qu'une précipitation forcée me fit faire en chiffrant, & dont les commis de M. Amelot se plaignirent une fois, ni l'ambassadeur, ni personne n'eut jamais à me reprocher une feule négligence dans aucune de mes fonctions; ce qui est à. noter pour un homme aussi négligent que moi: mais je manquois par fois de mémoire & de soin dans les affaires particulières dont je me chargeois, & l'a mour de la justice m'en a toujours fait supporter le préjudice de mon propre mouvement, avant que perfonne fongeât à se plaindre. Je n'en citerai qu'un seul trait, qui fe rapporte à mon départ de Venife, & dont nt j'ai fenti le contre. coup dans la suite à Paris. Notre cuifinier, appelé Rousselot, avoit apporté de France, un ancien billet de deux cent francs, qu'un perruquier de ses amis avoit d'un noble Vénitien appelé Z.....o N..i, pour fournitures de perruques. Rousselot m'apporta ce billet, me priant de tâcher d'en tirer quelque chose par accommodement. Je savois, il favoit auffi que l'usage constant des nobles Vénitiens est de ne jamais payer, الا de retour dans leur patrie, les dettes qu'ils ont contractées en pays étranger; quand on les y veut contraindre, ils confument en tant de longueurs & de frais le malheureux créancier, qu'il se rebute & finit par tout abandonner ou s'accommoder presque pour rien. Je priai M. le Blond de parler à Z.....o; celuici convint du billet, non du payement. A force de batailler il promit enfin trois sequins. Quand le Blond lui porta le billet, les trois fequins ne se trouvèrent pas prêts; il fallut attendre. Durant cette attente, survint ma querelle avec l'ambaffadeur, & ma fortie de chez lui. Je laissai les papiers de l'ambassade dans le plus grand ordre, mais le billet de Rouffelot ne se trouva point. M. le Blond m'assura me l'avoir rendu; je le connoiffois trop honnête - homme pour en douter, mais il me fut impoffible de me rappeler ce qu'étoit devenu ce billet. Comme Z.....o avoit avoué la dette, je priai M. le Blond de tâcher d'en tirer les trois sequins fur un reçu, ou de l'engager à renouveler le billet par duplicata. Z.....o fachant le billet perdu, ne voulut faire ni l'un ni l'autre. J'offris à Rouffelot les trois sequins de ma bourse, pour l'acquit du billet. Il les refufa & me dit que je m'accommoderois à Paris avec le créancier, dont il me donna l'adresse. Le perruquier fachant ce qui s'étoit paffé, voulut fon billet ou fon argent en entier. Que n'aurois-je point donné dans mon indignation pour retrouver ce maudit billet! Je payai les deux cent francs, & cela dans ma plus grande détreffe. Voilà comment la perte du billet valut au créancier le payement de la fomme entière, tandis que fi malheureusement pour lui ce billet se furt retrouvé, il en auroit difficilement tiré les dix écus promis par son Excellence Z.....o N..i. Le talent que je crus me sentir pour mon emploi, me le fit remplir avec goût, & hors la société de mon ami de Carrio, celle du vertueux Altuna, dont j'aurai bientôt à parler, hors les récréations bien innocentes de la place St. Marc, du spectacle, & de quelques vifites que nous faisions presque toujours ensemble, je fis mes feuls plaisirs de mes devoirs. Quoique mon travail ne fût pas fort pénible, surtout avec l'aide de l'abbé de B...s, comme la correfpondance étoit très-étendue & qu'on étoit en temps de guerre, je ne laissois pas d'être occupé raisonnablement. Je travaillois tous les jours une bonne partie de la matinée, & les jours de courrier quelquefois jusqu'à minuit. Je confacrois le reste du temps à l'étude du métier que je commençois, & dans lequel je comptois bien, par le succès de mon début, être employé plus avantageufement dans la fuite. En effet il n'y avoit qu'une voix fur mon compte, à commencer par celle de l'ambassadeur, qui se louoit hautement de mon service, qui ne s'en est jamais plaint, & dont toute la fureur ne vint dans la suite que de ce que m'étant plaint inutilement moi-même, je voulus enfin avoir mon congé. Les ambassadeurs & ministres du roi avec qui nous étions en correspondance, lui faisoient sur le mérite de fon secrétaire des complimens qui devoient le flatter, & qui dans sa mauvaise tête produisirent un effet tout contraire. Il ۱ en reçut un surtout, dans une circonftance essentielle, qu'il ne m'a jamais pardonné. Ceci vaut la peine d'être expliqué. Il pouvoit si peu se gêner, que le famedi même, jour de presque tous les courriers, il ne pouvoit attendre pour fortir que le travail fût achevé, & me talonnant fans cesse pour expédier les dépêches du Roi & des Ministres, il les fignoit en hâte, & puis couroit je ne fais où, laissant la plupart des autres lettres fans fignature, ce qui me forçoit, quand ce n'étoit que des nouvelles, de les tourner en bulletins; mais lorsqu'il s'agiffoit d'affaires qui regardoient le service du Roi, il falloit bien que quelqu'un signât, & je signois. J'en ufai ainsi pour un avis important que nous venions de recevoir de M. Vincent, chargé des affaires du roi à Vienne. C'étoit dans le temps que le prince de Lobkowitz marchoit à Naples, & que le comte de Gages fit cette mémorable retraite, la plus belle manœuvre de guerre de tout le siècle, & dont l'Europe a trop peu parlé. L'avis portoit qu'un homme dont M. Vincent nous envoyoit |