CALATAFIMI. LE POÈTE MÉLI. SALÉMI. LA MANDRA. CASTELVETRANO. VII CALATAFIMI n'a rien de curieux que son étymologie. Ce nom semi-arabe semi-grec signifie château d'Euphémius, et cet Euphémius, ravisseur et traître à son pays, suivit le fatal exemple du comte Julien en Espagne, et appela les Sarrasins en Sicile. Dans la patrie de tels hommes, il faut passer vite, se taire, et répéter le fameux vers du Dante : Non Raggioniam di lor, ma guarda e passa. Nous changeons d'allure: ce n'est plus la poste avec ses chevaux ailés et ses chars à banc presque commodes. Ici, plus de route tracée, ou du moins il ne nous en reste que quelques milles. Un neveu de l'abbé Sacara, muletier de profession et homme d'esprit, s'engage à nous conduire en deux jours à Sciacca. Le marché fait, j'expédie en avant un des deux gardes que l'obligeant administrateur des soufres a placés sous mes ordres. C'est prudent, me dit-on, si l'on veut trouver dans les auberges du pain, un matelas, et les clefs aux portes. Nous partons de bonne heure juchés sur nos hautes mules, avec deux bêtes de bagage, un guide, le muletier en chef, le second garde des soufres, grand gaillard armé jusqu'aux dents monté comme un Saint-Georges, et Carmelo, notre domestique de confiance; l'honnête Carmelo, notre directeur, pourvoyeur, cuisinier et femme de chambre. Le temps est beau. Nous voyons à gauche, dans la grande rue de Calatafimi, enchâssées à dix pieds de haut dans des murs croulans, trois inscriptions grecques que les antiquaires ont déjà relevées, pressées, et torturées pour leur faire rendre un sens applicable à Ségeste, mais qui, toujours rebelles, s'obstinent à ne rappeler que l'obscure peuplade d'Euphymius. Nous passons le fleuve Crinise. Ce n'est plus le fougueux amant des nymphes siciliennes ; son eau muette et ignorée coule à peine. A une seconde vallée, nous quittons le chemin de Trapani, l'ancien Drepanum, distant de douze milles qu'on peut encore parcourir en voiture. Un ruisseau qui serpente près de la route s'appelle San-Bernardo, comme le Crinise a pris le nom de San-Bartolomeo. Hommage touchant de la reconnaissance des peuples! La Grèce an tique déifia les fleuves à qui elle devait sa richesse; les modernes habitans de la Sicile donnent le nom des bienfaiteurs de l'humanité aux ruisseaux qui fertilisent leurs champs. C'est la même pensée. Ici les tourterelles abondent; on entend partout leurs roucoulemens et le chant sonore des cailles. Au bout des grandes lignes de blé qui, sans haie, sans séparation et sans interstice, recouvrent les montagnes, un petit village est posé en travers de la route. Ses maisons se pressent comme les cases d'une ruche d'abeille. On nous assure que c'est une ville de quatre mille âmes, appelée Vita. Or, comme ce nom d'une ville est aussi un nom d'homme porté par notre guide, pauvre coureur déguenillé toujours à la queue de nos mules, on accable le malheureux Vita de jeux de mots et de plaisanteries auxquelles il répond en même style. Tel est le caractère des nouveaux comme des anciens Siciliens. « Ils ne << sont jamais si mal à l'aise, dit Cicéron, qu'ils |