l'attribuer à Patizel qui n'avoit pas dit un seul mot. Il vouloit me mortifier & complaire à son favori, mais non pas se défaire de moi. Il sentoit qu'il ne lui feroit plus auffi aifé de me trouver un fucceffeur qu'à M. Follau, qui l'avoit déjà fait connoître. Il lui falloit abfolument un fecrétaire qui fut l'Italien, à cause des réponses du sénat; qui fit toutes ses dépêches, toutes ses affaires, fans qu'il se mêlât de rien; qui joignit au mérite de le bien servir, la bassesse d'être le complaisant de messieurs fes faquins de gentilshommes. II vouloit donc me garder & me matter, en me tenant loin de mon pays & du fien, fans argent pour y retourner, & il auroit réussi peut-être, s'il s'y fût pris modérément: mais Vitali qui avoit d'autres vues, & qui vouloit me forcer de prendre mon parti, en vint à bout. Dès que je vis que je perdois toutes mes peines, que l'ambaffadeur me faifoit des crimes de mes fervices, au lieu de m'en favoir gré, que je n'avois plus à efpérer chez lui que défagrément au-dedans, injuftice au-dehors, & que dans le décri ! général où il s'étoit mis, ses mauvais offices pouvoient me nuire sans que les bons puffent me servin, je pris mon parti, & lui demandai mon congé, lui laissant le temps de se pourvoir d'un secrétaire.. Sans me dire ni oui ni non, il alla tou jours fon train. Voyant que rien n'alloit mieux & qu'il ne se mettoit en devoir de chercher perfonne, j'écrivis à fon frère, & lui détaillant mes motifs, je le priai d'obtenir mon congé de S. E. ajoutant que de manière ou d'autre, il m'étoit impossible de rester. J'attendis long-temps, & n'eus point de réponse. Je commençois d'être embarraflé: mais l'ambaffadeur reçut enfin une lettre de fon frère. Il falloit qu'elle fut vive; car, quoiqu'il fût sujet à des emportemens très-féroces, je ne lui en vis jamais un pareil. Après des torrens d'injures abominables ne fachant plus que dire, il m'ac cusa d'avoir vendu ses chiffres. Je me mis à rire, & lui demandai d'un ton moqueur, s'il croyoit qu'il y eût dans tout Venise un homme affez fot pour en donner un écu? Cette réponse le fit écumer de rage. Il fit mine d'appeler ses gens, pour me faire, dit-il, jeter par la fenêtre. Jusques-là j'avois été fort tranquille; mais à cette menace la colère & l'indignation me transportèrent à mon tour. Je m'élançai vers la porte, & après avoir tiré un bouton qui la fermoit en dedans: non pas, M. le Comte, lui disje, en revenant à lui d'un pas grave; vos gens ne se mêleront pas de cette affaire: trouvez bon qu'elle se passe entre nous. Mon action, mon air le calmèrent à l'instant même : la surprise & l'effroi se marquèrent dans son maintien.. Quand je le vis revenu de sa furie, je lui fis mes adieux en peu de mots, puis, fans attendre sa réponse j'allai rouvrir la porte, je fortis & passai pofément dans Panti-chambre au milieu de fes gens qui se levèrent à l'ordinaire, & qui, je crois, m'auroient plutôt prêté main-forte contre lui qu'à lui contre moi. Sans remonter chez moi je descendis l'escalier tout de fuite, & fortis sur le champ du palais. pour n'y plus rentrer. J'allai droit chez M. le Blond lui conter l'aventure. Il fut peu surpris, ill connoiffoit l'homme. Il me retint à dîner Ce dîner quoiqu'impromptu fut brillanit Tous les François de considération qui étoient à Venife s'y trouvèrent. L'ambaffadeur n'eut pas un chat. Le conful conta mon cas à la compagnie. A ce récit il n'y eut qu'un cri, qui ne fut pas en faveur de S. E. Ele n'avoit point réglé mon compte, ne m'avoit pas donné un fol, & réduit pour toute ressource à quelques louis que j'avois fur moi j'étois dans l'embarras pour mon retour. Toutes les bourses me furent ouvertes. Je pris une vingtaine de sequins dans celle de M. le Blond, autant dans celle de M. de St. Cyr avec lequel, après lui j'avois le plus de liaison; je remerciai tous les autres & en attendant mon départ, j'allai loger, chez le chancelier du confulat, pour bien prouver au public que la nation n'étoit pas complice des injuftices de l'ambaffadeur. 2 Celui-ci, furieux de me voir fêté dans mon infortune, & lui délaissé, tout ambaffadeur qu'il étoit, perdit toutà-fait la tête & fe comporta comme-un forcené. Il s'oublia jusqu'à présenter un mémoire au sénat pour me faire arrêters, = fur l'avis que m'en donna l'abbé de B... s, je réfolus de rester encore quinze jours, au lieu de partir le fur-lendemain comme j'avois compté. On avoit vu & approuvé ma conduite; j'étois universellement eftimé. La seigneurie ne daigna pas même répondre à l'extravagant mémoire de l'ambaffadeur, & me fit dire par le conful que je pouvois rester à Venise auffi long-temps qu'il me plairoit sans m'in quiéter des démarches d'un fou. Je continuai de voir mes amis : j'allaï prendre congé de M. l'ambassadeur d'Espagne, qui me reçut très-bien, & du comte de Finochietti ministre de Naples, que je ne trouvai pas, mais à qui j'écrivis, & qui me répondit la lettre du monde la plus obligeante. Je partis enfin, ne laif fant, malgré mes embarras, d'autres dettes que les emprunts dont je viens de parler, & une cinquantaine d'écus chez un marchand nommé Morandi, que Carrio fe chargea de payer, & que je ne lui ai jamais rendus, quoique nous nous foyons: souvent revus depuis ce temps-là: mais quant aux deux emprunts dont j'ai parlé |