de telles situations, quelque sincère amour de la vertu qu'on y porte, on foiblit tôt ou tard sans s'en apercevoir; et l'on devient injuste et méchant dans le fait, sans avoir cessé d'être juste et bon dans l'âme. Cette maxime, fortement imprimée au fond de mon cœur, et mise en pratique, quoiqu'un peu tard, dans toute ma conduite, est une de celles qui m'ont donné l'air le plus bizarre et le plus fou dans le public, et surtout parmi mes connoissances. On m'a imputé de vouloir être original et faire autrement que les autres. En vérité, je ne songeois guère à faire ni comme les autres ni autrement qu'eux. Je désirois sincèrement de faire ce qui étoit bien. Je me dérobois de toute ma force à des situations qui me donnassent un intérêt contraire à l'intérêt d'un autre homme, et par conséquent un désir secret, quoique involontaire, du mal de cet homme-là. Il y a deux ans (*) que milord Maréchal voulut me mettre dans son testament. Je m'y opposai de toute ma force. Je lui marquai que je ne voudrois pour rien au monde me savoir dans le testament de qui que ce fût, et beaucoup moins dans le sien. Il se rendit: maintenant il veut me faire une pension viagère, et je ne m'y oppose pas. On dira que je trouve mon compte à ce changement: cela peut être. Mais, ô mon bienfaiteur et mon père! si j'ai le malheur de vous survivre, je sais qu'en vous perdant j'ai tout à perdre, et que je n'ai rien à gagner. C'est là, selon moi, la bonne philosophie, la seule vraiment assortie au cœur humain. Je me pénètre chaque jour davantage de sa profonde solidité, et je l'ai retournée de différentes manières dans tous mes derniers écrits; mais le public, qui est frivole, ne l'y a pas su remarquer. Si je survis assez à cette entreprise consommée pour en reprendre une autre, je me propose de donner dans la suite de l'Émile un exemple si charmant et si frappant de cette même maxime que mon lecteur soit forcé d'y faire attention (**). Mais c'est (*) En 1764 ou 1763, Jean-Jacques ayant écrit ce livre à Wootton, où il passa l'année 1766 et les premiers mois de 1767. M. P. (**) Cet exemple, aussi frappant qu'on peut le désirer, a déjà été donné par lui dans la Nouvelle Héloïse (IIIo partie, lettre xx), lorsque Julie mariée déclare à Saint-Preux sa ferme assez de réflexions pour un voyageur; il est temps de reprendre ma route. Je la fis plus agréablement que je n'aurois dù m'y attendre, et mon manant ne fut pas si bourru qu'il en avoit l'air. C'étoit un homme entre deux âges, portant en queue ses cheveux noirs grisonnans, l'air grenadier, la voix forte, assez gai, marchant bien, mangeant mieux, et qui faisoit toutes sortes de métiers faute d'en savoir aucun. Il avoit proposé, je crois, d'établir à Annecy je ne sais quelle manufacture. Madame de Warens n'avoit pas manqué de donner dans le projet, et c'étoit pour tâcher de le faire agréer au ministre qu'il faisoit, bien défrayé, le voyage de Turin. Notre homme avoit le talent d'intriguer en se fourront tou jours avec les prêtres; et, faisant l'empresse pour les servir, il avoit pris à leur école un certain jargon dévot dont il usoit sans cesse, se piquant d'être un grand prédicateur. Il savoit même un passage latin de la Bible; et c'étoit comme s'il en avoit su mille, parce qu'il le répétoit mille fois le jour. Du reste, manquant rarement d'argent quand il en savoit dans la bourse des autres. Plus adroit pourtant que fripon, et qui, débitant d'un ton de racoleur ses capucinades, ressembloit à l'ermite Pierre, prêchant la croisade le sabre au côté. Pour madame Sabran son épouse, c'étoit une assez bonne femme, plus tranquille le jour que la nuit. Comme je couchois toujours dans leur chambre, ses bruyantes insomnies m'éveilloient souvent, et m'auroient éveillé bien davantage si j'en avois compris le sujet. Mais je ne m'en doutois