le moment du repos; allez pencher votre tête « et fermer vos yeux fatigués '. » J'obéis, et pendant que je rêve à Palinure, le vaisseau dépasse la rive d'Élée, patrie de Zénon, plus célèbre encore par sa courageuse mort que par son système philosophique; la petite île Leucosia, ainsi appelée d'une des syrènes ; le fleuve Silare, les rivages de Sybaris, Pestum, dont les ronces ont remplacé ces roses, à qui nos jardiniers, mauvais traducteurs de Virgile, ont donné le nom barroque de remontantes (biferique rosaria Pasti); puis le golfe de Salerne, les écueils des syrènes, jadis périlleux (difficiles quondam), où la mer ne se brise plus constamment en écume, où les rochers ne retentissent plus d'un bruit sourd et lointain, mais où les cailles se 1 ....... Ferunt ipsa æquora classem, VIRGILE, Enéide, liv. v, v. 844. Tum rauca assiduo longè sale saxa sonabant. Id., id., id., v. 866. réunissent, au printemps et en automne, après et avant leurs longs trajets maritimes. Je suis sur le pont avant le jour. On ne voit encore Capri que comme une ombre confondue avec les vapeurs du matin. Bientôt l'île de Tibère se dessine clairement devant nous, grandit et montre, sous les reflets roses qui colorent l'horizon, puis sous les premiers feux du soleil, sa verdure sillonnée par les lignes des ravins, ses rochers d'une teinte fauve, si fièrement arrondis à leur base, et taillés à pic à leur sommet comme pour défendre, embellir et porter une demeure impériale. Ingénieux dans ses passions, le voluptueux empereur avait choisi, pour dresser le théâtre de ses crimes, le site le plus pompeux et les rocs les plus inabordables. On distingue les antres reculés et la bouche béante de la grotte vouée aux mystères de Cybèle, qu'on nomme encore Metromagna, les dômes et les maisons du village qui lie les ruines du palais de Tibère avec les déserts d'Anacapri; enfin, la large pile détachée qu'entoure une mer profonde, et la porte à arceau gothique que la nature a creusée sous ces rescifs hardis où croissent des arbustes pendant sur les flots. L'aspect se modifie à chaque tour de roue du vaisseau; et il faut bien qu'on me pardonne si j'applique à un voyage maritime les locutions d'une course continentale, puisque la vapeur a dépassé la vitesse des plus rapides voitures, détrôné les chevaux, et refondu en entier le dictionnaire de la navigation. Nous doublons la tour de la Campanella, au milieu des barques de Salerne qui vont et viennent, aidées de la même brise. Puis, se développent les collines si vertes et si fertiles de Massa, les forêts d'oliviers, les lignes harmonieuses des montagnes, les couvens qui blanchissent à travers le feuillage, et cette cime aplanie nommée le Désert, qui, dans notre dernière exploration des beautés d'Amalfi, nous donna une vue si complète des golfes de Salerne et de Naples. Après l'écueil à fleur d'eau, vers lequel nous nous dirigeons pour couper ensuite tout droit sur le port à travers l'immense rade, paraissent Sorrente et ses hauts rochers baignés des vagues, ses platanes séculaires, ses bois d'orangers dont les parfums nous arrivent portés par les vents du matin, Vico si pittoresque l'incomparable Castellamare, l'embouchure du Sarno, les villes éparses au pied du Vésuve, les traînées des maisons blanches qui s'allongent de Torre del Greco à Portici, les crêtes arides de Somma, et par-dessus le volcan couronné de fumée. Tout cet ensemble d'aspects, que la Sicile même ne peut égaler, nous jette dans une extase aussi vive que si nous en jouissions pour la première fois; notre admiration ne cesse qu'à l'instant où l'ancre, tombant au fond du port, met fin à ces pages grossies de pompeuses bagatelles', et à ces impressions tracées chaque jour avec trop de hâte pour n'être pas au moins parfaitement sincères. Si pourtant, dans mes descrip tions comme dans le reste, des juges rigoureux me reprochaient d'avoir parfois enveloppé, si ce n'est étouffé, la vérité sous des voiles trop imaginaires, j'invoquerais le témoignage de mes nombreux compagnons, lesquels ont vu ce que j'ai vu et ressenti ce que j'éprouvais. Que si la critique insiste, je me contenterai de répéter les paroles d'un conteur arabe que je rencontrai, il y a bien long-temps, dans l'un des kans de Ptolémaïde : « Qu'importe, me disait-il, si mes ré« cits paraissent quelquefois inexacts, pourvu qu'ils ne cessent jamais d'être écoutés. » FIN. |