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se croisent, mais de ces rideaux amples et étoffés. Pompeux est placé à l'hémistiche, pour y reposer l'oreille et l'esprit, et faire sur eux une impression plus grande. Défendent l'entrée, quelle fierté! défendre au jour de venir troubler, par sa clarté, le sommeil du prélat. Là, parmi les douceurs d'un tranquille silence. Rien n'est si doux, si paisible que ce vers, la rime en est fondante. Le suivant n'est pas moins beau: Règne sur le duvet une heureuse indolence. Ce n'est pas un homme indolent, c'est l'indolence même, et une heureuse indolence qui règne, qui jouit de tout le bonheur qu'on se figure attaché à la Royauté. Cette analyse suffit pour faire voir quelle est la justesse et l'énergie pittoresque des mots.

Il y a de même des tours qui sont d'une force et d'une naïveté singulières. Pour ne point multiplier les exemples, quoi de plus naïf que cette liaison: Là, parmi les douceurs; et deux vers après : c'est là que le prélat! cet arrangement montre le lieu et fait voir le prélat.

Il y a la peinture des détails, qui, montrant les parties de certains objets, semble multiplier les objets mêmes, les presser, les chasser l'un par l'autre.

Il y a une sorte de mélodie qui consiste dans le choix de certains sons, et dans leurs combinaisons, conformes à la nature de l'objet exprimé.

Il y a le nombre, ou la distribution, des repos, conformes aux besoins de l'esprit, de la respiration et de l'oreille.

Enfin, il y a l'harmonie artificielle du vers, qui a des règles de goût et des règles d'art.

Celles de goût consistent, en français, dans le choix des sons, surtout de ceux qui se retrouvent au repos et aux finales: et qui seront doux ou durs, éclatants ou sourds, pompeux ou tristes, moelleux ou maigres, selon l'objet; dans le choix des syllabes longues ou brèves, et dans la place qu'on leur donne : par exemple, il est bien dans ce vers, règne sur le duvet, que la première de 2. — 14

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règne soit longue : que dans le reste du même vers, d'une heureuse indolence, heureuse fasse deux longues, qu'indolence fasse une brève entre deux longues, mais dont la dernière soit beaucoup plus longue que la première. Il en est de même du mot s'élève : la première est très-brève, et la seconde, qui est longue, semble s'élever sur elle. Il en cst de même du mot enfoncée, dont la dernière semble reculer. On trouvera ce détail poussé trop loin; mais pourquoi le lecteur ne l'observeroit-il point, puisque l'auteur l'a fait pour être senti et observé? Le vers est beaucoup mieux de cette manière que d'une autre ; et il est mieux par la raison qu'on vient d'indiquer. C'est ce que nous avons appelé la touche du peintre, pour laquelle il est vrai qu'il n'y a point d'art ni de règles : mais quand cette perfection se trouve dans un ouvrage, l'art doit au moins le remarquer, et tâcher de le faire remarquer à ceux qui cherchent à la connoître. Enfin, c'est par là que Virgile et Homère sont ce qu'ils sont. C'est là ce qui fait la verve, le charme de leur poésie; par cọnséquent on ne sauroit entrer dans de trop petits détails pour s'instruire.

AVANT

LE BATTEUX. Principes de Littérature, t. II,

Bienfaits de la Poésie.

que la raison, s'expliquant par la voix,
Eût instruit les humains, eût enseigné des lois,
Tous les hommes suivoient la grossière nature,
Dispersés dans les bois, couroient à la pâture;
La force tenoit lieu de droit et d'équité;
Le meurtre s'exerçoit avec impunité.
Mais du discours, enfin, l'harmonieuse adresse
De ces sauvages moeurs adoucit la rudesse,
Rassembla les humains dans les forêts épars,
Enferma les cités de murs et de
remparts,

De l'aspect du supplice effraya l'insolence,

Et sous l'appui des lois mit la foible innocence.
Cet ordre fut, dit-on, le fruit des premiers vers.
De là sont nés ces bruits reçus dans l'univers,

Qu'aux accents dont Orphée emplit les monts de Thrace
Les tigres amollis dépouilloient leur audace;
Qu'aux accords d'Amphion les pierres se mouvoient,
Et sur les murs Thébains en ordre s'élevoient.
L'harmonie en naissant produisit ces miracles.
Depuis, le Ciel en vers fit parler les oracles:
Du sein d'un prêtre, ému d'une divine horreur,
Apollon par des vèrs exhala sa fureur.