pas même, et j'étois sur ce chapitre d'une bêtise qui a laissé à la seule nature tout le soin de mon instruction. Je m'acheminois gaiement avec mon dévot guide et sa sémillante compagne. Nul accident ne troubla mon voyage: j'étois dans la plus heureuse situation de corps et d'esprit où j'aie été de mes jours. Jeune, vigoureux, plein de santé, de sécurité, de confiance en moi et aux autres, j'étois dans ce court mais précieux moment de la vie où sa plénitude expansive étend pour ainsi dire notre être par toutes nos entière du charme de notre existence. Ma douce inquiétude avoit un objet qui la rendoit moins errante et fixoit mon imagination. Je me regardois comme l'ouvrage, l'élève, l'ami, presque l'amant de madame de Warens. Les choses obligeantes qu'elle m'avoit dites, les petites caresses qu'elle m'avoit faites, l'intérêt.si tendre qu'elle avoit paru prendre à moi, ses regards charmans, qui me sembloient pleins d'amour parce qu'ils m'en inspiroient; tout cela nourrissoit mes idées durant la marche, et me faisoit rêver délicieusement. Nulle crainte, nul donte sur mon sort ne troubloit ces rêveries. Menvoyer à Turin, c'étoit, selon moi, s'engager à m'y faire vivre, à m'y placer convenablement. Je n'avois plus de souci sur moiméme; d'autres s'étoient chargés de ce soin. Ainsi je marchois légèrement, allégé de ce poids; les jeunes désirs, l'espoir enchanteur, les brillans projets remplissoient mon ame. Tous les objets que je voyois me sembloient les garans de ma prochaine félicité. Dans les maisons j'imaginois des festins rustiques; dans les prés, de folâtres jeux; le long des eaux, les bains, des promenades, la pèche; sur les arbres, des fruits délicieux; sous leur ombre, de voluptueux tête-à-tête; sur les montagnes, des cuves de lait et de crême, une oisiveté charmante, la paix, la simplicité, le plaisir d'aller sans savoir où. Enfin rien ne frappoit mes yeux sans porter à mon cœur quelque attrait de jouissance. La grandeur, la variété, la beauté reelle du spectacle rendoient cet attrait digne de la raison; la vanité même y méloit sa pointe. Si jeune aller en Italie, avoir dejà vu tant de pays, suivre Annibal à travers les monts me paroissoit une gloire au-dessus de mon âge. Joignez à tout cela des stations fréquentes et bonnes, un grand appétit et de quoi le contenter; car en vérité ce n'étoit pas la peine de m'en faire faute, et sur le diner de M. Sabran, le mien ne paroissoit pas. résolution, si elle venoit à perdre Wolmar, de ne jamais prendre un autre époux. Voyez la note de Rousseau à ce sujet. ajoutée postérieurement à la publication de l'ouvrage, et dans laquelle il justifie cette déclaration de Julie. G. P. sensations, et embellit à nos yeux la nature | pour tout ce qui s'y rapporte, surtout pour Je ne me souviens pas d'avoir eu dans tout le cours de ma vie d'intervalle plus parfaitement exempt de soucis et de peine que celui des sept ou huit jours que nous mîmes à ce voyage; car le pas de madame Sabran, sur lequel il falloit regler le nôtre, n'en fit qu'une longue promenade. Ce souvenir m'a laissé le goût le plus vif les montagnes et les voyages pédestres. Je n'ai voyagé à pied que dans mes beaux jours, et toujours avec délices. Bientôt les devoirs, les affaires, un bagage à porter, m'ont forcé de faire le monsieur et de prendre des voitures; les soucis rongeans, les embarras, la gêne, y sont montés avec moi; et dès lors, au lieu qu'auparavant dans mes voyages je ne sentois que le plaisir d'aller, je n'ai plus senti que le besoin d'arriver. J'ai cherché long-temps, à Paris, deux camarades du même goût que moi qui voulussent consacrer chacun cinquante louis de sa bourse et un an de son temps à faire ensemble, à pied, le tour de l'Italie, sans autre équipage qu'un garçon qui portât avec nous un sac de nuit. Beaucoup de gens