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seulement Glisson dénomme le premier l'irritabilité, mais aussi qu'il l'attribue aux tissus, par exemple aux fibres du cœur, et qu'il la reconnaît jusque dans les os et dans les liquides du corps. La tendance à expliquer les actes de toutes les parties de l'organisme par une propriété générale, commune à toutes ces parties, est ici bien manifeste.

Mais il ne convient pas moins de remarquer que cette théorie rudimentaire de l'irritabilité est rattachée par son auteur à une théorie de la matière; Glisson explique en effet l'irritabilité par les trois facultés, perceptive, appétitive et motrice, qu'il admet dans toute la matière, comme dans toutes les parties des animaux. Les parties vivantes, sous l'influence des impressions, se contractent et se dilatent successivement; l'aptitude à ces mouvements, c'est ce qui constitue l'irritabilité. Mais le mouvement ne se comprend pas sans tendance vers une fin, c'est-à-dire sans appétition, et la tendance ne serait pas possible, si la fin n'était à quelque degré perçue. Qu'on note ces mots : à quelque degré, car Glisson admet des degrés dans ces facultés et dans leur exercice. Partout il retrouve les trois facultés de perception, appétition et mouvement. Ces facultés ne dépendent pas d'une âme de la nature, mais de propriétés vitales qui appartiennent à la matière. Car c'est un préjugé que de « regarder la matière comme une chose stupide et inerte, un je ne sais quoi tout passif, dont toute la raison d'être est de remplir l'espace » (Traité de la nature énergétique de la substance). Au contraire, « la matière a la vie pour intime et inséparable essence, contient en elle la racine de la vie (Ibid.).

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Ces idées paraissent être si précises dans l'esprit de celui qui les émet qu'il en voit nettement une conséquence très importante au point de vue physiologique, à savoir que la vie, loin de résulter de l'organisation, en rend compte et la produit. « Les organes ne sont que les instruments de la nature: c'est la nature qui les forme, divers dans les divers cas. La nature est donc toute autre chose que l'arrangement des parties intégrantes » (Ibid.).

La doctrine physiologique de Glisson peut donc se ramener à quelques points: la matière, non pas douée de vie, mais qui a la vie pour essence ; la vie indépendante de l'organisation et consistant en définitive dans l'irritabilité; l'irritabilité impliquant la perception et l'appétition. On voit que, dès la première théorie de l'irritabilité, cette propriété se présente déjà comme susceptible d'expliquer la vie, mais aussi paraît demander à son tour une explication. Glisson comprend à merveille que, comme l'irritabilité est une cause très générale, il ne peut chercher à en rendre compte que par des raisons plus générales encore: alors il donne à la matière toutes les propriétés des êtres vivants, et de ceux même chez lesquels la vie trouve sa manifestation la plus parfaite dans les phénomènes dits psychiques. La doctrine physiologique de Glisson est ainsi une doctrine hylozoïste, l'auteur ayant doué la matière de tous les attributs de la vie, y compris les plus élevés, ceux que l'on désigne sous le nom d'attributs de l'esprit. Aussi bien cet hylozoïsme radical était contenu d'avance tout entier dans cette simple proposition que le mouvement implique la tendance vers une fin et qu'il n'y a pas de tendance, c'est-à dire d'appétition, vers ce qui ne serait à aucun degré perçu.

Inversement, on peut se demander si le mouvement ne dépend pas de causes purement extérieures et mécaniques et si les mouvements, en apparence spontanés et appropriés à un but, des êtres vivants, ne résultent pas de leurs rapports nécessaires avec le milieu environnant et de l'adaptation machinale à leurs conditions d'existence. En même temps, par une analyse poussée jusqu'à ses extrêmes limites, on réduit toutes choses à quelques éléments très simples et on croit possible de rendre compte des formes les plus compliquées de l'être par les arrangements variés et les combinaisons différentes de la même matière, sans intervention d'une cause finale. Bref, on explique le composé par le simple, et ainsi on fait rentrer les propriétés dites vitales dans les propriétés physico-chimiques, et, loin de douer la matière des propriétés de l'esprit, on ramène celles-ci à des mouvements de la substance nerveuse. Tel est le matérialisme absolu. Qu'on observe cependant que la question se pose encore de savoir si ce matérialisme se suffit à lui-même. Ainsi les problèmes que soulève la théorie de l'irritabilité, indiqués déjà par Glisson, ont gardé tout leur intérêt; il s'y est seulement ajouté d'autres éléments de discussion.

C'est ce que la suite de cet historique montrera. Je laisse ici de côté les intermédiaires, rares d'ailleurs et peu intéressants, qui existent entre Glisson et Haller, pour arriver tout de suite avec Haller à une nouvelle phase de la question.

2. HALLER. Haller réalise véritablement un progrès dans cette étude. C'est qu'en effet il commence de déterminer le siège de cette irritabilité que jusqu'alors on attribuait vaguement à toutes les parties des corps vivants. Les expériences par lesquelles il en prouve l'existence dans le tissu musculaire manquent sans doute encore de force et de précision, mais ce sont des expériences, et la voie est ouverte où la biologie rencontrera la démonstration de l'un de ses principes essentiels. Comme le muscle ne paraît se contracter que sous l'influence du nerf, Haller comprend d'abord qu'il faut établir l'indépendance des deux éléments 1. Aussi s'attache-t-il à montrer par des expériences diverses que le nerf n'intervient dans le mouvement musculaire qu'à titre d'excitant et que le muscle possède une puissance motrice propre. Généralisant ses recherches, Haller distingue l'irritabilité que nous appelons contractilité musculaire, de la contractilité, qui est notre élasticité, et de la sensibilité, qui est pour lui la manière de se comporter des nerfs, c'est-à-dire probablement leur pouvoir conducteur. En effet, s'il a vu l'indépendance réciproque du tissu nerveux et du tissu musculaire, il n'a pas signalé la moindre analogie entre la sensibilité et l'irritabilité. Cela tient à ce qu'il a confondu dans le muscle l'irritabilité et la contractilité. Donnant à celle-là le nom de celle-ci (Hæc vis contractilis irritabilitas dicta est, écrit Haller), il se mit dans l'impossibilité d'étendre à tous les tissus cette propriété fondamentale de réaction qu'il avait recherchée et constatée dans le muscle comme un pouvoir propre, alors qu'il aurait dû faire de la contractilité simplemement une manifestation spéciale de l'irritabilité.

1. Voy. Elementa physiologiæ, surtout le tome IV, et moires sur la nature sensible et irritable des parties du corps humain, Lausanne, 1756, trad. fr.

Aussi la question ne garde-t-elle guère chez lui de la portée philosophique qu'elle avait chez Glisson, et ce qu'elle gagne en précision, elle le perd en étendue. Mais l'analyse à laquelle Haller avait soumis le tissu musculaire resta néanmoins comme une sorte de démonstration générale. La preuve en est qu'à la suite de ses expériences sur l'action des

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