tabilité disparaît d'autant plus vite que les phénomènes chimiques sont plus intenses. Les corps inorganiques dont la stabilité chimique est presque absolue ont une durée presque indéfinie. Le protoplasme amorphe et les êtres monocellulaires sont déjà exposés à des chances plus nombreuses de dissolution. Les tissus épithéliaux maintiennent leur existence assez longtemps en comparaison des tissus perfectionnés, comme ceux du muscle et du nerf. La substance nerveuse enfin est plus altérable que le tissu musculaire, et même toutes les parties du système nerveux ne meurent pas également vite; ce sont les centres nerveux supérieurs, où l'énergie chimique paraît être plus considérable encore que dans la moelle, qui perdent le plus rapidement leurs propriétés. - Il y a donc comme une échelle d'irritabilité et, par suite, une échelle de vie : fait inexplicable, si on ne veut en voir la cause dans les degrés de différenciation, c'est-à-dire de complication, des éléments anatomiques. Le tissu nerveux est le plus compliqué de tous les tissus; par suite l'instabilité chimique de sa substance est très grande, la faculté de réaction de ses éléments très développée, leur vie très active. Ainsi l'instabilité de la substance organisée, du protoplasma cellulaire, telle est la cause première de l'irritabilité et par conséquent de tous les phénomènes vitaux. Partout où la matière demeure moléculairement invariable, on n'a jamais vu trace de propriétés vitales. Et, supposé un corps où sont celles-ci, jamais on ne les a vues se maintenir quand l'équilibre, pour quelque raison que ce soit, s'est établi entre le liquide intérieur des cellules et le liquide extérieur qui les baigne. Dès lors il n'y a plus d'échanges nutritifs. L'endosmose s'arrête. La mort ne tarde pas à survenir. La disparition de cet état singulier d'équilibre instable fait disparaître l'irritabilité. Quelle étroite corrélation entre l'organisation, l'intensité des phénomènes chimiques et l'irritabilité! Du rapport intime de ces trois phénomènes entre eux résulte leur dépendance réciproque, d'où résulte la vie. Aussi toutes les irritations usent-elles la vie. Tout ce qui met en jeu l'irritabilité la détruit au bout d'un temps plus ou moins long. C'est que l'exercice de cette propriété, on le sait, entraîne une usure de matériaux. De là, pour que la vie se maintienne, la nécessité d'une réparation incessante. La mort d'un tissu n'est pas autre chose qu'un trouble permanent dans son organisation anatomique, physique et chimique. La vie, au contraire, est une succession ininterrompue de troubles passagers; les actions chimiques, sans cesse renouvelées, entretiennent l'irritabilité et conservent l'organisation. Il existe donc une singulière relation entre l'irri tabilité et ce que Ch. Robin a appelé très heureusement la rénovation moléculaire continue, d'un mot la nutrition. Mais on ne peut voir dans la nutrition qu'un ensemble de phénomènes chimiques. D'autre part, on a vu déjà que la nutrition suppose l'irritabilité. De sorte qu'on saisit encore ici ce caractère si particulier des phénomènes vitaux, la réciprocité et la simultanéité d'action de deux ou plusieurs de ces phénomènes, ce qui constitue la loi d'harmonie de Marey. Rien d'ailleurs de mystérieux dans cette sorte de cercle vicieux. Etant donnée la complexité des substances protéiques, l'instabilité de la matière organisée se produit nécessairement. De là vient la capacité de réagir même à de très faibles excitations, ou irritabilité. Par conséquent un corps qui contient des substances propres à entrer dans la constitution d'un élément organique quelconque sera pour cet élément un irritant, tout comme les agents physiques, tels que la chaleur et la lumière. Mais en vertu des combinaisons chimiques qui se font si aisément dans la matière organisée, l'élément retiendra et s'assimilera les parties du corps étranger identiques à sa substance, et ainsi, continuant à disposer des matériaux nécessaires à son activité, pourra manifester de nouveau son irritabilité. Il n'y a pas de raison pour que ce processus ne s'établisse pas d'une façon définitive. C'est ce qui est arrivé dans certaines conditions favorables, puisqu'il y a des êtres, en grand nombre, qui se nourrissent régulièrement, c'est-à-dire maintiennent leur constitution physico-chimique pendant un certain temps. On ne comprend même pas pourquoi la rénovation moléculaire ne continue pas indéfiniment, c'està-dire pourquoi la mort arrive. A priori, en effet, on ne voit pas de raison contradictoire à cette continuité persistante de la nutrition et de l'irritabilité, ainsi que semble l'avoir pressenti Descartes1; on conçoit au contraire à merveille, étant donnée la facilité de réaction des éléments anatomiques, qu'il se pourrait que la réparation compensat exactement l'usure. Aussi peut-on croire que la mort ne tient pas essentiellement à la vie et ne faut-il sans doute chercher à l'expliquer que par des raisons purement accidentelles. Toutes les actions vitales paraissent soumises à une loi qu'on peut appeler la loi du rythme, qui s'établit en vertu de la dépendance réciproque de l'irritabilité et de la nutrition. Comme la matière organisée est dans un état trèsgrand d'instabilité, la moindre excitation altère sa constitution, mais la réparation n'est pas moins facile. Il se produit ainsi des déséquilibrations successives et incessantes, entre lesquelles un certain ordre peut s'établir, de telle façon qu'à un moment l'assimilation l'emporte, à un autre moment la désassimilation. D'où le fait important de la périodicité des phénomènes vitaux. Vue d'un peu haut, la vie présente deux grandes phases, l'une d'activité, la veille, l'autre de repos ou de réparation, le sommeil. Et toutes les fonctions s'accomplissent suivant ce rythme. On comprend dès lors que dans ce fonctionnement, somme toute très délicat en raison de l'union étroite et de la solidarité de toutes les parties organiques, la compensation puisse ne pas s'établir toujours exactement entre l'usure et la réparation. Ils'ensuit des causes de déchéance qui persistent dans les tissus et dans leurs fonctions. Mais on ne peut a priori trouver à ces germes de mort aucune nécessité interne, inhérente aux éléments vivants. Il est clair qu'on ne saurait développer ici cette théorie. 1. Schwann, l'auteur de la théorie cellulaire, aurait eu aussi la même idée, d'après ce que rapporte J. Delbœuf dans son livre si riches d'idées: La matière brute et la matière vivante (Paris, 1887, p. 1). Dans ce livre Delbœuf luimême pose la question comme moi: il se demande, non pas pourquoi nous mourons, mais pourquoi nous ne continuons pas de vivre, et en définitive il ne trouve à la mort qu'une explication contingente : <<< La mort est une conséquence de la localisation des fonctions, celles-ci se localisent dans un mécanisme, lequel, une fois formé, n'est pas susceptible de se reformer intégralement; pendant la vie, il va s'usant sans trêve ni répit à la longue il est mis hors d'usage et l'on meurt » (p. 95). Mais, ajouterai-je, rien ne prouve qu'il y ait à cette usure quelque cause nécessaire, dans la nature même du mécanisme animal, Ainsi la persistance de la vie est dans le rapport le plus étroit avec la persistance de l'irritabilité. Mais, qu'on le remarque, c'est toujours l'irritabilité qui est le fait premier. La rénovation moléculaire assure la persistance de la propriété, mais ne fait pas naître celle-ci. Cette propriété dépend de la constitution physico-chimique de la matière organisée; |