laisseroient pas long-temps sans reffource, & je ne me trompai pas. Parlons maintenant de mon entrée chez Mde. D...n, qui a eu de plus longues suites. Mde. D...n étoit, comme on fait, fille de S....1 B.....d & de Mde. F......e. Elles étoient trois fœurs qu'on pouvoit appeler les trois grâces. Mde. de la T....e, qui fit une escapade en Angleterre avec le duc de K... Mde.. D...y, l'amie, l'unique & sincère amie de M. le P....e de C... i; femme adorable, autant par la douceur, par la bonté de son charmant caractère, que par l'agrément de son efprit, & par l'inaltérable gaïeté de fon humeur Enfin Mde. D...n la plus belle des trois, & la seule à qui l'on n'ait point reproché d'écart dans sa conduite. : Elle fut le prix de l'hofpitalité de M. D...n, à qui sa mère la donna avec une place de fermier-général & une fortune immenfe, en reconnoissance du bon accueil qu'il lui avoit fait dans sa province. Elle étoit encore, quand je la vis pour la première fois une des plus belles femmes de Paris. Elle me reçut à sa toilette. Elle avoit les bras nuds, les cheveux épars, son peignoir mal arrangé. Cet abord m'étoit très-nouveau; ma pauvre tête n'y tint pas: je me trouble, je m'égare; & bref, me voilà épris de Mde. D... n. Mon trouble ne parut pas me nuire auprès d'elle; elle ne s'en apperçut point. Elle accueillit le livre & l'auteur, me parla de mon projet en personne instruite, chanta, s'accompagna du clavecin, me retint à dîner, me fit mettre à table à côté d'elle; il n'en falloit pas tant pour me rendre fou, je le devins. Elle me permit de la venir voir; j'usai, j'abusai de la permiffion. J'y allois presque tous les jours, j'y dinois deux ou trois fois la semaine. Je mourois d'envie de parler; je n'ofai jamais. Plusieurs raisons renforçoient ma timidité naturelle. L'entrée d'une maison opulente étoit une porte ouverte à la fortune; je ne voulois pas, dans ma situation, risquer de me la fermer. Mde. D...n, toute aimable qu'elle étoit, étoit férieuse & froide ; je ne trouvois rien dans ses manières d'affez agaçant pour m'enhardir. Sa mai 1 fon, auffi brillante alors qu'aucune autre dans Paris, rassembloit des sociétés auxquelles il ne manquoit que d'être un peu moins nombreuses pour être d'élite dans tous les genres. Elle aimoit à voir tous les gens qui jetoient de l'éclat : les grands, les gens de lettres, les belles femmes. On ne voyoit chez elle que ducs, ambassadeurs, cordons - bleus. Mde. la princesse de Rohan, Mde. la comteffe de Forcalquier, Mde. de Mirepoix, Mde. de Brignolé, milady Hervey pouvoient paffer pour ses amies. M. de Fontenelle, l'abbé de St. Pierre, l'abbé Sallier, M. de Fourmont, M. de Bernis, M. de Buffon, M. de Voltaire, étoient de fon cercle & de ses diners. Si fon maintien réservé n'attiroit pas beaucoup les jeunes gens, sa société d'autant mieux composée n'en étoit que plus imposante, & le pauvre J. J. n'avoit pas de quoi se flatter de briller beaucoup au milieu de tout cela. Je n'osai donc parler, mais ne pouvant plus me taire j'ofai écrire. Elle garda deux jours ma lettre sans m'en parler. Le troisième jour elle me la rendit, m'adressant ver. balement quelques mots d'exhortation d'un ton froid qui me glaça. Je voulus parler, la parole expira fur mes lèvres: ma subite passion s'éteignit avec l'espérance, & après une déclaration dans les formes, je continuai de vivre avec elle comme auparavant, fans plus lui parler de rien, même des yeux. Je crus ma fottise oubliée; je me trompai. M. de F.......1, fils de M. D...n & beau-fils de Madame, étoit à-peu-près de fon âge & du mien. Il avoit de l'efprit, de la figure, il pouvoit avoir des prétentions; on disoit qu'il en avoit auprès d'elle, uniquement peut-être parce qu'elle lui avoit donné une femme bien laide, bien douce, & qu'elle vivoit parfaitement avec tous les deux. M. de F........ aimoit & cultivoit les talens. La musique, qu'il savoit fort bien, fut entre nous un moyen de liaison Je le vis beaucoup, je m'attachois à lui: tout d'un coup il me fit entendre que Mde. D...n trouvoit mes visites trop fréquentes, & me prioit de les discontinuer. Ce compliment auroit pu être à sa place quand elle me rendit ma lettre; mais huit ou dix jours après & fans aucune autre cause, il venoit, ce me semble, hors de propos. Cela faifoit une position d'autant plus bizarre, que je n'en étois pas moins bien venu qu'auparavant chez M. & Mde. de F.......l. J'y allai cependant plus rarement, & j'aurois ceffé d'y aller tout-à-fait, fi par un autre caprice imprévu, Mde. D...n ne m'avoit fait prier de veiller pendant huit ou dix jours à son fils, qui changeant de gouverneur, restoit seul durant cet intervalle. Je passai ces huit jours dans un fupplice que le plaifir d'obéir à Mde. D...n pouvoit seul me rendre souffrable: je ne m'en ferois pas chargé huit autres jours de plus, quand. Mde. D...n se seroit donnée à moi pour récompenfe. M. de F... me prenoit en amitié, je travaillois avec lui; nous commençâmes ensemble un cours de chymie chez Rouelle. Pour me rapprocher de lui, je quittai món hôtel St. Quentin, & vins me loger au jeu - de - paume de la rue Verdelet, qui donne dans la rue Pla trière où logeoit M. D...n. Là, par la fuite d'un rhume négligé, je gagnai une |