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contrerions pas sur toute la route l'ombre d'un seul brigand qui ne se changeât, à sa vue, en honnête homme; et sa parole vaut mieux que celle des Généraux commandant les trente mille soldats accumulés depuis quelques mois en Sicile. Nous entrons dans cette opulente contrée, qui a valu à son île le surnom de grenier de l'Italie. Voici les premières lignes des campagnes d'Enna, séjour favori de Cérès. Ici, point de grandes plaines, mais des collines se penchant l'une vers l'autre comme pour se communiquer leurs trésors, entrecoupées de quelques prairies, véritable océan de verdure avec ses ondes que le vent abaisse et fait rouler de la cime aux vallées. Le laboureur jaloux de sa culture n'y mêle aucun arbre, ne la sépare par aucune haie; l'ombre nuirait. Les habitations, écartées des champs, se pressent en tas sur les lignes des rochers, ou sur des hauteurs stériles ; là, restent pendant toute l'année, les femmes vouées aux soins du ménage, à la quenouille et à l'aiguille. Les hommes partent chaque jour

avant l'aube, et ne reviennent qu'avec les ténèbres. Les cultivateurs des terres les plus éloignées passent la nuit dans des huttes de roseaux. Vie pénible, cercle non interrompu de travaux qui suscitèrent les révoltes des esclaves, et ensanglantèrent la Sicile. Notre litière, comme le char de Triptolème, ne roule que sur des campagnes fécondes, mais uniformes, et dont l'œil se lasse bientôt.

Favara nous fait voir une belle place, quelques traces d'architecture moresque, un vieux château qui plonge sur les groupes des maisons; une jolie fontaine où les jeunes Siciliennes, aux grands yeux noirs, accourent avec leur cruche d'airain, et entament des conversations animées et bienveillantes avec don Antonio Biondi; ensuite quelques oisifs que les soufres ont faits millionnaires. De beaux jardins entourent cette bourgade peuplée de quatorze mille âmes, et qui est en progrès, tandis que ses voisines sont en décadence. Vers midi, nous nous arrêtons à Canicatù. Ainsi le veut don Antonio: il nous dit,

comme Diomède aux Grecs : « Reposez-vous, < maintenant; et soutenez votre courage par le « pain et le vin. » C'est, en effet, à ces provisions homériques que se bornent les ressources rassemblées par notre hôte, grâce aux contributions de ses voisins. Le génie de Carmelo va briller dans tout son lustre. Nouveau Joseph, il a prévu les heures de disette, et il a préparé fort à propos pour notre appétit, un énorme poisson pêché cette nuit dans la mer Libyenne, et qu'il a porté de Girgenti en travers sur sa selle. Canicatù comptait dix-huit mille âmes avant le choléra. Deux mille périrent alors. Quelques églises élèvent leurs frontons au-dessus de ces cases nombreuses, surmontées de voûtes qui me rappellent les villes de la Palestine: Nazareth et Kakoum. Ici, comme aux approches de Rama, le nopal multiplie sur la route ses rameaux tordus, mais les belles tiges des palmiers qui forment la magnifique avenue de l'ancienne Arimathie, n'ont pas de rivales en Sicile. Le ruisseau de Canicatù n'est qu'un égout; tout auprès est une

fontaine sculptée en marbre, dont l'eau a tari; ce que j'attribue, sans hésiter, à l'influence de l'inscription latine; les vers en sont si mauvais qu'ils auront mis la naïade en fuite.

Nous arrivons aux mines de San-Cataldo: les moissons viennent mourir aux bords des soufrières; ainsi, la terre ne cesse jamais de donner tantôt les richesses de sa surface, tantôt les trésors de son sein : mais ses bienfaits ne peuvent mettre à l'abri des caprices de la destinée; et j'ai vu bien malheureuse, à Londres, l'aimable princesse qui porte le nom de cette contrée, et règne en suzeraine sur ces fertiles guérêts. J'ai appris avec joie qu'elle était depuis long-temps rendue à sa patrie, avec tous ceux dont elle avait partagé les souffrances et consolé l'exil.

En approchant de Caltanisetta, la culture varie : les arbres reparaissent; les opuntia d'abord, puis les amandiers et les oliviers, à mesure qu'on vient vers la ville; les orangers sont le dernier terme de la végétation; ils fleurissent près des remparts, dans les vergers des élégantes villas des faubourgs.

Nous entrons dans la Flore, à qui la reine Isabelle a donné son nom. C'est un jardin ouvert au public, plein de fleurs et de jolis arbres : il domine la plus riante vallée; du haut de sa longue terrasse je plane sur des collines intérieures, des gorges étroites, des vallons inhabités. La mer a disparu; c'est la première fois que ses ondes azurées ne sont pas le fond des tableaux qui se développent sous nos regards. On aperçoit les campagnes de Caltagirone, et à l'horizon la cime de Castro-Giovanni, frappée d'un dernier rayon du soleil. Les rossignols reviennent avec les taillis et l'épais feuillage.

Nous mettons pied à terre sur la place, au milieu de la foule des curieux ; et nous pénétrons dans une auberge où, malgré les pompes de l'enseigne et la jactance du propriétaire, les talens de Carmelo trouveront encore à s'exercer, comme ses provisions à faire figure. Pendant ces apprêts,

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