le faire écouter, le cas eut été différent. Il étoit François, je ne l'étois pas, & en m'avisant de répéter ses censures, quoique fous fon nom, je m'expofois à me faire demander un peu rudement, mais sans injustice, de quoi je me mêlois. Heureusement avant d'aller plus loin, je vis la prise que j'allois donner fur - moi, & me retirai bien vîte. Je savois que vivant feul au milieu des hommes, & d'hommes tous plus puissans que moi, je ne pouvois jamais, de quelque façon que je m'y prisse, me mettre à l'abri du mal qu'ils voudroient me faire. Il n'y avoit qu'une chose en cela qui dépendit de moi; c'étoit de faire enforte au moins que quand ils m'en voudroient faire ils ne le pussent qu'injustement. Cette maxime qui me fit abandonner l'abbé de St. Pierre, m'a fait souvent renoncer à des projets beaucoup plus chéris. Ces gens toujours prompts à faire un crime de l'adversité, feroient bien surpris s'ils favoient tous les soins que j'ai pris en ma vie, pour qu'on ne pût jamais me dire avec vérité dans mes malheurs: tu les as bien mérité. t Cet ouvrage abandonné me laissa quel que temps incertain fur celui que j'y ferois fuccéder, & cet intervalle de désœuvrement fut ma perte, en me laiffant tourner mes réflexions sur moi - même, faute d'objet étranger qui m'occupât; je n'avois plus de projet pour l'avenir qui pût amufer mon imagination. Il ne m'étoit pas même possible d'en faire, puifque la situation où j'étois étoit précisément celle où s'étoient réunis tous mes désirs: Je n'en avois plus à former, & j'avois encore le cœur vide. Cet état étoit d'autant plus cruel que je n'en voyois point à lui préférer. J'avois rassemblé mes plus tendres affections dans une personne felon mon car, qui me les rendoit. Je vivois avec elle sans gene, & pour ainsi dire à difcrétion. Cependant un fecret ferrement de cœur ne me quittoit ni près ni loin d'elle. En la possédant je sentois qu'elle me manquoit encore, & la seule idée que je n'étois pas tout pour elle, faifoit qu'elle n'étoit presque Tien pour moi. J'avois des amis des deux fexes auxquels j'étois attaché par la plus pure ami tié, par la plus parfaite estime; je comptois sur le plus vrai retour de leur part, & il ne m'étoit pas même venu dans l'esprit de douter une seule fois de leur fincérité, cependant cette amitié m'étoit plus tourmentante que douce, par leur obf. tination, par leur affectation même à contrarier tous mes goûts, mes penchans, ma manière de vivre, tellement qu'il me suffifoit de paroître désirer une chofe qui n'intéressoit que moi seul, & qui ne dépendoit pas d'eux, pour les voir tous se liguer à l'instant même, pour me contraindre d'y renoncer. Cette obftination de me contrôler en tout dans mes fantaisies, d'autant plus injuste que loin de contrôler les leurs je ne m'en informois pas même, me devint si cruellement onéreuse, qu'enfin je ne recevois pas une de leurs lettres sans sentir en l'ouvrant un certain effroi qui n'étoit que trop justifié par sa lecture. Je trouvois que pour des gens tous plus jeu. nes que moi, & qui tous auroient eu grand besoin pour eux-mêmes des leçons qu'ils me prodiguoient, c'étoit auffi trop me traiter en enfant: Aimez-moi, leur difois - je, comme je vous aime, & du reste, ne vous mêlez pas plus de mes affaires que je ne me mêle des vôtres; voilà tout ce que je vous demande. Si de ces deux chofes ils m'en ont accordé une, ce n'a pas été du moins la dernière. J'avois une demeure isolée, dans une folitude charmante, maître chez moi, j'y pouvois vivre à ma mode, sans que personne eut à m'y contrôler. Mais cette habitation m'imposoit des devoirs doux à remplir, mais indispensables. Toute ma liberté n'étoit que précaire; plus asservi que par des ordres, je devois l'être par ma volonté: je n'avois pas un seul jour dont, en me levant, je puffe dire: j'employerai ce jour comme il me plaira. Bien plus; outre ma dépendance des arrangemens de Mde. D'.....y, j'en avois une autre, bien plus importune, du public & des survenans. La distance où j'étois de Paris n'empêchoit pas qu'il ne me vint journellement des tas de désœuvrés, qui, ne sachant que faire de leur temps, prodiguoient le mien fans aucun fcrupule. Quand j'y penfois le moins j'étois impitoyablement affailli, & rarement j'ai fait un joli projet pour ma journée, sans le voir renverser par quelqu'arrivant. Bref; au milieu des biens que j'avois le plus convoités, ne trouvant point de pure jouissance, je revenois par élans aux jours fereins de ma jeunesse, & je m'écriois quelquefois en soupirant: Ah! ce me sont pas encore ici les Charmettes! Les souvenirs des divers temps de ma vie m'amenèrent à réfléchir sur le point où j'étois parvenu, & je me vis déjà sur le déclin de l'âge, en proie à des maux douloureux, & croyant approcher du terme de ma carrière, fans avoir goûté dans sa plénitude presqu'aucun des plaisirs dont mon cœur étoit avide, - fans avoir donné l'effor aux vifs fentimens que j'y sentois en réserve, sans avoir favouré, sans avoir effleuré du moins cette enivrante volupté que je sentois dans mon ame en puissance, & qui faute d'objet s'y trouvoit toujours comprimée sans pouvoir s'exhaler autre. ment que par mes soupirs. Comment se pouvoit-il qu'avec une ame naturellement expanfive, pour qui |