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vitales, ou n'est-il qu'un cas de la mécanique générale? c'est-à-dire les propriétés dites vitales dépendent-elles d'un principe spécial ou rentrentelles dans les propriétés physico-chimiques ordinaires? Telle est pour nous toute la question.

Pour Le Cat, c'est un principe spécial qui explique le mouvement qui suit le sentiment. Or, comme il a avancé que toute fibre, séparée ou non du corps, ne se contracte que par l'effet du sentiment, il admet que cette fibre subit l'action de l'âme. Théorie cellulaire à part, on dirait la psychologie de Hæckel. La vraie irritabilité, c'est la sensation d'un aiguillon qui excite la puissance motrice des fibres 1. Aussi l'âme agit-elle jusque dans ces parties séparées du corps. Car « il n'y a point de lieu pour l'âme; elle n'est nulle part qu'en puissance; nous ne saurions fixer de distance à celle-ci; elle est partout où l'on a des marques de ses fonctions; et ces marques sont la sensation, la contraction » (p. 312).

Ces raisons manquent assurément de solidité et de précision. Ce sont de vieux arguments métaphysiques tirés de la nature de l'âme, substance immatérielle et qui, conséquemment et par définition, n'occupe pas de lieu. Mais ce qu'il y a de remarquable, c'est que Le Cat n'a pas craint de supposer une âme partout où il voyait vie.

1. Cette puissance motrice n'est-elle pas proprement l'irritabilité, se manifestant par la contraction? Il convient en effet de noter que Le Cat semble avoir confondu l'irritabilité et la contractilité. C'est par là que pèche son argumentation contre Haller.

De fait, c'est à cette conclusion qu'il était amené, du moment qu'il confondait l'irritabilité et te sentiment. Qu'on lise ce curieux passage: « Comment, dira le physiologiste théologien, d'après saint Augustin, que ce phénomène a aussi fort embarrassé, vous supposez le principe du sentiment, l'âme par conséquent, subsistant dans un cœur séparé du corps, dans un morceau d'intestin aussi séparé, et enfin dans tous les tronçons d'une anguille, dans toutes les hachures d'un polype; en sorte que vous supposerez l'âme de ces animaux divisée en autant de parties qu'il vous plaira de les diviser. >>> (P.303.) Sans doute, c'est par une conception quelque peu singulière et obscure que Le Cat s'imagine répondre à cette objection: il suppose une âme existant non pas physiquement, mais en puissance, en un, deux ou trois endroits, et là produisant des actions vitales. Mais, à s'attacher au fond même de sa doctrine, il est clair que celle-ci consiste à admettre l'existence dans tout corps vivant d'une âme, c'est-àdire de quelque chose doué de sensibilité consciente. N'en voit-on pas une preuve curieuse dans cette observation, faite cent ans avant Pflüger et avant Vulpian, qu'une grenouille décapitée conserve tous ses mouvements et sa sensibilité? (P.304.) C'est, on le sait, sur des expériences analogues que Pflüger établit sa théorie des centres conscients dans la moelle.

IV

Tels sont, d'après Le Cat, les rapports de la sensibilité et de l'irritabilité. Comme il avait bien vu que les marques objectivement saisissables de l'une et de l'autre sont en définitive les mêmes, ne comprenant pas le mouvement sans le sentiment, il ramena l'irritabilité à la sensibilité. A la vérité, il manqua de l'esprit philosophique nécessaire pour atteindre à la conception de l'unité de substance et arriver à l'hylozoïsme, non pas tel assurément qu'un Hæckel devait l'entendre, mais qui pouvait du moins être déjà plus scientifique que celui des anciens philosophes grecs. Il s'en tint à un système dualiste fondé sur des raisons un peu banales : « Sentir et penser sont une même chose; or la matière est incapable de penser » (p. 305). Donc avec la matière il existe une âme qui produit la sensation et la contraction dans toute partie vivante (p. 313). Il est permis, toutefois, d'attribuer une place aux idées de Le Cat dans l'histoire des doctrines biologiques; car il a saisi l'importance d'un des grands problèmes de la physiologie générale et, étant donné le point de départ de l'étude qu'il en fit, c'est à une solution très logique qu'il aboutit en supposant une âme dans toute parcelle de matière vivante. Ainsi il est à quelques égards, mais sans doute d'un peu loin et un peu superficiellement, le continuateur de Glisson et le précurseur de Hæckel et de Pflüger. Cl. Bernard qui, après un siècle, reprit la même question, paraît avoir plus hésité que Le Cat sur la solution. On a vu qu'il ramène la sensibilité à l'irritabilité et, par suite, qu'il semble très disposé à considérer en définitive la conscience comme une résultante, un épiphénomène. Et pourtant il s'est toujours gardé d'affirmer une thèse aussi nettement matérialiste. D'autre part, il n'a jamais admis l'hylozoïsme.

On connaît, il est vrai, le grand sens critique de Cl. Bernard; si donc il a hésité sur le problème dont il s'agit, n'est-ce pas parce que le problème est encore insoluble, les deux solutions étant à peu près au même titre des hypothèses?

III

RÉSUMÉ HISTORIQUE ET ÉVOLUTION

DE LA

PHYSIOLOGIE DU SYSTÈME NERVEUX 1

MESSIEURS,

J'ai, dans ces leçons consacrées au système nerveux, à vous présenter le tableau de nos connaissances sur cette partie de la physiologie. La division de ces leçons est toute naturelle, comprenant l'étude des nerfs, celle de la moelle et celle de l'encéphale, pour aller du plus simple au plus complexe.

Une question préalable cependant se pose : qu'est-ce, pour le physiologiste, que le système nerveux? Pour arriver à une solution de cette question, le mieux est peut-être de rechercher quelle a été l'évolution des connaissances relatives à cette partie de la physiologie.

1. Leçon faite le 7 mars 1896 à la Faculté de médecine, à l'ouverture des conférences de physiologie.

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