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ce ramage me fit tressaillir, & je m'écriai dans mon transport: enfin tous mes vœux font accomplis! Mon premier foin fut de me livrer à l'impression des objets champêtres dont j'étois entouré. Au lieu de commencer à m'arranger dans mon logement, je commençai par m'arranger pour mes promenades, & il n'y eut pas un sentier, pas un taillis, pas un bofquet, pas un réduit autour de ma demeure, que je n'eusse parcouru dès le lendemain. Plus j'examinois cette charmante retraite, plus je la sentois faite pour moi. Ce lieu solitaire plutôt que fauvage me transportoit en idée au bout du monde. Il avoit de ces beautés touchantes qu'on ne trouve guère auprès des villes, & jamais en s'y trouvant tranf porté tout d'un coup, on n'eut pu se croire à quatre lieues de Paris.

Après quelques jours livrés à mon délire champêtre, je songeai à ranger mes paperaffes & à régler mes occupations. Je destinai, comme j'avois toujours fait, mes matinées à la copie, & mes après-dînées à la promenade, muni de mon petit livret blanc & de mon crayon: car n'ayant jamais pu écrire & penser à mon aife que fub dio, je n'étois pas tenté de changer de méthode, & je comptois bien que la forêt de Montmorenci qui étoit presque à ma porte, feroit déformais mon cabinet de travail. J'avois plusieurs écrits commencés; j'en fis la revue. J'étois affez magnifique en projets, mais dans les tracas de la ville, l'exécution jusqu'alors avoit marché lentement. J'y comptois mettre un peu plus de diligence quand j'aurois moins de distraction. Je crois avoir affez bien rempli cette attente, & pour un homme fouvent malade, souvent à la C.......e, à E....y, à Eaubonne, au château de Montmorenci, souvent obsédé chez lui de curieux désœuvrés, & toujours occupé la moitié de la journée à la copie, fi l'on compte & mesure les écrits que j'ai faits dans les fix ans que j'ai paffés tant à l'Hermitage qu'à Montmorenci, l'on trouvera, je m'assure, que si j'ai perdu mon temps durant cet intervalle, ce n'a pas été du moins dans l'oisiveté.

Des divers ouvrages que j'avois fur le chantier, celui que je méditois depuis

long-temps, dont je m'occupois- avec le plus de goût, auquel je voulois tra vailler toute ma vie, & qui devoit, felon moi, mettre le sceau à ma réputation, étoit mes Institutions politiques. Il y avoit treize à quatorze ans que j'en avois conçu la première idée, lorsqu'étant à Venise j'avois eu quelqu'occasion de remarquer les défauts de ce gouvernement si vanté. Depuis lors, mes vues s'étoient beaucoup étendues par l'étude historique de la morale. J'avois vu que tout tenoit radicalement à la politique, & que, de quelque façon qu'on s'y prit, aucun peuple ne feroit jamais que ce que la nature de fon gouvernement le feroit être; ainsi cette grande question du meilleur gouvernement possible me paroissoit se réduire à celle-ci: Quelle est la nature de gouvernement propre à former un peuple le plus vertueux, le plus éclairé, le plus fage, le meilleur enfin, à prendre ce mot dans son plus grand sens ? J'avois cru voir que cette question tenoit de bien près à cette autre-ci, si même elle en étoit différente: Quel est le gouvernement qui par sa nature se tient toujours toujours le plus près de la loi? De-là, qu'est-ce que la loi? & une chaîne de questions de cette importance. Je voyois que tout cela me menoit à de grandes vérités, utiles au bonheur du genre-humain, mais surtout à celui de ma patrie, où je n'avois pas, trouvé dans le voyage que je venois d'y faire, les notions des lois & de la liberté assez justes, ni affez nettes à mon gré, & j'avois cru cette manière indirecte de les leur donner, la plus propre à ménager l'amour-propre de ses membres, & à me faire pardonner d'avoir pu voir là-dessus un peu plus loin qu'eux.

Quoiqu'il y eût déjà cinq ou fix ans que je travaillois à cet ouvrage, il n'étoit encore guère avancé. Les livres de cette espèce demandent de la méditation, du loisir, de la tranquillité. De plus, je faifois celui-là, comme on dit, en bonne fortune, & je n'avois voulu communiquer mon projet à personne, pas même à Diderot. Je craignois qu'il ne parut trop hardi pour le fiècle & le pays où j'écrivois, & que l'effroi de mes amis (*) ne

(*) C'étoit furtout la sage sévérité de Duclos qui Second Suppl. Tome L

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me gênât dans l'exécution. J'ignorois encore s'il feroit fait à temps; & de manière à pouvoir paroître de mon vivant. Je voulois pouvoir fans contrainte donner à mon sujet tout ce qu'il me demandoit; bien sûr que, n'ayant point l'humeur satyrique, & ne voulant jamais chercher d'application, je ferois toujours irrépréhensible en toute équité. Je voulois ufer pleinement, fans doute, du droit de penser que j'avois par ma naifsance; mais toujours en respectant le gouvernement sous lequel j'avois à vivre, fans jamais défobéir à ses lois, & trèsattentif à ne pas violer le droit des gens, je ne voulois pas non plus renoncer par crainte à ses avantages.

J'avoue même qu'étranger & vivant

m'inspiroit cette crainte: car pour Diderot, je ne fais comment toutes mes conférences avec lui tendoient toujours à me rendre satyrique & mordant plus que mon naturel ne me portoit à l'être. Ce fut cela même qui me détourna de le confulter sur une entreprise où je voulois inettre uniquement toute la force du raisonnement, sans aucun vestige d'homeur & de partialité. On peut juger du ton que j'avois pris dans cet ouvrage, par celui du Contrat Social qui en est tiré.

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