se sont présentés, enchantés de ce projet en apparence, mais au fond le prenant tous pour un pur château en Espagne, dont on cause en conversation sans vouloir l'exécuter en effet. Je me souviens que, parlant avec passion de ce projet avec Diderot et Grimm, je leur en donnai enfin la fantaisie. Je crus une fois l'affaire faite : le tout se réduisit à vouloir faire un voyage par écrit, dans lequel Grimmne trouvoit rien desi plaisant que de faire faire à Diderot beaucoup d'impiétés, et de me faire fourrer à l'inquisition à sa place. Mon regret d'arriver si vite à Turin fut tempéré par le plaisir de voir une grande ville, et par l'espoir d'y faire bientôt une figure digne de moi; car déjà les fumées de l'ambition me montoient à la tète; deja je me regardois comme infiniment au-dessus de mon ancien état d'apprenti: j'étois bien loin de prévoir que dans peu j'allois ètre fort au-dessous. Avant que d'aller plus loin, je dois au lecteur mon excuse ou ma justification tant sur les menus détails où je viens d'entrer que sur ceux où j'entrerai dans la suite, et qui n'ont rien d'intéressant à ses yeux. Dans l'entreprise que j'ai faite de me montrer tout entier au public, il faut que rien de moi ne lui reste obscur ou caché; il faut que je me tienne incessamment sous ses yeux; qu'il me suive dans tous les égaremens de mon cœur, dans tous les recoins de ma vie; qu'il ne me perde pas de vue un seul instant, de peur que, trouvant dans mon récit la moindre lacune, le moindre vide, et se demandant qu'a-t-il fait durant ce temps-là? il nem'accuse de n'avoir pas voulu tout dire. Je donne assez de prise à la malignité des hommes par mes récits, sans lui en donner encore par mon silence. Mon petit pécule étoit parti : j'avois jasé, et mon indiscrétion ne fut pas pour mes conducteurs à pure perte. Madame Sabran trouva le moyen de m'arracher jusqu'à un petit ruban glacé d'argent que madame de Warens m'avoit donné pour ma petite épée, et que je regrettai plus que tout le reste; l'épée même eùt resté dans leurs mains si je m'étois moins obstiné. Ils m'avoient fidèlement défrayé dans la route, mais ils ne m'avoient rien laissé. J'arrive à Turin sans habits, sans argent, sans linge, et laissant très exactement à mon seul mérite tout l'honneur de la fortune que j'allois faire. J'avois des lettres, je les portai; et tout de suite je fus mené à l'hospice des catéchumènes pour y être instruit dans la religion pour laquelle on me vendoit ma subsistance. En entrant je vis une grosse porte à barreaux de fer, qui dès que je fus passé fut fermée à double tour sur mes talons. Ce début me parut plus imposant qu'agréable, et commençoit à me donner à penser, quand on me fit entrer dans une assez grande pièce. J'y vis pour tout meuble un autel de bois surmonté d'un grand crucifix au fond de la chambre, et autour quatre ou cinq chaises aussi de bois, qui paroissoient avoir été cirées, mais qui seulement étoient luisantes à force de s'en servir et de les frotter. Dans cette salle d'assemblée étoient quatre ou cinq affreux bandits, mes camarades d'instruction, et qui sembloient plutôt des archers du diable que des aspirans à se faire enfans de Dieu. Deux de ces coquins étoient des Escavons, qui se disoient Juifs et Maures, et qui, comme ils me l'avouèrent, passoient leur vie à courir l'Espagne et l'Italie, embrassant le christianisme et se faisant baptiser partout où le produit en valoit la peine. On ouvrit une autre porte de fer qui partageoit en deux un grand balcon régnant sur la cour. Par cette porte entrèrent nos sœurs les catéchumènes, qui comme moi s'alloient régénérer, non par le baptème, mais par une solennelle abjuration. C'étoient bien les plus grandes salopes et les plus vilaines coureuses qui jamais aient empuanti le bercail du Seigneur. Une seule me parut jolie et