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cloîtres, font moins fraîches, les beautés du ferrail font moins vives, les houris du paradis font moins piquantes. Jamais fi douce jouissance ne s'offrit au cœur & aux sens d'un mortel. Ah! du moins, si je l'avois su goûter pleine & entière un feul moment!..... Je la goûtai, mais fans charme. J'en émoussai tous les délices; je les tuai comme à plaifir. Non, la nature ne m'a point fait pour jouir. Elle a mis dans ma mauvaise tête le poifon de ce bonheur ineffable, dont elle a mis l'appétit dans mon cœur.

S'il est une circonstance de ma vie, qui peigne bien mon naturel, c'est celle que je vais raconter. La force avec laquelle je me rappelle en ce moment l'objet de mon livre, me fera mépriser ici la fausse bienséance qui m'empêcheroit de le remplir. Qui que vous soyez, qui voulez connoître un homme, ofez lire les deux ou trois pages qui fuivent, vous allez connoître à plein J. J. Rousseau.

J'entrai dans la chambre d'une cour tisane comme dans le sanctuaire de l'amour & de la beauté; j'en crus voir la divinité dans sa personne. Je n'aurois jamais cru que fans refpect & fans estime on pût rien sentir de pareil à ce qu'elle me fit éprouver. A peine eus-je connu dans les premières familiarités, le prix de ses charmes & de fes caresses, que de peur d'en perdre le fruit d'avance, je voulus me hâter de le cueillir. Tout-àcoup au lieu des flammes qui me dévoroient, je sens un froid mortel courir dans mes veines: les jambes me flageolent, & prêt à me trouver mal, je m'afseye, & je pleure comme un enfant.

Qui pourroit deviner la cause de mes larmes, & ce qui me paffoit par la tête en ce moment? Je me difois : cet objet dont je dispose, est le chef-d'œuvre de la nature & de l'amour; l'esprit, le corps, tout en est parfait; elle est aussi bonne & généreuse qu'elle est aimable & belle. Les grands, les princes, devroient être fes esclaves; les fceptres devroient être à fes pieds. Cependant, la voilà miférable coureuse, livrée au public; un capitaine de vaisseau marchand dispose d'elle; elle vient se jeter à ma tête, à moi qu'elle fait qui n'ai rien, à moi dont le mérite qu'elle ne peut connoître doit être nulà

ses yeux. Il y a là quelque chose d'inconcevable. Ou mon cœur me trompe, fafcine mes sens & me rend la dupe d'une indigne salope, ou il faut que quelque défaut secret que j'ignore, détruise l'effet de ses charmes & la rende odieuse à ceux qui devroient se la disputer. Je me mis à chercher ce défaut avec une contention d'esprit fingulière, & il ne me vint pas même à l'esprit, que la v..... pût y avoir part. La fraîcheur de ses chairs, l'éclat de fon coloris, la blancheur de ses dents, la douceur de fon haleine, l'air de propreté répandu sur toute fa pafonne, éloignoient de moi si parfaitement cette idée, qu'en doute encore fur mon état depuis la Padoana, je me faifois plutôt un scrupule de n'être pas affez sain pour elle, & je suis très-perfuadé qu'en cela ma confiance ne me trompoit pas. Ces réflexions si bien placées, m'agitèrent au point d'en pleurer. Zulietta, pour qui cela faifoit surement un spectacle tout nouveau dans la circonstance, fut un moment interdite. Mais ayant fait un tour de chambre & paffé devant fon miroir, elle comprit, & mes yeux lui con.

firmèrent, que le dégoût n'avoit point de part à ce rat. Il ne lui fut pas difficile de m'en guérir & d'effacer cette petite honte. Mais au moment que j'étois prêt à me pâmer sur une gorge qui sembloit pour la première fois souffrir la bouche & la main d'un homme, je m'apperçus qu'elle avoit un teton borgne. Je me frappe, j'examine, je crois voir que ce teton n'est pas conformé comme l'autre. Me voilà cherchant dans ma tête comment on peut avoir un teton borgne, & perfuadé que cela tenoit à quelque notable vice naturel, à force de tourner & retourner cette idée, je vis clair comme le jour que dans la plus charmante perfonne dont je pusse me former l'image, je ne tenois dans mes bras qu'une espèce de monftre, le rebut de la nature, des hommes, & de l'amour. Je poussai la stupidité jusqu'à lui parler de ce teton borgne. Elle prit d'abord la chofe en plaifantant, & dans fon humeur folâtre, dit & fit des choses à me faire mourir d'amour. Mais gardant un fonds d'inquiétude que je ne pus lui cacher, je la vis enfin rougir, se rajuster, se redreffer,

& fans dire un seul mot, s'aller mettre à sa fenêtre. Je voulus m'y mettre à côté d'elle; elle s'en ôta, fut s'affeoir sur un lit de repos, se leva le moment d'après, & se promenant par la chambre en s'éventant, me dit d'un ton froid & dedaigneux: Zanette, lascia le donne, e studia la matamatica.

Avant de la quitter, je lui demandai pour le lendemain un autre rendez-vous qu'elle remit au troisième jour en ajoutant avec un fourire ironique que je devois avoir besoin de repos. Je passai ce temps mal à mon aise, le cœur plein de ses charmes & de ses grâces, sentant mon extravagance, me la reprochant, regrettant les momens fi mal employés qu'il n'avoit tenu qu'à moi de rendre les plus doux de ma vie, attendant avec la plus vive impatience celui d'en réparer la perte, & néanmoins inquiet encore, malgré que j'en eusse, de concilier les perfections de cette adorable fille, avec l'indignité de fon état. Je courus, je volai chez elle à l'heure dite. Je ne fais fi fon tempérament ardent eût été plus content de cette visite. Son orgueil l'eût été du

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