tères, que les libraires ne jettent pas leurs écus à la tête des débutans, & qu'il me sembloit cependant bien juste que mon ouvrage me rendît le pain que j'a vois mangé en l'écrivant. Bonnefond me procura Quillau le père, qui fit avec moi un traité à moitié profit, sans compter le privilége que je payai seul. Tant fut opéré par le dit Quillau, que j'en fus pour mon privilége & n'ai tiré jamais un liard de cette édition, qui vraisemblablement eut un débit médiocre, quoique l'abbé Des Fontaines m'eût promis de la faire aller, & que les autres Journalistes en eussent dit affez de bien. Le plus grand obstacle à l'essai de mon systême, étoit la crainte que s'il n'étoit pas admis, on ne perdit le temps qu'on mettroit à l'apprendre. Je disois à cela que la pratique de ma note rendoit les idées si claires, que pour apprendre la musique par les caractères ordinaires, on gagneroit encore du temps à commencer par les miens. Pour en donner la preuve par l'expérience, j'enseignai grafuitement la musique à une jeune Amé ricaine appelée Mlle. Des Roulins, dont M. Roguin m'avoit procuré la connoif sance; en trois mois elle fut en état de déchiffrer fur ma note quelque musique que ce fût, & même de chanter à livre ouvert, mieux que moi-même, toute celle qui n'étoit pas chargée de difficul tés. Ce succès fut frappant, maislignoré, Un autre en auroit rempli les journaux, mais avec quelque talent pour trouver des choses utiles, je n'en eus jamais pour les faire valoir.silah Voilà comment ma fontaine de héron fut encore caffée; mais cette seconde fois j'avois trente ans, & je me trouvois fur le pavé de Paris, où l'on ne vit pas pour rien. Le parti que je pris dans cette extrémité n'étonnera que ceux qui n'auront pas bien lu la première partie de ces mémoires. Je venois de me donner des mouvemens auffi grands qu'inutiles; j'a vois besoin de reprendre haleine. Au lieu de me livrer au désespoir, je me livrai tranquillement à ma pareffe & aux foins de la Providence, & pour lui don+ ner le temps de faire fon œuvre, je me mis à manger fans me preffer, quelques louis qui me restoient encore, réglant la dépense de mes nonchalans plaisirs fans la retrancher, n'allant plus au café que de deux jours l'un, & au spectacle que deux fois la semaine. A l'égard de la dépense des filles, je n'eus aucune réforme à y faire, n'ayant mis de ma vie un fol à cet usage, fi ce n'est une seule fois, dont j'aurai bientôt à parler. La fécurité, la volupté, la confiance avec laquelle je me livrois à cette vie indolente & folitaire que je n'avois pas de quoi faire durer trois mois, est une des fingularités de ma vie & une des bifarreries de mon humeur. L'extrême besoin que j'avois qu'on pensât à moi, étoit précisément ce qui m'ôtoit le courage de me montrer, & la nécessité de faire des visites me les rendit insupportables, au point que je cessai même de voir les Académiciens & autres gens de lettres avec lesquels j'étois déjà faufilé. Marivaux, l'abbé de Mably, Fontenelle furent presque les seuls chez qui je continuai d'aller quelquefois. Je montrai même au premier ma comédie de Narciffe. Elle lui plut, & il eut la complai fance de la retoucher: Diderot, plus jeune qu'eux, étoit à-peu-près de mon âge. Il aimoit la musique; il en savoit la théorie; nous en parlions ensemble; il me parloit auffi de ses projets d'ouvrages. Cela forma bientôt entre nous des liaisons plus intimes qui ont duré quinze ans, & qui probablement dureroient encore si malheureusement, & bien par fa faute, je n'eusse été jeté dans fon même métier. On n'imagineroit pas à quoi j'employois ce court & précieux intervalle qui me restoit encore avant d'être forcé de mendier mon pain: à étudier par cœur des passages de poëtes, que j'avois appris cent fois & autant de fois oubliés. Tous les matins vers les dix heures j'allois me promener au Luxembourg un Virgile ou un Rousseau dans ma poche, & là jusqu'à Theure du dîner je remémorois tantôt une ode sacrée & tantôt une bucolique, fans me rebuter de ce qu'en repassant celle du jour je ne manquois pas d'oublier celle de la veille. Je me rappelois qu'après la défaite de Nicias à Syracuse, les Athéniens captifs gagnoient leur vie à réciter les poëmes d'Homère. Le parti que je tirai de ce trait d'érudition pour me prémunir contre la misère, fut d'exercer mon heureuse mémoire à retenir tous les poëtes par cœur. A J'avois un autre expédient non moins solide dans les échecs auxquels je consacrois régulièrement chez Maugis les après-midi des jours que je n'allois pas au spectacle. Je fis là connoissance avec M. de Légal, avec un M. Huffon, avec Philidor, avec tous les grands joueurs d'échecs de ce temps là & n'en devins pas plus habile, Je ne doutai pas, cependant, que je ne devinfse à la fin plus fort qu'eux tous,& c'en étoit affez felon moi, pour me fervit de ressource. De quelque folie que je m'engouaffe, j'y portois toujours la même manière de raisonner. Je me difois: quiconque prime en quelque chose est toujours sûr d'être recherché. Primons donc, n'importe en quoi, je ferai recherché; les occafions se présenteront, & mon mérite fera le reste. Cet enfantillage n'étoit pas le fophifme de ma |