà la terreur disparoît devant moi.

BERCHOUX. La Gastronomie.

Le Czar à l'hôtel des Invalides.

VERS les bords où la Seine, abandounant Paris,
Semble de ces beaux lieux, où son onde serpente,
S'éloigner à regret et ralentir sa pente,

D'un immense palais le front majestueux,
Arrondi dans la nue en dôme somptueux,
S'élève et peuple au loin la rive solitaire.
Pierre y porte ses pas. La pompe militaire
Des tonnerres d'airain, des gardes, des soldats,
Tout présente à ses yeux l'image des combats:
Mais cet éclat guerrier orne un séjour tranquille
« Tu vois de la Valeur, tu vois l'auguste asyle,

Lui dit Le Fort: jadis, pour soutenir ses jours,
Réduit à mendier d'avilissants secours,
Dans un pays ingrat, sauvé par son courage,
Le guerrier n'avoit pas, au déclin de son âge,·
Un asyle pour vivre, un tombeau pour mourir :
L'Etat qu'il a vengé daigne enfin le nourrir.
Louis à tous les Rois y donne un grand exemple. »

<< Entrons », dit le héros. Tous étoient dans le temple. C'étoit l'heure où l'autel fumoit d'un pur encens; Il entre, et de respect tout a frappé ses sens. Ces murs religieux, leur vénérable enceinte, Ces vieux soldats épars sous cette voûte sainte, Les uns levant au ciel leurs fronts cicatrisés, D'autres, flétris par l'âge et de sang épuisés, Sur leurs genoux tremblants pliant un corps débile, Ceux-ci courbant un front saintement immobile, Tandis qu'avec respect sur le marbre inclinés, Et plus près de l'autel quelques uns prosternés, Touchoient l'humble pavé de leur tête guerrière, Et leurs cheveux blanchis rouloient sur la poussière. Le Czar avec respect les contempla long-temps.

"

Que j'aime à voir, dit-il, ces braves combattants!
Ces bras victorieux, glacés par les années,

Quarante ans, de l'Europe ont fait les destinées.
Restes encor fameux de tant de bataillons,

De la foudre sur vous j'aperçois les sillons.
Que vous me semblez grands! Le sceau de la victoire
Sur vos ruines même imprime encor la gloire;
Je lis tous vos exploits sur vos fronts révérés :
Temples de la Valeur, vos débris sont sacrés. »

1

Bientôt ils vont s'asseoir dans une enceinte immense,

Où d'un repas guerrier la frugale abondance
Aux dépens de l'Etat satisfait leur besoin.
Pierre de leur repas veut être le témoin.

Avec eux dans la foule il aime à se confondre,
Les suit, les interroge; et, fiers de lui répondre,

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De conter leurs exploits, ces antiques soldats
Semblent se rajeunir au récit des combats;

Son belliqueux accent émeut leur fier courage.

« Compagnons, leur dit-il, je viens vous rendre hommage;
Car je suis un guerrier, un soldat comme vous. »
D'un regard attentif ils le contemploient tous,
Et son front désarmé leur parut redoutable.

Tout à coup le Monarque approchant de leur table,
Du vin dont leurs vieux ans réchauffoient leur langueur,
Dans un grossier crystal épanche la liqueur;
Et, la coupe à la main, debout, la tête nue:
<< Mes braves compagnons, dit-il, je vous salue ! »
Il boit en même temps. Les soldats attendris,
A ce noble étranger répondent par des cris.
Tous ignoroient son nom, son pays, sa naissance;
Mais de son fier génie ils sentoient la puissance.
Leur troupe avec honneur accompagne ses pas:
Son
rang est inconnu, sa grandeur ne l'est pas.
THOMAS. Pétréide.

TABLEAUX,

Soyez simple avec art,

Sublime sans orgueil, agréable sans fard,
BOILEAU, Art poét., ch. I.

PRÉCEPTES DU GENRE,

ET MODÈLE d'exercice.

Artifice du poète dans son style et dans ses vers.

DESCENDONS de plus en plus dans les détails. Ce sont les détails qui instruisent : c'est là qu'on voit principalement le grand artiste. Les mêmes couleurs appartiennent à tous les peintres; cependant un peintre médiocre ne fera pas la copie d'un excellent original, comme Rubens ou Raphaël auroient fait celle d'un tableau médiocre. Ce sera même dessin, mêmes couleurs dans les originaux et dans les copies: mais la copie du bon, faite par le peintre médiocre, vaudra moins que son original; et la copie du médiocre, faite par le bon peintre, vaudra beaucoup mieux. Pourquoi? Il résulte de la touche de l'artiste une perfection qui est insensible dans chacune des parties, et frappante dans le tout. Donnons à un poëte médiocre le plan du Lutrin, crayonné jusque dans ses moindres parties; en fera-t-il ce que Despréaux en a su faire? On lui donneroit jusqu'aux expressions, qu'il les arrangeroit de manière à enlaidir toutes les pensées. Il ne sentiroit pas, comme Despréaux, le pouvoir d'un mot mis en sa place; et,

faute de certaines constructions, de certaines liaisons, le sens seroit contrefait, louche, la verve languissante, et par conséquent l'effet des tableaux manqué. Qu'est-ce donc qu'a fait Despréaux ?

Il n'a employé que des pensées vraies, justes, naturelles, mais qui se suivent, s'engendrent successivement et se poussent sans interruption, comme les flots. Voici une de ses descriptions : c'est ce qu'il y a de plus lent dans tout ouvrage d'esprit :

Dans le réduit obscur d'une alcôve enfoncée,
S'élève un lit de plume à grands frais amassée.
Quatre rideaux pompeux, par un double contour,
En défendent l'entrée à la clarté du jour.
Là, parmi les douceurs d'un tranquille silence,
Règne sur le duvet une heureuse indolence.
C'est là que le Prélat, muni d'un déjeuner,
Dormant d'un léger somme, attendoit le dîner.
La jeunesse en sa fleur brille sur son visage;
Son menton sur son sein descend à double étage,
Et son corps, ramassé dans sa courte grosseur,
Fait gémir les coussins sous sa molle épaisseur.

Denys d'Halicarnasse donne pour règle, quand il s'agit de juger de la bonté des vers, que tout y soit aussi serré, aussi coulant, aussi juste, aussi uni que dans la prose. Or, quel écrivain, usant de la liberté de la prose, pourroit se flatter de rendre mieux et plus naturellement cette peinture?

:

dire ce que

Les mots sont admirablement choisis pour l'on veut dire. Réduit marque un lieu écarté, isolé, bien clos. Obscur il le falloit pour y mieux dormir jusqu'au grand jour. Une alcove enfoncée : c'est une retraite profonde, la retraite même du sommeil et de la mollesse. S'élève, au commencement du vers, présente l'idée d'un duvet léger, rebondi. A grands frais amassée, ce duvet est si fin! quel temps, quelle dépense, pour former cet amas qui s'enfle et s'élève mollement? Tout n'est pas fait enassurer le repos du Prélat. Quatre rideaux, qui

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