assez intéressante. Elle étoit à peu près de mon âge, peut-être un an ou deux de plus. Elle avoit des yeux fripons qui rencontroient quelquefois les miens. Cela m'inspira quelque désir de faire connoissance avec elle: mais, pendant près de deux mois qu'elle demeura encore dans cette maison, où elle étoit depuis trois, il me fut absolument impossible de l'accoster, tant elle étoit recommandée a notre vieille geôlière, et obsédée par le saint missionnaire, qui travailloit à sa conversion avec plus de zèle que de diligence. Il falloit qu'elle fût extrêmement stupide, quoiqu'elle n'en eût pas l'air, car jamais instruction ne fut plus longue. Le saint homme ne la trouvoit toujours point en état d'abjurer. Mais elle s'ennuya de sa clôture, et dit qu'elle vouloit sortir, chrétienne ou non. Il fallut la prendre au mot tandis qu'elle consentoit encore à l'ètre, de peur qu'elle ne se mutinât et qu'elle ne le voulût plus. La petite communauté fut assemblée en l'honneur du nouveau venu. On nous fit une courte exhortation; à moi, pour m'engager à répondre à la grâce que Dieu me faisoit; aux autres, pour les inviter à m'accorder leurs prières et à m'édifier par leurs exemples. Après quoi, nos vierges étant rentrées dans leur clôture, j'eus le temps de m'étonner tout à mon aise de celle où je me trouvois. Le lendemain matin on nous assembla de nouveau pour l'instruction; et ce fut alors que je commençai à réfléchir pour la première fois sur le pas que j'allois faire et sur les démarches qui m'y avoient entraîné. J'ai dit, je répète, et je répéterai peutêtre encore une chose dont je suis tous les jours plus pénétré; c'est que si jamais enfant reçut une éducation raisonnable et saine, c'a été moi. Né dans une famille que ses mœurs distinguoient du peuple, je n'avois reçu que des leçons de sagesse et des exemples d'honneur de tous mes parens. Mon père, quoique homme de plaisir, avoit non-seulement une probite sûre, mais beaucoup de religion. Galant homme dans le monde, et chrétien dans l'intérieur, il m'avoit inspiré de bonne heure les sentimens dont il étoit pénétré. De mes trois tantes, toutes sages et vertueuses, les deux aînées étoient dévotes; et la troisième, fille à la fois pleine de grâce, d'esprit et de sens, l'étoit Peut-être encore plus qu'elles, quoique avec | version particulière à notre ville (a) pour le ca moins d'ostentation. Du sein de cette estimable famille je passai chez M. Lambercier, qui, bien qu'homme d'église et prédicateur, étoit croyant en dedans et faisoit presque aussi bien qu'il disoit. Sa sœur et lui cultivèrent, par des instructions douces et judicieuses, les principes de pieté qu'ils trouvèrent dans mon cœur. Ces dignes gens employèrent pour cela des moyens si vrais, si discrets, si raisonnables, que, loin de m'ennuyer au sermon, je n'en sortois jamais sans être intérieurement touché et sans faire des résolutions de bien vivre, auxquelles je manquois rarement en y pensant. Chez ma tante Bernard la dévotion m'ennuyoit un peu plus, parce qu'elle en faisoit un métier. Chez mon maître je n'y pensois plus guère, sans pourtant penser différemment. Je ne trouvai point de jeunes gens qui me pervertissent. Je devins polisson, mais non libertin. J'avois done de la religion tout ce qu'un enfant à l'âge où j'étois en pouvoit avoir. J'en avois même davantage, car pourquoi déguiser ici ma pensée ? Mon enfance ne fut point d'un enfant; jesentis, je pensai toujours en homme. Ce n'est qu'en grandissant que je suis rentré dans la classe ordinaire; en naissant, j'en étois sorti. L'on rira de me voir donner modestement pour un prodige. Soit: mais quand on aura bien ri, qu'on trouve un enfant qu'à six ans les romans attachent, intéressent, transportent au point d'en pleurer à chaudes larmes; alors je sentirai ma vanité ridicule, et je