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feille, que ledit ballot ne pesoit que quarante-cinq livres, & n'avoit payé le port qu'à raifon de ce poids. Je joignis cet extrait authentique au mémoire de M. de M......., & muni de ces pièces & de plusieurs autres de la même force, je me rendis à Paris très-impatient d'en faire usage. J'eus durant toute cette longue route de petites aventures, à Côme, en Valais, & ailleurs. Je vis plusieurs choseslà, entr'autres les isles Boromées qui mériteroient d'être décrites. Mais le temps me gagne, les espions m'obsèdent ; je fuis forcé de faire à la hâte & mal, un travail qui demanderoit le loisir & la tranquillité qui me manquent. Si jamais la providence jetant les yeux fur moi, me procure enfin des jours plus calmes je les destine à refondre si je puis cet ouvrage, ou à y faire au moins un fupplé ment dont je sens qu'il a grand besoin (*).

Le bruit de mon histoire m'avoit devancé, & en arrivant je trouvai que dans les bureaux, & dans le public tout le monde étoit scandalisé des folies de l'am

(*) J'ai renoncé à ce projet.

baffadeur. Malgré cela, malgré le cri public dans Venife, malgré les preuves sans replique que j'exhibois, je ne pus obtenir aucune justice. Loin d'avoir ni fatisfaction ni réparation, je fus même laissé à la difcrétion de l'ambassadeur pour mes appointemens, & cela par l'unique raison, que, n'étant pas François, je n'avois pas droit à la protection nationale & que c'étoit une affaire particulière entre lui & moi. Tout le monde convint avec moi que j'étois offensé, lézé, malheureux, que l'ambassadeur étoit un extravagant cruel, inique, & que toute cette affaire le déshonoroit à jamais. Mais quoi! il étoit l'ambassadeur; je n'étois, moi, que le fecrétaire.

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Le bon ordre, ou ce qu'on appelle ainfi, vouloit que je n'obtinsse aucune justice, & je n'en obtins aucune. Je m'imaginai qu'à force de crier & de traiter publiquement ce fou comme il le méritoit, on me diroit à la fin de me taire, & c'étoit ce que j'attendois, bien résolu de n'obéir qu'après qu'on auroit prononcé. Mais il n'y avoit point alors de ministre des affaires étrangères. On me laissa clabauder, on m'encouragea même, on faifoit chorus: mais l'affaire en resta toujours là, jusqu'à-ce que, las d'avoir toujours raifon & jamais justice, je perdis enfin courage, & plantai-là tout.

La seule personne qui me reçut mal & dont j'aurois le moins attendu cette injuftice, fut Mde. de B.......I. Toute pleine des prérogatives du rang & de la noblesse, elle ne put jamais se mettre dans la tête qu'un ambassadeur pût avoir tort avec son fecrétaire. L'accueil qu'elle me fit fut conforme à ce préjugé. J'en fus si piqué qu'en sortant de chez elle, je lui écrivis une des fortes & vives lettres que j'aye peut-être écrites, & n'y fuis jamais retourné. Le P. Castel me reçut mieux ; mais à travers le patelinage jésuitique, je le vis suivre affez fidellement une des grandes maximes de la fociété, qui est d'immoler toujours le plus foible au plus puissant. Le vif fentiment de la justice de macause & ma fierté naturelle, ne me laissèrent pas endurer patiemment cette partialité. Je cessai de voir le P. Caftel, & par-là d'aller aux Jésuites où je ne connoiffois

que lui seul. D'ailleurs, l'esprit tyrannique & intrigant de ses confrères, fi différent de la bonhomie du bon père Hemet me donnoit tant d'éloignement pour leur commerce que je n'en ai vu aucun depuis ce temps-là, fi ce n'est le P. Berthier que je vis deux ou trois fois chez M. D...n, avec lequel il travailloit de toute fa force à la réfutation de Montesquieu.

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Achevons, pour n'y plus revenir, ce qui me reste à dire de M. de M........ Je lui avois dit dans nos démêlés qu'il ne lui falloit pas un secrétaire, mais un clerc de procureur. Il suivit cet avis, & me donna réellement pour fuccesseur un vrai procureur, qui dans moins d'un an lui vola vingt ou trente mille livres. Il le chassa, le fit mettre en prifon, chassa ses gentilshommes avec esclandre & fcandale, fe fit partout des querelles, reçut des affronts qu'un valet n'endureroit pas, & finit à force de folies, par se faire rappeler & renvoyer planter fes choux. Apparemment que parmi les réprimandes qu'il reçut à la cour fon affaire avec moi ne fut pas oubliée. Du

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moins peu de temps après son retour, il m'envoya fon maître-d'hôtel pour folder mon compte & me donner de l'argent. J'en manquois dans ce moment-là; mes dettes de Venises, dettes d'honneur fi jamais il en fut, me pefoient sur le cœur. Je faisis le moyen qui se présentoit de les acquitter, de même que le billet de Z.....o N..i. Je reçus ce qu'on voulut me donner, je payai toutes mes dettes, & je restai fans un fol comme auparavant, mais foulagé d'un poids qui m'étoit insupportable. Depuis lors je n'ai plus entendu parler de M. de M....... qu'à fa mort que j'appris par la voix publique. Que Dieu faffe paix à ce pauvre homme! Il étoit auffi propre au métier d'ambaffadeur que je l'avois été dans mon enfance à celui de grapignan. Cependant, il n'avoit tenu qu'à lui de fe foutenir honorablement par mes services, & de me faire avancer rapidement dans l'état auquel le comte de Gouvon m'avoit destiné dans ma jeunesse, & dont par moi seul je m'étois rendu capable dans un âge plus avancé.

La justice & l'inutilité de mes plaintes

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