fait. Son corps fut formé pour loger fon ame. Ce sage de cœur ainsi que de tête se I connoissoit en hommes & fut mon ami. , C'est toute ma réponse à quiconque ne l'est pas. Nous nous liâmes si bien que nous fimes le projet de passer nos jours ensemble. Je devois dans quelques années aller a Afcoytia, pour vivre avec lui dans fa terre. Toutes les parties de ce projet furent arrangées entre nous la veille de fon départ. Il n'y manqua que ce qui ne dépend pas des hommes dans les projets les mieux concertés. Les événemens postérieurs, mes désastres, son mariage, la mort enfin nous ont séparés pour toujours. On diroit qu'il n'y a que les noirs complots des méchans qui réuffissent, les projets innocens des bons n'ont presque jamais d'accomplissement. ( : Ayant fenti l'inconvénient de la dépendance, je me promis bien de ne m'y plus expofer Ayant vu renverser dès leur naissance des projets d'ambition que l'occasion m'avoit fait former, rebuté de rentrer dans la carrière que j'avois fi bien commencée, & dont néanmoins je venois Second Suppl. Tome I. F d'être expulfé, je réfolus de ne plus m'attacher à personne, mais de rester dans l'indépendance en tirant parti de mes talens, dont enfin je commençois à fentir la mesure, & dont j'avois trop modestement pensé jusqu'alors. Je repris le travail de mon opéra, que j'avois interrompu pour aller à Venife; & pour m'y livrer plus tranquillement, après le départ d'Altuna je retournai loger à mon ancien hôtel St. Quentin, qui dans un quartier solitaire, & peu loin du Luxem bourg, m'étoit plus commode pour travailler à mon aise, que la bruyante rue St. Honoré. Là m'attendoit la seule confolation réelle que le ciel m'ait fait goûter dans ma misère, & qui seule me la rend fupportable. Ceci n'est pas une connoiffance passagère; je dois entrer dans quelque détail sur la manière dont elle se fit. Nous avions une nouvelle hôtesse qui étoit d'Orléans. Elle prit pour travailler en linge une fille de son pays, d'environ vingt-deux à vingt-trois ans, qui mangeoit avec nous ainsi que l'hôtesse. Cette fille appelée Thérèse le Vasseur, étoit de bonne famille. Son père étoit officier de la monnoie d'Orléans, sa mère étoit marchande. Ils avoient beaucoup d'enfans. La monnoie d'Orléans n'allant plus, le père se trouva fur le pavé; la mère ayant effuyé des banqueroutes fit mal fes affaires, quitta le commerce & vint à Paris avec son mari & fa fille qui les nourriffoit tous trois de fon travail. La première fois que je vis paroître cette fille à table, je fus frappé de fon maintien modeste & plus encore de fon regard vif & doux, qui pour moi n'eut jamais fon semblable. La table étoit composée, outre M. de Bonnefond, de pluneurs abbés Irlandois, Gascons, & autres gens de pareille étoffe. Notre hôtesse elle-même avoit rôti le balai: il n'y avoit là que moi seul qui parlat & fe comportât décemment. On agaça la petite; je pris sa défense. Auffitôt les lardons tombèrent fur moi. Quand je n'aurois eu naturellement aucun goût pour cette paùvre fille, la compaffion, la contradiction m'en auroient donné. J'ai toujours aimé l'honnêteté dans les manières & dans les propos, surtout avec le sexe. Je devins hautement fon champion. Je la vis sensible à mes foins, & fes regards, animés par la reconnoissance qu'elle n'osoit exprimer de bouche, n'en devenoient que plus pénétrans. Elle étoit très-timide; je l'étois auffi. La liaison que cette disposition commune sembloit éloigner, se fit pourtant trèsrapidement. L'hôtesse, qui s'en apperçut, devint furieufe, & fes brutalités, avancèrent encore mes affaires auprès de la petite, qui, n'ayant d'appui que moi seul dans la maison, me voyoit fortir avec peine, & foupiroit après le retour de fon protecteur. Le rapport de nos cœurs, le concours de nos dispositions eut bientôt son effet ordinaire. Elle crut voir en moi un honnête-homme; elle ne fe trompa pas. Je crus voir en elle une fille sensible, simple & fans coquet terie; je ne me trompai pas non plus. Je lui déclarai d'avance que je ne l'abandonnerois ni ne l'épouserois jamais. L'amour, l'estime, la fincérité naïve furent les ministres de mon triomphe, & c'étoit parce que son cœur étoit tendre & honnête que je sus heureux sans être entreprenant. La crainte qu'elle eut que je ne me fachasse de ne pas trouver en elle ce qu'elle croyoit que j'y cherchois, recula mon bonheur plus que toute autre chose. Je la vis interdite & confuse avant de se rendre, vouloir se faire entendre, & n'ofer s'expliquer. Loin d'imaginer la véritable cause de son embarras, j'en imaginai une bien fauffe, & bien infultante pour ses mœurs, & croyant qu'elle m'avertissoit que ma santé couroit des risques, je tombai dans des perplexités qui ne me retinrent pas, mais qui durant plusieurs jours empoifonnèrent mon bonheur. Comme nous ne nous entendions point l'un l'autre, nos entretiens à ce sujet étoient autant d'énigmes & d'amphigouris plus que risibles. Elle fut prête à me croire abfolument fou; je fus prêt à ne savoir plus que penser d'elle. Enfin nous nous expliquâmes; elle me fit en pleurant l'aveu d'une faute unique au sortir de l'enfance, fruit de son ignorance & de l'adresse d'un séducteur. Sitôt que je la compris je fis un cri de joie: Pucelage! m'écriai-je; c'est bien à Paris, c'est bien à vingt ans, qu'on en cherche! |