LES FLEUVES ACRAGAS ET HYPSA. LES VILLES DE FAVARA ET DE CANICATÙ. CALTANISETTA. XI Encore l'incommode litière ; je n'y remonte cependant qu'après avoir jeté un coup d'œil rapide sur le môle d'Agrigente, le port encombré de pains de soufre qui vont s'embarquer pour la Russie, la raffinerie de soufre qui vient de s'établir et prospère déjà sous la direction de M. Guibert; les grottes antiques d'où s'échappent, en légers nuages, des vapeurs soufrées; enfin, après avoir compté les richesses et pénétré les mystères de l'empire sulfureux tout entier. Carmelo, qui, pendant notre séjour à Girgenti, avait abdiqué les fonctions de guide, pour se vouer sans distraction à celles de cuisinier, reprend le commandement de l'avantgarde. Nous franchissons une dernière fois l'Acragas, et comme il a tout juste assez d'eau pour mouiller un piéton jusqu'au genou, chacun de nos muletiers grimpe sur une des deux mules porteuses; ce qui redouble le balancement de la litière, de manière à nous faire craindre une immersion immédiate. Au reste, ce tangage et nos craintes doivent se renouveler, sans effet, chaque fois que nous traverserons un des dixsept fleuves qui nous séparent de Caltanisetta, lesquels en été réuniraient vainement les trésors de leurs ondes pour faire tourner un moulin. Nous faisons halte au tombeau de Théron que nous avions hier, par prévoyance, réservé pour une journée fort stérile en souvenirs antiques. Cette espèce de tour carrée et pyramidale estelle la tombe du roi Théron, ou du cheval de Phalaris? Telle est l'alternative qui divise les savans depuis bien des siècles. Ne pourrait-on, par esprit de conciliation et par une sorte de compromis, stipuler que désormais ce monument funéraire, malgré son exiguité, sera déclaré contenir Théron et le cheval tout ensemble? On placerait alors le tyran entre les quatre colonnes du premier étage, le coursier au rez-dechaussée, et on se rapprocherait ainsi du texte de Pindare, lequel, après avoir fait de Théron l'éloge le plus complet que jamais poète ait inventé pour un roi quelconque, met encore au rang de ses vertus son amour pour les chevaux, et sa science en l'art de conduire un char dans la carrière; tandis que Racine a fait de cette même science un si hardi reproche à Louis XIV et à Néron; sérieusement, cet édifice massif et sans grâce, me paraît d'origine purement romaine. Nous recommençons en dessous la revue des ruines d'Agrigente que nous dominions hier; il nous semble que contemplées de la plaine, elles développent mieux leurs gigantesques proportions. Les pans de muraille que le temps détache des remparts, gênent parfois le sentier qui se détourne alors jusqu'à ce que l'obstacle ait été réduit en poussière, ou qu'entraîné par de nouvelles avalanches de maçonnerie, il ait roulé plus loin. Nous passons le second ruisseau qui ceignait la ville concurrement avec l'Acragas. Était-ce l'Hypsa ou le Narus? Il se cache si bien sous le nom de San-Biagio, qu'on n'a pu encore percer ce déguisement. Nous nous éloignons de la mer, et nous gravissons les montagnes jusqu'à Favara. Là, M. Guibert nous quitte sur les confins de son royaume sulfureux. Il regrette de ne pouvoir retrouver avec nous la France, notre commune patrie, que sa fidélité lui interdit; il ne savait pas alors qu'une amnistie accordée enfin à son noble crime, lui en ouvrirait bientôt les portes. Il nous remet aux soins d'un de ses brigadiers fort renommé en Sicile. Cet ancien campiere a exercé long-temps sous ce dernier titre le métier de contrebandier, tout au moins. C'est un homme superbe, âgé de trente-six ans. Il a la tournure du géant isolé dans le temple de Jupiter olympien. Il se nomme Antonio Biondi. Les anciens émules qu'il commandait, devenus des ennemis qu'il surveille, y avaient joint en signe de respect et de crainte le don espagnol, ce qui équivaut, en Sicile, au cid des Bédouins; Puisque Cid en leur langue est autant que seigneur '. On accourt sur le chemin pour le saluer de plus près; on quitte l'ouvrage pour serrer sa main nerveuse ; il sourit à tous, parle haut, et me rappelle un cheick des Arabes voleurs au sein de sa tribu. Un tel homme conjurerait tout péril, s'il y en avait ; mais il a garanti que nous ne ren 'Corneille, le Cid, acte iv. |