conviendrai que j'ai tort. Ainsi, quand j'ai dit qu'il ne falloit point parler aux enfans de religion si l'on vouloit qu'un jour ils en eussent, et qu'ils étoient incapables de connoître Dieu, même à notre manière, j'ai tire mon sentiment de mes observations, non de ma propre expérience : je savois qu'elle ne concluoit rien pour les autres. Trouvez des Jean Jacques Rousseau à six ans, et parlez-leur de Dieu à sept, je vous réponds que vous ne courez aucun risque. On sent, je crois, qu'avoir de la religion, pour tun enfant, et même pour un homme, c'est suivre celle où il est né. Quelquefois on en ôte; rarement on y ajoute: la foi dogmatique est un fruit de l'éducation. Outre ce principe commun qui m'attachoit au culte de mes pères, j'avois l'a , tholicisme, qu'on nous donnoit pour une affreuse idolatrie et dont on nous peignoit le clergé sous les plus noires couleurs. Ce sentiment alloit si loin chez moi, qu'au commencement je n'entrevoyois jamais le dedans d'une église, je ne rencontrois jamais un prêtre en surplis, je n'entendois jamais la sonnette d'une procession, sans un frémissement de terreur et d'effroi, qui me quitta bientôt dans les villes mais qui souvent m'a repris dans les paroisses de campagne, plus semblables à celles où je l'avois d'abord éprouvé. Il est vrai que cette impression étoit singulièrement contrastée par le souvenir des caresses que les curés des environs de Genève font volontiers aux enfans de la ville. En même temps que la sonnette du viatique me faisoit peur, la cloche de la messe et de vepres me rappeloit un dejeuner, un goûter, du beurre frais, des fruits, du laitage. Le bon dîner de M. de Pontverre avoit produit encore un grand effet. Ainsi je m'étois aisément étourdi sur tout cela. N'envisageant le papisme que par ses liaisons avec les amusemens et la gourmandise, je m'étois apprivoisé sans peine avec l'idée d'y vivre; mais celle d'y entrer solennellement ne s'étoit présentée à moi qu'en fuyant et dans un avenir éloigné. Dans ce moment il n'y eut plus moyen de prendre le change; je vis avec l'horreur la plus vive l'espèce d'engagement que j'avois pris et sa suite inévitable. Les futurs néophytes que j'avois autour de moi n'étoient pas propres à soutenir mon courage par leur exemple, et je ne pus me dissimuler que la sainte œuvre que j'allois faire n'étoit au fond que l'action d'un bandit. Tout jeune encore, je sentis que quelque religion qui fùt la vraie, j'allois vendre la mienne, et que, quand même je chaisirois bien, j'allois au fond de mon cœur mentir au Saint-Esprit et mériter le mépris des hommes. Plus j'y pensois, plus je m'indignois contre moi-même ; et je gémissois du sort qui m'avoit amené là, comme si ce sort n'eût pas été mon ouvrage. Il y eut des momens où ces réflexions devinrent si fortes, que si j'avois un instant trouvé la porte ouverte, je me serois certainement évadé : mais il ne me fut pas pos (a) VAR. Particulière alors à notre ville.... - Il est bien à croire que cet alors existoit dans le second manuscrit, et qu'il a été supprimé par les éditeurs de Genève. G. P. sible, et cette résolution ne tint pas non plus bien fortement. Trop de désirs secrets la combattoient pour ne la pas vaincre. D'ailleurs l'obstination du dessein formé de ne pas retourner à Genève, la honte, la difficulté même de repasser les monts, l'embarras de me voir loin de mon pays sans amis, sans ressources; tout cela concouroit à me faire regarder comme un repentir tardif les remords de ma conscience: j'affectois de me reprocher ce que j'avois fait, pour excuser ce que j'allois faire. En aggravant les torts du passé j'en regardois l'avenir comme une suite nécessaire. Je ne me disois pas: Rien n'est fait encore, et tu peux être innocent si tu veux ; mais je me disois: Gémis du crime dont tu t'es rendu coupable et que