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vation humaine s'est prodigieusement élargi; dans le monde moral aussi bien que dans le monde physique, mille faits ont apparu, que l'antiquité n'a pas soupçonnés, qui contredisent les observations de l'antiquité. Imaginez le prodigieux bouleversement que dut opérer dans les esprits la découverte de l'Amérique avec ses peuples et ses civilisations, et plus tard la découverte des taches du soleil. Ainsi ces condensations de faits, ces conceptions sur lesquelles reposait la science du moyen âge, il apparaissait qu'elles reposaient elles-mêmes sur des observations incomplètes et mal faites et qu'elles perdaient toute valeur. Cette représentation intellectuelle du monde du monde connu des anciens qu'une mascarade. Il fallut refaire l'observation du monde; et à son tour cette observation exigea un nouveau mode de représentation.

n'était

Tel est le mouvement intellectuel qui aboutit, dès le XVIIe siècle, à cette double conquête, dont la fécondité n'est pas épuisée: la première, la conquête de moyens d'observation indéfiniment révélateurs; la seconde, la conquête d'un mode de représentation, la représentation mathématique, prodigieusement souple et fidèle.

La différence donc entre la science du moyen âge et la science moderne, c'est d'abord que dans la première le champ de l'observation était limité, et que l'on n'y revenait plus, tandis que, dans l'autre, le champ de l'observation est incomparablement plus vaste, et le savant y revient sans cesse; c'est ensuite que dans l'une la représentation des choses se faisait par concepts, et les concepts se combinaient suivant la pure logique abs

traite du syllogisme; dans l'autre au contraire la représentation est mathématique, et les formules mathématiques se combinent selon les lois des mathématiques.

Or le xvr siècle se trouve placé entre la science du passé et la science de l'avenir; il est chargé de détruire l'une et de préparer l'autre; mais il ne peut pas voir très nettement le dessin de l'avenir. Il travaille dans une demi-lumière, il sait bien que c'est une aube et où est l'orient, mais il ne discerne pas le contour des choses ses coups portent souvent à faux. Il insiste sur l'insuffisance des observations faites par les anciens et sur les vices qui les rendent incomplètes et suspectes. Il multiplie les railleries sur la vaine logomachie du syllogisme des écoles. C'est bien, mais c'est dangereux. Supposez qu'un penseur, dans des circonstances déterminées, exagère ces idées supposez qu'il s'effare ou veuille s'effarer devant la multitude des faits nouveaux à observer et devant la difficulté, tranchons le mot, devant l'impossibilité de bien observer; supposez encore qu'il affecte de considérer la dialectique syllogistique comme le processus unique et vain de l'esprit humain. Ce penseur sera peut-être en fait un précurseur de Bacon, de Galilée, de Descartes; mais il pourra aussi bien être le maître d'un sceptique.

II

La bibliographie ne m'a révélé avant 1570 que trois

ouvrages de cette sorte et d'où le scepticisme puisse naître. Par une curieuse coïncidence, ce sont ces trois ouvrages qui ont principalement servi de source à l'Apologie de Raymond Sebond. De ces trois ouvrages le premier, le plus important, est nourri de Sextus Empiricus. Le dernier est une traduction de Sextus Empiricus. La pensée moderne mêle toujours à ses premiers balbutiements les leçons de la pensée antique.

François Pic de la Mirandole, neveu du célèbre docteur omniscient Jean Pic de la Mirandole, était chassé de sa ville. Il se consolait dans l'étude des lettres et dans l'amour de la vérité chrétienne. Mais il voyait autour de lui l'humanisme grandir, oublier le Christianisme, et prendre pour maîtres les sages païens. D'autre part, même chez les chrétiens les plus sûrs, la philosophie ancienne représentée par Aristote avait une incroyable autorité. Jean Pic de la Mirandole résolut, un peu avant l'année 1510, de ruiner le prestige de toute cette philosophie, en montrant qu'elle n'a pas atteint, qu'elle était incapable d'atteindre la vérité. Le livre qu'il écrit dans ce but, c'est l'EXAMEN VANITATIS DOCTRINAE GENTIUM ET VERITATIS CHRISTIANAE DISCIPLINAE, distinctum in libros sex : quorum tres priores omnem philosophorum sectam universim, reliqui Aristoteleam et Aristoteleis armis particulatim impugnant, ubicumque autem christiana et asseritur et celebratur disciplina. Titre un peu long, mais si clair qu'il vaut une table des matières. L'ouvrage ne fut pas composé d'un seul trait. L'auteur dut quitter son travail tout au milieu, car sa destinée changea; le pape Jules II voulait le faire rentrer dans sa principauté