Bientôt, ressuscitant les héros des vieux âges,
Ilomère aux grands exploits anima les courages.
Hésiode, à son tour, par d'utiles leçons,

Des champs trop paresseux vint hâter les moissons.
En mille écrits fameux la sagesse tracée,
Fut, à l'aide des vers, aux mortels annoncée;
Et partout, des esprits ces préceptes vainqueurs,
Introduits par l'oreille, entrèrent dans les coeurs.
Pour tant d'heureux bienfaits les Muses révérées
Furent d'un juste encens dans la Grèce honorées;
Et leur art, attirant le culte des mortels,
A sa gloire en cent lieux vit dresser des autels (1).
BOILEAU. Art poét., ch. IV.

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Invention et Naissance des Arts.

POUR prolonger des jours destinés aux douleurs,
Naissent les premiers arts, enfants de nos malheurs.
La branche en longs éclats cède au bras qui l'arrache:
Par le fer façonnée, elle allonge la hache,

L'homme avec son secours, non sans un long effort,
Ebranle et fait tomber l'arbre dont elle sort.

(1) Voyez les Leçons Latines anciennes et modernes tom. II.

Et tandis qu'au fuseau la laine obéissante
Suit une main légère, une main plus pesante
Frappe à coups redoublés l'enclume qui gémit;
La lime mord l'acier, et l'oreille en frémit.
Le voyageur qu'arrête un obstacle liquide,
A l'écorce d'un bois confie un pied timide.
Retenu par la peur, par l'intérêt pressé,
Il avance en tremblant : le fleuve est traversé.
Bientôt ils oseront, les yeux vers les étoiles,
S'abandonner aux mers sur la foi de leurs voiles.
Avant que dans les pleurs ils pétrissent leur pain,
Avec de longs soupirs ils ont brisé le grain.

Un ruisseau par son cours, le vent par son haleine,
Peut à leurs foibles bras épargner tant de peine;
Mais ces heureux secours, si présents à leurs yeux,
Quand ils les connoîtront, le monde sera vieux.
Homme né pour souffrir, prodige d'ignorance,
Où vas-tu donc chercher ta stupide arrogance (1)?
RACINE le fils. La Religion, ch. III.

Philosophie de Newton.

Le charme tout-puissant de la philosophie Elève un esprit sage au-dessus de l'envie..

Tranquille au haut des cieux que Newton s'est soumis,
Il ignore en effet s'il a des ennemis.

Je ne les entends plus. Déjà de la carrière
L'auguste vérité vient m'ouvrir la barrière;
Déjà ces tourbillons, l'un par l'autre pressés,
Se mouvant sans espace, et sans règle entassés,
Ces fantômes savants à mes yeux disparoissent;
Un jour plus pur me luit, les mouvements renaissent.

(1) Rapprochez ce tableau et les deux suivants de celui en prose, Origine et mobiles de l'industrie humaine. Voyez aussi les Leçons Latines anciennes, tom. II.

L'espace, qui de Dieu contient l'immensité,
Voit rouler dans son sein l'univers limité,
Cet univers si vaste à notre foible vue,

Et qui n'est qu'un atome, un point dans l'étendue.
Dieu parle, et le chaos se dissipe à sa voix ;
Vers un centre commun tout gravite à la fois.
Ce ressort si puissant, l'âme de la nature,
Etoit enseveli dans une nuit obscure;

Le compas de Newton, mesurant l'univers,
Lève enfin ce grand voile, et les cieux sont ouverts.

Il découvre à mes yeux, par une main sayante,
De l'astre des saisons la robe étincelante :
L'émeraude, l'azur, le pourpre, le rubis,
Sont l'immortel tissu dont brillent ses habits.

Chacun de ses rayons, dans sa substance pure,
Porte en soi la couleur dont se peint la nature,
Et confondus ensemble ils éclairent nos yeux,
Ils animent le monde, ils emplissent les cieux.

Confidents du Très-Haut, substances éternelles,
Qui brûlez.de ses feux, qui couvrez de vos ailes
Le trône où votre maître est assis parmi vous,
Parlez, du grand Newton n'étiez-vous pas jaloux ?~
La mer entend sa voix. Je vois l'humide empire
S'élever, s'avancer vers le ciel qui l'attire ;
Mais un pouvoir central arrête ses efforts;
La mer tombe, s'affaisse, et roule vers ses bords.
Comètes, que l'on craint à l'égal du tonnerre,
Cessez d'épouvanter les peuples de la terre;
Dans une ellipse immense achevez votre cours;
Remontez, descendez près de l'astre des jours;
Lancez vos feux, volez, et revenant sans cesse 2
Des mondes épuisés ranimez la vieillesse.

Et toi, sœur du soleil, astre qui, dans les cieux Des sages éblouis trompois les foibles yeux, Newton de ta carrière a marqué les limites; Marche, éclaire les nuits; tes bornes sont prescrites.

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