tu t'es mis dans la nécessité d'achever. En effet, quelle rare force d'âme ne me falloit-il point à mon âge pour révoquer tout ce que jusque-là j'avois pu promettre ou laisser espérer, pour rompre les chaînes que je m'étois données, pour déclarer avec intrépidité que je voulois rester dans la religion de mes pères, au risque de tout ce qui en pouvoit arriver! Cette vigueur n'étoit pas de mon âge, et il est peu probable qu'elle eût eu un heureux succès. Les choses étoient trop avancées pour qu'on voulût en avoir le démenti; et plus ma résistance eût été grande, plus, de manière ou d'autre, on se fùt fait une loi de la surmonter. Le sophisme qui me perdit est celui de la plupart des hommes, qui se plaignent de manquer de force quand il est déjà trop tard pour en user. La vertu ne nous coûte que par notre faute; et, si nous voulions être toujours sages, rarement aurions-nous besoin d'être vertueux. Mais des penchans faciles à surmonter nous entraînent sans résistance; nous cédons à des tentations légères dont nous méprisons le danger. Insensiblement nous tombons dans des situations périlleuses, dont nous pouvions aisément nous garantir, mais dont nous ne pouvons plus nous tirer sans des efforts héroïques qui nous effraient, et nous tombons enfin dans l'abime en disant à Dieu : Pourquoi m'as-tu fait si foible? Mais malgré nous il répond à nos consciences : Je t'ai fait trop foible pour sortir du gouffre, parce que je t'ai fait assez fort pour n'y pas tomber Je ne pris pas précisément la résolution de me faire catholique; mais, voyant le terme encore éloigné, je pris le temps de m'apprivoiser à cette idée, et en attendant je me figurois quelque événement imprévu qui me tireroit d'embarras. Je résolus, pour gagner du temps, de faire la plus belle défense qu'il me seroit possible. Bientôt ma vanité me dispensa de songer à ma résolution; et, dès que je m'aperçus que j'embarrassois quelquefois ceux qui vouloient m'instruire, il ne m'en fallut pas davantage pour chercher à les terrasser toutà-fait. Je mis même à cette entreprise un zèle bien ridicule; car, tandis qu'ils travailloient sur moi, je voulus travailler sur eux. Je croyois bonnement qu'il ne falloit que les convaincre pour les engager à se faire protestans. Ils ne trouvèrent donc pas en moi tout-à-fait autant de facilité qu'ils en attendoient ni du côte des lumières ni du côté de la volonté. Les protestans sont généralement mieux instruits que les catholiques. Cela doit être : la doctrine des uns exige la discussion, celle des autres la soumission. Le catholique doit adopter la décision qu'on lui donne; le protestant doit apprendre à se décider. On savoit cela; mais on n'attendoit nide mon état ni de mon âge de grandes difficultés pour des gens exercés. D'ailleurs je n'avois point fait encore ma première communion ni reçu les instructions qui s'y rapportent: on le savoit encore; mais on ne savoit pas qu'en revanche j'avois été bien instruit chez M. Lan bercier, et que de plus j'avois par-devers mo un petit magasin fort incommode à ces messieurs dans l'histoire de l'Église et de l'empire, que j'avois apprise presque par cœur chez mon père, et depuis à peu près oubliée, mais qui me revint à mesure que la dispute s'échauffoit. Un vieux prêtre, petit, mais assez vénérable, nous fit en commun la première conférence. Cette conférence étoit pour mes camarades un catéchisme plutôt qu'une controverse, et il avoit plus à faire à les instruire qu'à résoudre leurs objections. Il n'en fut pas de même avec moi. Quand mon tour vint, je l'arrêtai sur tout; je ne lui sauvai pas une des difficultés que je pus lui faire. Cela rendit la conférence fort longue et fort ennuyeuse pour les assistans. Mon vieux prêtre parloit beaucoup, s'échauffoit, battoit la campagne, et se tiroit d'affaire en disant qu'il |