de Mirandole, le philosophe devint soldat. Puis le pape Jules II mourut; à l'avènement de Léon X, le soldat redevint philosophe, et l'Examen s'acheva1.

Vis-à-vis de toute philosophie qui n'est pas le déve loppement direct de la révélation, Pic de la Mirandole est sceptique ou pyrrhonien. Et ces deux mots ont un sens très précis chez lui. Au point de vue de la certitude, il divise toutes les philosophies en trois sectes : les dogmatistes, les académiciens, les pyrrhoniens ou sceptiques. Les dogmatistes affirment, les académiciens nient, les pyrrhoniens doutent : Pic de la Mirandole n'affirme pas, il ne nie pas, ce qui est une façon d'affirmer : il doute. Il dira même qu'il doute s'il doute. Cette thèse, Pic de la Mirandole va l'établir dans son Examen, avec les arguments historiques qu'il emprunte à sa connaissance très étendue des philosophies anciennes, et avec les arguments théoriques qu'il emprunte à Sextus l'Empirique.

C'est par l'histoire que débute l'Examen.

Le premier livre de l'Examen contient en effet un bref exposé de la naissance et des progrès de la philosophie antique; les différentes écoles y sont distinguées avec soin. Puis, quittant l'ordre chronologique et génétique, François Pic classe les différents problèmes sur lesquels ces écoles se sont exercées, il énumère toutes les solutions qu'elles en ont données; il oppose leurs variations et contradictions à la constance et à l'unanimité de la doctrine sacrée.

1. Tous ces renseignements sont empruntés à l'Examen.

Mais l'histoire laisse bientôt sa place à la discussion théorique; et, dès le second livre, nous voici directement aux prises avec le problème de la certitude : quel est le critère à l'aide duquel les hommes reconnaissent que le vrai est vrai, que le faux est faux? Les écoles anciennes ne se sont pas entendues sur le critère, chacune a eu le sien; Pic de la Mirandole en énumère et en critique tour à tour cinq, sans compter celui de Protagoras, qui consistait dans le sentiment individuel : id verum esse quod cuique videbitur. Cette discussion aboutit bientôt aux loci, aux célèbres lieux communs, de la philosophie sceptique qui sont allés s'enrichissant de Pyrrhon à Sextus. L'exposé qu'en fait Pic de la Mirandole est plus amusant que profond. Mais l'intérêt et la vie n'y manquent pas. Certains des chapitres sont déjà des Essais : l'auteur réunit des anecdotes, il rapporte ce qu'il a vu, il parle d'un enfant qu'il a connu qui aimait la rhubarbe, d'un compagnon de Charles VIII qui était heureux d'avoir la fièvre, d'une femme qui vécut sans boire jusqu'à son mariage, « à Mirandole, dans ma ville, dit-il ».

Quand tous les loci ont été ainsi traités, Pic de la Mirandole reprend le problème de la certitude tout à fait à fond; et, à la suite de Sextus Empiricus, il examine le úp' oỡ, le d' of et le xx0' o5 : l'homme qui juge; les sens par l'intermédiaire desquels l'homme est mis en rapport avec la chose à juger; l'image suivant laquelle l'homme voit les choses. La partie originale de cette critique, c'est l'étude de l'homme, ou plutôt la longue diatribe que Mirandole écrit contre l'homme, qu'il compare aux bêtes, qu'il met au-dessous des

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